GNL : après une année hors normes, les terminaux méthaniers se cherchent une seconde vie

En 2022, les trois terminaux d'Elengy, une filiale du groupe Engie, ont permis d'importer 50% de la consommation de gaz en France. Le taux d'utilisation des infrastructures a atteint 95%, du jamais vu. Et, contrairement à ce que laisse penser le calme apparent du terminal de Fos Cavaou, cette année encore, le rythme sera très soutenu. Mais l'âge d'or du GNL sur le Vieux Continent ne durera qu'un temps et les équipes planchent déjà à une transformation du site pour tenter d'assurer sa place dans la transition énergétique. Reportage.
(Crédits : Juliette Raynal pour La Tribune)

Au large de la jetée du terminal de Fos Cavaou, situé à 50 kilomètres à l'ouest de Marseille (Bouches-du-Rhône), deux remorqueurs s'approchent du méthanier Lalla Fatma N'soumer, en provenance d'Algérie. Long de 250 mètres et haut de 50, le navire entame sa manœuvre pour accoster et décharger ses quelque 130.000 mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL). Il y a près de 14 ans, ce même navire, reconnaissable à ses quatre cuves sphériques, inaugurait le terminal initialement conçu pour répondre uniquement aux aléas du système énergétique tricolore : faible disponibilité du parc nucléaire, absence de vent, vague de froid, sécheresse ou encore inondations. L'invasion russe de l'Ukraine a changé sa destinée et en a fait un actif éminemment stratégique pour la sécurité d'approvisionnement de l'Hexagone et le reste de l'Union européenne.

Lire aussiÉnergie : comment la guerre en Ukraine a redistribué les cartes du marché du GNL

Mais, sur place, le calme et le silence ambiants tranchent avec les enjeux cruciaux que revêt cette activité depuis que le Vieux Continent ne reçoit presque plus de gaz russe par pipeline. Écrasé par une chaleur accablante, le site industriel d'Elengy, une filiale du groupe Engie, installé en face des hauts fourneaux d'ArcelorMittal, a des allures d'usine fantôme. Étendu sur près de 80 hectares, soit peu ou prou l'équivalent de cinq stades de France, l'immense terminal caractérisé par ses trois réservoirs XXL est quasiment désert. Et pour cause, le site est largement automatisé. Ainsi, seuls cinq salariés d'Elengy se chargeront d'assurer la connexion et le déchargement du méthanier. Une manœuvre ô combien délicate pour réceptionner l'équivalent d'un térawattheure d'énergie, soit suffisamment pour couvrir les besoins annuels en gaz d'une métropole régionale, comme Nantes ou Montpellier.

50% de la consommation de gaz en 2022

En 2022, les trois terminaux méthaniers d'Elengy (celui de Fos Cavaou, son grand-frère mis en service il y a 50 ans, le terminal Fos Tonkin, ainsi que celui de Montoir-de-Bretagne), ont connu une année hors normes. A eux trois, ils ont assuré quelque 266 déchargements, soit l'équivalent d'un navire tous les deux à trois jours. « Sur un mois, le terminal de Fos Cavaou pouvait accueillir entre 13 et 15 navires », précise Arnaud Catoire, directeur du site. Au total, les trois terminaux ont réceptionné 232 térawattheures de GNL, soit 50% de la consommation de gaz en France en 2022. Leur taux d'utilisation a atteint 95%, du jamais vu. De janvier à mai 2023, ce taux d'utilisation est légèrement redescendu, mais reste élevé. « Il est environ de 85% », assure Nelly Nicoli, la directrice générale d'Elengy. Il pourrait même de nouveau grimper dans les mois à venir pour frôler les 90% sur l'ensemble de l'année 2023, contre une moyenne de 60% habituellement.

Bras de chargement GNL

Le terminal de Fos Cavaou dispose de quatre bras de déchargement.

Lire aussiGNL : les terminaux méthaniers français tournent à plein régime, la filière française veut augmenter les capacités

Si le GNL a tant été prisé l'hiver dernier, c'est qu'il présente plusieurs avantages. Premièrement, il peut être acheminé par voie maritime depuis n'importe quelle région du monde. Dotée de quatre terminaux (les trois d'Elengy ainsi que celui de Dunkerque LNG), la France est ainsi devenue le premier importateur de ce gaz liquide sur le Vieux Continent, en s'approvisionnant principalement aux Etats-Unis, au Qatar ou encore en Egypte et en Algérie, mais aussi... en Russie. Dans ces différents pays, la molécule est extraite sous forme gazeuse. Elle est ensuite refroidie à -160 degrés pour passer à l'état liquide. C'est là son second grand avantage. Dans cet état, « le GNL prend 600 fois moins de volume, tout en conservant ses qualités énergétiques », fait valoir Nelly Nicoli.

Une fois transférées dans les grands réservoirs du terminal de Fos Cavaou, toujours sous forme liquide, les molécules sont regazéifiées grâce à un système d'échange thermique utilisant l'eau de mer. Dans le détail, le GNL circule à -160 degrés dans des panneaux composés de multitudes de petits tuyaux sur lesquels ruisselle de l'eau de mer à 15 degrés. En se réchauffant, la molécule revient à son état gazeux. Les volumes sont ensuite comptés puis odorisés avant d'être injectés dans le réseau de transport de gaz.

