« Nous remboursons encore les emprunts contractés à l'occasion de la construction des deux premiers réacteurs (bâtis dans les années 80 ndlr) ». La main du maire de Petit-Caux, la localité qui abrite la centrale nucléaire de Penly, n'a pas tremblé lorsqu'il s'est agi de parapher le manifeste de soutien à la construction d'un double EPR sur sa commune. Patrice Philippe en est persuadé : le projet sera « générateur de richesses ». Pour autant, il n'en fait pas mystère. Sa ville devra fournir, à nouveau, de gros efforts si le souhait de Jean-Bernard Lévy, le PDG d'EDF, de construire une nouvelle vague de réacteurs, est exaucé par le prochain locataire de l'Elysée. Au printemps, l'énergéticien a proposé au gouvernement de lancer au plus tôt la construction de six EPR pour les mettre en service à partir de 2035.
« Il faut bien mesurer ce que représente la présence de 10 000 ouvriers, avec leur famille, pendant plusieurs années, dans une commune de 10 000 habitants comme la nôtre. Ce sera une très grosse affaire que l'on doit aborder avec lucidité », confie Patrice Philippe.
La lucidité, c'est justement ce dont se prévalent Hervé Morin, président centriste de la Région et Sébastien Jumel, député communiste de Dieppe, ennemis politiques mais amis du nucléaire. C'est à leur initiative qu'une dizaine de responsables normands (élus et représentants du monde économique) de tous bords ont apposé leur signature au bas du manifeste. Titré Cap Penly 2, le texte réaffirme sans ambiguïté l'adhésion pleine et entière de ses auteurs au projet d'EPR... sans cacher qu'ils attendent des preuves d'amour en retour.
« Nous nous engageons à adopter une posture ouverte, vigilante et constructive afin de garantir la prise en compte des intérêts du territoire » écrivent-ils. « Nous sommes volontaires mais nous sommes plus exigeants aujourd'hui que nous ne l'avons été hier », traduit Sébastien Jumel plus abruptement.
Une équation à plusieurs inconnues
En réalité, les élus locaux veulent à tout prix éviter d'être pris de court par l'appel d'air que suscitera immanquablement ce chantier à 15 milliards d'euros... s'il se confirme. « Les enjeux sont gigantesques, c'est pourquoi nous nous mettons en ordre de marche sans attendre une décision qui, à nos yeux, est inéluctable », décrypte Hervé Morin. Il est vrai que les défis qui attendent les collectivités en termes de logements, de formation, de services de santé ou d'infrastructures ont de quoi donner le tournis.
« La question du foncier nous préoccupe, relève par exemple le maire de Petit-Caux. Comment, avec l'objectif zéro artificialisation nette, construire des villages entiers sans empiéter sur des terres agricoles ? Comment ne pas faire fuir les touristes en trustant tous les logements au profit des travailleurs de la centrale ? ».
Des questions judicieuses auxquelles devra répondre le comité stratégique de pilotage qui vient d'être mis en place sous la co-présidence du patron de la Région et du préfet.
Outre l'enjeu du foncier, ses membres (représentants des collectivités, des entreprises, d'EDF et de l'Etat) devront s'atteler au défi des compétences, qui fait d'ailleurs l'objet d'une commission ad hoc. Un sujet inflammable, pour le député de Dieppe. « EDF ne doit pas siphonner tous les soudeurs du coin ou importer des travailleurs de pays low cost, tonne t-il sans prendre de gants. De la même manière, attention à ce que les appels d'offres profitent aux entreprises d'ici et pas seulement des donneurs d'ordre venus d'ailleurs ». Un avertissement sans frais.
Les édiles savent enfin qu'il leur faudra composer avec l'inquiétude de certains de leurs habitants mais aussi avec l'effet « terre brûlée » qui suit les chantiers XXL. A Flamanville, où les travaux de l'EPR finiront bien un jour, collectivités et services de l'Etat anticipent, depuis plusieurs mois, le départ des ouvriers et ingénieurs qui menace d'assécher les commerces locaux. « L'après-chantier est un sujet clé », souligne Patrice Philippe en connaisseur.
Des élus en fusion
On le comprend, les responsables normands n'entendent pas jouer les utilités face au mastodonte EDF. En pariant sur l'effet de groupe, ils espèrent maximiser les retombées économiques sur cette partie du littoral où le taux de chômage fait grise mine. « La présence autour de la table des quatre intercommunalités environnant la centrale est un signal fort », fait valoir Laurent Jacques, maire du Tréport. Cela n'a pas toujours été le cas par le passé, souffle à voix basse un autre élu. « A la construction des premiers réacteurs, certaines communes avaient une fâcheuse tendance à tirer la couverture à elles ».
Attentif à ne pas contrarier ce nouvel esprit de concorde, Hervé Morin préfère pour sa part mettre en avant le regain de puissance de feu de la collectivité régionale, divisée dans les années 80. « A l'époque, la foncière commerciale n'existait pas. Pas plus que le campus des énergies que nous avons créé pour former les jeunes générations » insiste t-il avant de conclure : « la seule chose qui nous manque, c'est une décision présidentielle ». De fait.
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