Fusion Veolia/Suez : un futur champion français de la transition écologique ?

Le projet de Veolia de racheter son concurrent historique servirait les intérêts de la transition écologique tout en permettant de mieux faire face à la concurrence mondiale, estime son PDG. Pour passer les réserves de l’antitrust, l’activité de la Lyonnaise des Eaux serait cédée à Meridiam. Suez s'oppose à cette offre porteuse de "grandes incertitudes" selon son conseil réuni lundi.

Actualisé lundi 31 août à 18h58 avec réaction Suez

« Elle va dans le sens de l'histoire ». C'est ainsi que le PDG de Veolia, Antoine Frérot, conçoit l'acquisition du numéro deux du marché, Suez, pour créer le leader mondial des services à l'environnement. Soutenu à l'unanimité par son Conseil d'administration, Veolia a lancé sa "Blitzkrieg" dimanche 30 août au soir, la veille de la rentrée, en remettant à l'actionnaire principal de Suez, Engie, une offre ferme de rachat de la quasi-totalité de sa participation, étape préalable avant le lancement d'une OPA sur le restant du capital. L'opération qui a séduit les marchés, n'est pas du goût de la direction de Suez. Lundi soir, le conseil d'administration de Suez a jugé que cette offre, "non sollicitée", est "porteuse de grandes incertitudes".

« L'urgence environnementale n'a jamais été aussi forte. Elle concerne tous les pays et toutes les générations, et est même plus grave que la crise sanitaire » liée au coronavirus, souligne néanmoins Antoine Frérot lors d'un point presse ce lundi 31 août. Prise en compte même par les plans de relance de plusieurs gouvernements, elle ne peut que rester porteuse de croissance, estime le PDG, pour qui c'est le « moment idoine pour créer l'outil nécessaire pour y apporter des solutions » :« l'occasion historique de créer un champion mondial français de la transition écologique », puisque à cette fin, « la taille fait la force ».

Lire : « Cette crise a complètement validé notre raison d'être », Bertrand Camus (Suez)

Capture du carbone, amélioration de la qualité de l'air, recyclage des plastiques, transition alimentaire : autant d'enjeux face auxquels, en effet, « l'innovation est fondamentale pour inventer et mettre au point les technologies qui manquent encore pour réussir pleinement la transformation écologique. La combinaison des talents et des compétences de recherche accélérerait le développement de ces solutions d'avenir et permettrait un meilleur amortissement des investissements nécessaires », souligne Veolia dans son communiqué.

Un atout face à la concurrence

Mais au-delà des apports aux intérêts de la transition écologique, la réunion en une seule « entité combinée » des deux grands groupes français, qui ont été les pionniers des services à l'environnement, est aussi un atout face à un autre défi : la concurrence mondiale et le mouvement de concentration qui commence à se dessiner dans le secteur, à l'initiative de fonds d'investissement et de groupes régionaux, estime Antoine Frérot. « En Chine, quelques grandes entreprises se sont déjà imposées dans un contexte auparavant bien plus émietté », observe le PDG, qui estime proche l'avènement d'un « acteur global chinois », à l'image du groupe Beijing. « C'est donc important de saisir les occasions de se regrouper », souligne-t-il, conscient pourtant que même réunies Veolia et Suez ne couvriront que 5% du « marché immense », des déchets et des services énergétiques, qui pèse 1.400 milliards d'euros par an (Veolia en occupe aujourd'hui 3%).

L'intérêt majeur de l'opération lancée par Veolia est donc qu'elle « accélère considérablement la stratégie définie par le groupe en début d'année : devenir l'entreprise de référence pour la transition écologique », explique Antoine Frérot. Ce qui implique de non plus seulement « être leader », mais de devenir « l'entreprise qui défriche l'avenir et met au point les solutions et les standards », précisait le groupe en février. Or, « toutes les activités de Suez intéressent cette stratégie », selon le PDG de Veolia, qui avait d'ailleurs déjà entamé l'acquisition d'activités cédées par Suez dans le cadre de sa rotation d'actifs. Il s'agit de pouvoir accroître l'offre de service aux clients municipaux comme industriels, en proposant à chacun d'entre eux un savoir-faire doublé sous une seule marque.