Une empreinte carbone bien supérieure au gaz acheminé par pipe

Mais le GNL est aussi flanqué d'un grand point noir : il est fabriqué à partir de gaz naturel, émetteur de carbone, l'un des principaux gaz responsables du réchauffement climatique. Aujourd'hui, le grand argument de la filière repose sur le fait que « le GNL est déjà un vecteur de décarbonation ». « Le bilan carbone de la partie gaz est nettement meilleur », affirme la dirigeante d'Elengy, rappelant qu'il émet 20% de gaz à effets de serre en moins que le fioul lourd et 50% de moins que le charbon. Au-delà de l'injection du gaz dans le réseau, Elengy a donc développé depuis quelques années de nouvelles activités en fournissant du GNL pour la décarbonation de la mobilité lourde maritime et terrestre. Deux baies de chargement pour les camions citernes seront ainsi bientôt doublées. Quant au soutage maritime, « 22 chargements ont été effectués en 2022, 40 sont prévus en 2023 et 50 en 2024 », se félicite le directeur du site.

Toutefois, sur la partie amont (c'est-à-dire son extraction, sa purification, sa liquéfaction ainsi que son transport) le GNL aurait une empreinte carbone bien supérieure à celle du gaz naturel acheminé par pipe. Elle serait même 2,5 fois plus élevée, selon une analyse du cabinet Carbone 4 portant sur le mix d'approvisionnement de 2019. Quelle place pourraient alors avoir les terminaux méthaniers d'Elengy dans un futur où les courbes de consommation de gaz sont amenées à baisser très significativement pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ?  « Nous n'allons pas rester sur un approvisionnement de GNL fossile », répond Nelly Nicoli. « Nous avons la disponibilité foncière pour nous ouvrir à d'autres molécules décarbonées. L'idée est de devenir un hub multi-services », avance-t-elle.

S'ouvrir à des molécules décarbonées

L'enjeu consiste notamment à apporter des solutions de décarbonation aux nombreux industriels qui se concentrent autour de l'étang de Berre. Elengy mise ainsi sur le bioGNL, et les dérivés de l'hydrogène, comme le méthane de synthèse et l'ammoniac sous forme liquide. Le site pourrait aussi se doter d'un terminal d'export de CO2 issu des zones industrielles environnantes vers des sites de stockage.

« Nous pourrions avoir un rôle d'importation, mais aussi d'exportation, voire de production », résume la dirigeante.

Ainsi, en partenariat avec le centre de gestion des déchets ménagers de la métropole Aix-Marseille Provence (Everé) et l'armateur CMA CGM, Elengy entend produire du bioGNL par liquéfaction du biogaz. « C'est un projet très concret qui doit aboutir fin 2025 », indique Nelly Nicoli.

« L'atout du bioGNL et du méthane de synthèse c'est qu'il s'agit de molécules entièrement compatibles avec les infrastructures du terminal et du réseau de transport », fait-elle valoir.

Ce qui n'est pas le cas pour l'hydrogène, l'ammoniac ou encore le CO2, qui nécessite d'importants investissements pour adapter les infrastructures ou d'en construire de nouvelles.

Quant à l'importation d'hydrogène sous forme liquide, pourtant jugée extrêmement difficile par de nombreux spécialistes, la filiale d'Engie ne l'écarte pas. Elle participe ainsi à un projet européen consistant à transporter la molécule par voie maritime depuis le Portugal vers les Pays-Bas.

« Nous n'avons pas identifié d'obstacle technique majeur, mais l'atteinte de la compétitivité n'est pas évidente. Nous sommes encore sur des scénarios de prix trop élevés », reconnaît la dirigeante.

Un quatrième réservoir dans les cartons ?

Plus généralement, ces scénarios de reconversion sont-ils réellement plausibles ? « Les liquides auront un rôle à jouer dans la transition énergétique car ils seront utilisés là où on ne pourra pas électrifier », confirme l'économiste Cédric Philibert, spécialiste des énergies renouvelables. « L'ammoniac sera l'ingrédient indispensable des engrais azotés et, demain, ce sera le carburant des navires transocéaniques », assure-t-il. Par ailleurs, l'ammoniac peut facilement être stocké en grandes quantités à l'état liquide que l'on obtient à moins 33 degrés. « Une température assez facile à atteindre », selon l'expert. Mais quid des investissements à mener ? Par ailleurs, Cédric Philibert se montre bien plus sceptique sur le potentiel du bioGNL.

« On ne pourra pas en faire des millions de térawattheures. Où est-ce que nous allons trouver la biomasse nécessaire ? », s'interroge-t-il.

Avant d'engager ce tournant et de pouvoir répondre à ces multiples interrogations, Elengy s'attend à ce que son activité classique d'importation de GNL connaisse encore un rythme soutenu au cours des toutes prochaines années. Alors que ses capacités de regazéification ont déjà été dopées de près de 20% grâce à l'élévation du différentiel de température entre l'eau de mer prélevée et celle rejetée, un nouvel investissement majeur est à l'étude : « un quatrième réservoir est dans les cartons », confie le directeur adjoint du site. Tout l'enjeu sera justement de ne pas verrouiller cet investissement, s'il avait bien lieu, dans les énergies fossiles, comme le redoutent de nombreux observateurs et ONG, dont Greenpeace, qui fustigent l'arrivée en septembre du nouveau terminal flottant de TotalEnergies au Havre. En attendant, le terminal de Fos Cavaou sera là, comme initialement prévu, pour faire face à de potentiels risques pour le système énergétique, tel qu'un retard dans la construction des nouveaux EPR 2, hypothétisent les équipes d'Elengy...

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.