Veolia/Suez : nécessaire pour qui ?

Depuis un mois, l'annonce par Veolia du rachat de la majeure partie des titres de Suez détenus par Engie fait couler beaucoup d'encre. La bataille fait rage et chacun serait sommé de choisir un camp. Mais le secteur de l'eau est d'intérêt général. La question que nous voulons poser ici est celle de l'intérêt de cette fusion pour les pouvoirs publics, vus comme les garants de l'intérêt général.
(Crédits : Pixabay / CC)

Veolia avance plusieurs arguments pour justifier son offre. Déjà, la volonté de créer un nouveau champion français de l'environnement. Il serait urgent de fusionner car les Chinois seraient en train de prendre des positions stratégiques, comme l'illustre le cas de l'usine de déchets d'Issy-les-Moulineaux opérée par Urbaser. Si l'exemple est juste, la conclusion à en tirer ne serait-elle pas que Veolia aurait intérêt à consacrer sa force de frappe à des acquisitions hors de son marché domestique étant-donné que les 32% qu'Engie détient dans Suez peuvent encore être « gardés au chaud » quelques temps ? Faut-il s'endetter maintenant pour acquérir un concurrent qui lui est promis in fine ? Ce point est crucial. . Il est d'ailleurs piquant de lire dans les arguments avancés par Veolia qu'il existe un risque que des fonds d'investissement s'emparent de ces secteurs industriels stratégiques à l'instar du suédois EQT qui a absorbé la SAUR avant de venir concurrencer Veolia et Suez sur leurs propres terres. Si l'opération Veolia-Suez n'est évidemment pas dénuée d'intérêt stratégique, ne serait-il pas nécessaire de trouver un chemin partenarial entre deux champions français qui, jusqu'à aujourd'hui, se sont ignorés pour mieux se combattre ?

Du côté de Suez, le rythme imposé par Veolia est vécu comme une agression au moment même où le groupe change de gouvernance et dévoile un plan de transformation de grande ampleur visant à redéfinir ses cœurs de métiers. Au demeurant, la différence de générations des deux patrons respectifs et la bienveillance d'Engie, consubstantielle à l'histoire commune avec Suez, autorisait à penser une stratégie de moyen terme coopérative entre les deux grands groupes français. C'est d'autant plus vrai que les résultats des élections municipales dans les grandes villes françaises peuvent rebattre des cartes : l'un des marchés européens les plus importants que représente le SEDIF est remis en concurrence. L'assaut de Veolia sur Suez risque de marquer un coup d'arrêt net à la conquête de nouveaux marchés publics. Comment les décideurs locaux vont-ils vivre de voir leur opérateur de délégation de service public de l'eau passer aux mains d'un fond d'investissement, fût-il français ? Comment justifier que, désormais, le choix des collectivités locales pour des enjeux aussi stratégiques que la production et la distribution de l'eau soit affecté par la présence d'un fonds activiste non spécialiste ? ? Certes, les élus qui font de la baisse du prix de l'eau leur cheval de bataille ne sont pas étrangers à la situation de désintérêt des industriels français pour ces concessions de moins en moins rentables. Il n'en demeure pas moins que, dans les mois qui viennent, les élus auront à affirmer leur vision du service public de l'eau et du traitement des déchets dans un contexte où l'impact environnemental dictera sans nul doute la commande publique. Suez va se trouver fragilisé au pire moment. Par réaction, les collectivités pourraient être tentées de repasser à la régie, ce qui in fine risque de fragiliser les positions des grands acteurs français de l'eau sur le territoire national, et leur développement à l'étranger.

L'Etat s'est peu exprimé au sujet de cette fusion, soucieux de ne pas fragiliser ce qui pourrait être une bonne opération financière pour Engie dont il est l'actionnaire de référence. Pourtant, à bien des égards, l'eau et le traitement des déchets sont des sujets stratégiques pour l'État. Le Gouvernement peut-il considérer que la production et la distribution de l'eau en France n'est pas un sujet stratégique social, de santé publique, d'environnement et même d'indépendance ? Si l'argument de Veolia relatif au risque chinois est juste, alors l'Etat peut-il décemment accepter que la conséquence de la fusion entre Veolia et Suez conduise à ce qu'aucun des deux ne soit le champion en France, en raison de la défiance des salariés de Suez et des collectivités territoriales ? Peut-il prendre le risque de voir la branche eau issue de la fusion confiée à un fonds d'investissement soucieux de maximiser ses dividendes ? Peut-il prendre le risque de voir la branche eau venir consolider les comptes de ce fond d'investissement au détriment du prix du m3 d'eau pour les consommateurs et de l'investissement en recherche et développement sur le territoire national ? Est-il acceptable que la fusion entre deux grandes entreprises françaises, leaders mondiaux, ait pour conséquence de faire de la France sa principale victime sur le plan de l'emploi et de la liberté de choix des collectivités locales ? Alors que la qualité de l'eau est un marqueur fondamental de la bonne santé environnementale d'un pays autant qu'un pilier nécessaire de la santé publique, à fortiori dans le contexte d'une crise sanitaire, l'Etat peut-il renoncer à peser sur une politique publique aussi essentielle ?


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Commentaires 2
à écrit le 02/10/2020 à 19:32
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Nécessaire pour les actionnaires, les fonds de pension, et Macron, puisqu'ils participent au financement de ses campagnes. Voilà voilà.

à écrit le 02/10/2020 à 17:47
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"Mais le secteur de l'eau est d'intérêt général." Entièrement d'accord avec cette vérité en acier mais bon nos politiciens ont déjà nié l'intérêt général de l'eau en la revendant à ces acteurs privés donc visiblement ils ne se posent plus la ques...

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