La « complémentarité unique » entre les deux groupes français, comme leur proximité culturelle,  sont un « atout majeur » dans ce contexte, souligne Antoine Frérot. Leur complémentarité géographique -en Europe, mais encore plus dans le reste du monde-, permettrait notamment de renforcer l'empreinte internationale du nouvel ensemble, « avec une part nettement accrue des régions du monde en forte croissance ». Sans compter que les stratégies présentée au cours de la dernière année par chacun des deux groupes (« Shaping Suez 2030 » et « Impact 2023 » pour Veolia), mettent en avant les mêmes priorités : international, clientèle industrielle, innovation, y compris dans l'offre de services.

Lire : Comment Veolia compte doubler son chiffre d'affaires au Moyen-Orient

Grâce à une telle fusion, Veolia prévoit en outre de réaliser des synergies opérationnelles et d'achats estimées à 500 millions d'euros, « en sus des plans d'efficacité déjà définis par chacun des deux groupes ». Malgré le coût du rachat -estimé à 10 milliards, auxquels s'ajoutent 10 milliards de dette de Suez, l'entreprise promet de maintenir son ratio d'endettement en dessous de trois fois l'Ebitda.

Un « projet enthousiasmant »

Confiant donc que sa proposition a « la force de l'évidence », Antoine Frérot a bon espoir qu'elle sera accueillie favorablement par Engie et son actionnaire de référence, l'Etat, ainsi qu'ensuite par le reste des actionnaires de Suez. Payée en numéraire, l'offre présentée à Engie, de 15,5 euros par action, « est supérieure de 49% au cours moyen de l'action de Suez pendant les trois mois précédant l'annonce d'Engie. Elle représente une valeur qui en 2020 n'a été dépassée qu'en 3% des cas. C'est une belle prime dans le contexte de crise actuel, qui va encore durer quelques temps », note Frérot. Et « le projet répond même aux souhaits d'actionnaires activistes tels que Amber Capital, qui voulait voir s'améliorer la valeur de Suez », estime-t-il.

Lire aussi : La Bourse de Paris applaudit l'offre de Veolia sur Suez faite à Engie

Selon lui, l'opération serait aussi créatrice de valeur pour les quelque 90.000 collaborateurs de Suez. « Il n'y aura pas d'effets négatifs sur l'emploi en France », insiste Antoine Frérot, qui mise plutôt sur la création de nouveaux emplois, y compris dans l'Hexagone, puisque dans sa vision l'objectif de l'opération est « de créer de nouveaux business » ancrés localement. Le projet permet par ailleurs aux employés de Suez de « rester dans un groupe français », promet-il.

Les cessions visant à éviter des situations de monopole devraient en effet ne concerner quasiment que le secteur de l'eau français, où sont présents aujourd'hui trois seuls acteurs privés (Veolia, Suez et Saur). Et l'acquéreur potentiel de toutes les activités eau de Suez en France, déjà identifié par Veolia -l'entreprise Meridiam, société à mission spécialisée dans le financement et la gestion d'infrastructures publiques - est un « réel compétiteur », pouvant leur assurer « même davantage de support financier que n'en apportait Suez », affirme Frérot. D'autant plus que la cession comprendra les activités de R&D.

Pour le reste, les éventuelles cessions ne concerneront que quelques installations, que ce soit en France dans le secteur des déchets, où l'empreinte des deux groupes réunis est moins forte et existent plusieurs autres « acteurs solides » -potentiellement intéressés à ces acquisitions-, ou « dans un petit nombre de pays européens ». Dans leur ensemble, les cessions ne dépasseront pas 4-5 milliards du chiffre d'affaires de l'ensemble qui, post-cession, devrait générer 40-41 milliards d'euros, précise Antoine Frérot.

