Nucléaire : les cinq points sensibles dans le viseur de l'Autorité de sûreté

Protection des travailleurs, capacité industrielle de la filière, résilience des mécanismes de secours, gestion des déchets et entreposage des combustibles usés... Le secteur nucléaire est confronté à un certain nombre de défis majeurs auxquels l'ASN, le gendarme du nucléaire, sera particulièrement attentif au cours des prochains mois.
Juliette Raynal
Vue de la centrale nucléaire de Tricastin.
Vue de la centrale nucléaire de Tricastin. (Crédits : Reuters)

Le niveau de sûreté du parc nucléaire français est resté satisfaisant et a même progressé en matière de rigueur d'exploitation chez EDF, et ce, malgré la crise sanitaire, a salué ce jeudi Bernard Doroszczuk, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), à l'occasion de la présentation de ses vœux à la presse. Mais au-delà de cette appréciation générale positive, le gendarme du nucléaire a énuméré plusieurs points de vigilance. Revue des cinq grands défis auxquels est confrontée la filière.

La radioprotection des travailleurs dégradée

"EDF a régressé dans la radioprotection des travailleurs. C'est une tendance qui avait déjà été observée en 2019, mais qui s'est accentuée en 2020", a souligné Bernard Doroszczuk. "C'est le résultat d'observations réalisées sur plusieurs sites. Cela concerne tout autant des comportements inadéquats des intervenants d'EDF ou des prestataires, que les conditions d'organisation des chantiers à risque", a-t-il précisé. Parmi les manquements observés : l'absence parfois du port du dosimètre, "l'outil qui permet à un intervenant de vérifier son risque d'exposition", ou encore la dispersion de la contamination sur certains chantiers. Les inquiétudes portent également sur les conditions de réalisation d'activités qui sont sous-traitées à des prestataires extérieurs."Il y a un plan d'action important à mettre en œuvre pour retrouver des conditions satisfaisantes", a averti Bernard Doroszczuk.

Une capacité industrielle fragilisée

Autre point de vigilance pour le gendarme du nucléaire : la capacité d'EDF et des industriels à faire face à la montée en puissance des travaux indispensables à la sûreté des installations nucléaires en exploitation. "Nous nous attendons à un pic d'activité industrielle en 2026 du fait des quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe [dont la durée de vie doit être prolongée au-delà de 40 ans, ndlr]. Cela suppose une mobilisation qui n'a pas d'élément de comparaison depuis une dizaine d'années", a indiqué Bernard Doroszczuk. Selon lui, une attention particulière devra être portée sur deux segments en tension : la mécanique et l'ingénierie. Cette anticipation en termes de capacité industrielle est d'autant plus cruciale qu'aucun glissement sur le calendrier des travaux ne sera possible. "C'est un constat partagé par EDF, mais ce [constat, ndlr] n'est pas suffisant", a précisé le patron de l'ASN. Chaque année, EDF aura donc l'obligation de rendre compte de ses capacités à faire les travaux dans un calendrier contraint. "C'est la première fois que nous imposons un point annuel sur les ressources", a insisté le président de l'ASN. Si elle présente un défi majeur, cette montée en charge "peut aussi constituer une opportunité pour la filière, qui a souffert d'un manque de projets pour entretenir les compétences", a-t-il nuancé.

Des générateurs de secours exposés aux séismes

Le gendarme du nucléaire surveillera également avec attention les groupes électrogènes de secours qui fonctionnent grâce à un moteur diesel. Ces derniers servent à alimenter le système de sûreté du réacteur dans le cas où le réseau électrique ne fonctionnerait plus. Ces systèmes doivent assurer leurs missions y compris à la suite d'un séisme. Or certaines poutres qui soutiennent ces générateurs électriques ont été endommagées par la corrosion. Plusieurs actions demandées à EDF ont commencé à être déployées, assure l'ASN. Mais, jusqu'à présent, les programmes de maintenance de l'électricien ne couvraient pas les équipements auxiliaires des générateurs. Ainsi, si les écarts constatés ont été traités par EDF, d'autres écarts continuent d'apparaître. L'entreprise doit donc mettre en place un dispositif permettant de prévenir ces phénomènes de dégradation.

La question pressante de la gestion des déchets

Bernard Doroszczuk a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d'avancer sur la gestion des déchets, alors que la France prépare un nouveau Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) pour 2021-2025. "Ce cinquième plan doit être le plan au cours duquel les décisions devront être prises car si elles ne sont pas prises dans les cinq ans qui viennent, il n'y aura pas, à l'horizon 2035 2040, de capacités de stockage suffisantes pour les déchets et, ce, pour toutes les filières", a-t-il prévenu. Pour les déchets faiblement radioactifs (TFA), il existe une centre de stockage, le Cires de l'Andra, situé dans l'Aube. "Mais il a une capacité limitée et si elle peut être augmentée, elle restera nettement inférieure à ce qui serait nécessaire pour accueillir la totalité des déchets TFA, qui résulteront du démantèlement des installations nucléaires", a-t-il illustré, avant d'exprimer les mêmes préoccupations concernant le projet Cigéo, dédié aux déchets hautement radioactifs. "Le temps de l'analyse était nécessaire et il n'y a pas de reproche envers qui que ce soit, mais à un certain moment il faut passer à l'étape qui suit : l'étape de la décision et de l'orientation".

Lire aussi : Les déchets nucléaires, un problème qu'aucun pays n'a encore résolu

Le projet retardé de piscine centralisée

Le projet de piscine centralisée développé par EDF vise à répondre à une difficulté logistique majeure : l'entreposage des combustibles usés, avant leur stockage définitif. Ce ne sont pas des déchets à proprement parler car ils sont potentiellement traitables, mais cela reste une matière radioactive dangereuse. "Depuis plus de dix ans, les projections montrent que les capacités d'entreposage supplémentaires seront nécessaires à l'horizon 2030", a rappelé Bernard Doroszczuk. Après avoir déposé une option de sûreté en 2017, validée par l'ASN, EDF devait déposer une demande d'autorisation avant la fin 2020 pour démarrer officiellement ce projet. Mais il n'a pas tenu ce délai. L'électricien a demandé du temps supplémentaire pour reprendre le design du dispositif et a indiqué qu'il ne serait pas au rendez-vous de 2030. Il prévoit une mise en service en 2034. "Le collège de l'ASN a demandé à EDF de travailler sur des parades pour la période 2028-2034", a indiqué le gendarme du nucléaire. Plusieurs pistes sont actuellement étudiées, comme la densification de certaines piscines existantes ou encore une solution d'entreposage à sec. "Nous allons demander des avancements réguliers sur le projet de piscine et sur les parades pour éviter de se retrouver dans une impasse", a précisé le directeur de l'ASN, regrettant un déficit global en termes d'anticipation.

Juliette Raynal

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Commentaires 2
à écrit le 24/01/2021 à 12:03
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Assurer la sureté en tout temps, par toute les dimension pour une durabilité à 60 ans et modernisation du parc electronucléaire française. Securite de toute la centrale de Flamanville et developpement d'un filière MOX globale . Reduction des dechets ...

à écrit le 21/01/2021 à 18:36
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Ces cinq points ont pour dénominateur commun la politique industrielle de la France..

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