"Chacun aura sa place"

La balle est maintenant dans le camp d'Engie, qui avait annoncé, le 31 juillet 2020, le lancement d'une revue stratégique incluant sa participation dans Suez, et de l'Etat, auxquels Veolia a préalablement expliqué son projet, qui ont jusqu'à la fin du mois pour se décider. Dans un communiqué, Engie a promis de « privilégier la solution la plus attractive pour ses actionnaires, dans le respect des parties prenantes, et après prise en considération de la qualité du projet industriel». L'Etat de son côté arrêtera sa position en fonction « des intérêts patrimoniaux d'Engie, de la qualité du projet industriel, du maintien d'une pluralité d'acteurs sur les services aux collectivités locales et de la prise en compte des intérêts de toutes les parties prenantes », avec une attention particulière au maintien de l'emploi et à la conservation des actifs stratégiques en France, a expliqué le ministre de l'Economie Bruno Lemaire.

Si chez Engie, on voit dans l'offre de Veolia, une vraie logique industrielle, il en va tout autrement chez la cible, dont le président et le directeur général, Philippe Varin et Bertrand Camus, ont été mis devant le fait accompli. Le groupe a d'abord déclaré « prendre acte » de cette offre. Son conseil d'administration qui s'est réuni pour étudier les impacts de l'opération a jugé l'opération porteuse de "grandes incertitudes". Dans un communiqué, Suez indique que "dans un contexte où l'urgence environnementale est clé pour l'avenir de nos concitoyens, l'offre de Veolia génère des préoccupations sur l'avenir des activités de traitement et de distribution de l'eau en France et sur l'emploi au regard du montant des synergies espérées. La stratégie proposée engendrerait des disynergies et des pertes d'opportunité en France et à l'international. Par ailleurs, la complexité du processus retenu conduirait à deux années de perturbations opérationnelles, au moment où, dans le contexte post-Covid, les équipes sont focalisées sur la mise en œuvre de leur plan stratégique".

Face à cette réaction attendue, le patron de Veolia tend la main. « J'appelle l'ensemble des équipes de Suez y compris son top management à rejoindre notre projet. Ils seront accueillis à bras ouverts », a assuré Antoine Frérot qui avait prévenu par SMS dimanche soir Bertrand Camus. « Il y a 89.000 salariés chez Suez et nous leur proposons de rejoindre nos 176.000 salariés pour relever le défi du siècle. Chacun aura sa place », a indiqué Antoine Frérot.

Reste à financer l'opération. Pour racheter les 29,9% de Suez d'Engie, pour un coût d'environ 3 milliards d'euros, un tiers viendra des fonds propres de Veolia et deux tiers d'autres financements, comme une augmentation de capital, indique le groupe. Viendrait ensuite une offre de rachat en Bourse auprès de la totalité des actionnaires de Suez, qui pourrait représenter jusqu'à 7 milliards supplémentaires qui seront financés par « tous les outils financiers à notre disposition, dettes obligataires, dettes hybrides, augmentation de capital », a souligné Antoine Frérot, avec un objectif « de rester « investment grade » avec un endettement au-dessous de 3 fois l'Ebitda ». Une chose est sûre, la Bourse a plutôt acheté l'opération, avec une hausse du cours des trois acteurs de l'opération : +18% pour Suez à 14,50 euros, +5% pour Engie et + 6% pour Veolia, démentant l'adage qui veut que lancer une OPA fasse baisser son cours de Bourse ! L'opération n'en est toutefois qu'à ses débuts, la fusion pouvant nécessiter 12 à 18 mois pour se concrétiser.

Lire aussi : La Bourse de Paris applaudit l'offre de Veolia sur Suez faite à Engie

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Commentaires 2
à écrit le 01/09/2020 à 10:38
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Deux entreprises sont mieux qu'une dans certains cas. La diversité de choix, parcours, mode de management donne bien plus d'opportunités au developpement du secteur que la création d'un monolithe. Au delà d'une certaine dimension on obtient plus de ...

à écrit le 31/08/2020 à 20:53
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Bruxelles roule pour des N°1 Chinois ou U.S, mais les interdit aux couleurs Eur ou pire : FR Ex : Legrand-Schneider ( FR ) Alsthom-Siemens ( Eur ) Liste " interminable " Les 27 sont " ennemis ", rivaux, divergents sur tout, d'accord...

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