Une mesure qui risque de « ralentir le développement » des énergies bas carbone, en empêchant les producteurs d'électricité solaire et éolienne de faire face à la « hausse des prix des matières premières » et aux « goulots d'étranglement » qui s'abattent sur eux. La Fédération allemande des énergies renouvelables (BEE), qui rassemble tous les acteurs du secteur outre-Rhin, ne mâche pas ses mots quant à la proposition du chancelier fédéral Olaf Scholz, formulée ce dimanche, de cibler les rentes de certaines entreprises afin de les redistribuer aux ménages et aux entreprises.
Et pour cause, les premiers concernés seraient en fait les opérateurs de champs d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques, qui « profitent » actuellement de l'envolée des prix du mégawattheure (MWh) eux-mêmes tirés par les cours du gaz, selon les mots du chancelier. Jeudi, un document de la Commission européenne indiquait d'ailleurs que l'exécutif bruxellois comptait également s'orienter vers ce type de dispositif, et proposer ce vendredi, lors d'une réunion des ministres de l'Energie, un plafonnement des prix de certains producteurs d'électricité, renouvelable et nucléaire en tête.
« Nous avons besoin d'un coup de pouce plutôt que de nouveaux freins ! », a rétorqué dimanche le président de la BEE, Simone Peter.
Des rentes infra-marginales pour les producteurs d'énergies renouvelables
De fait, le système européen de formation des prix de l'électricité permet, a priori, aux opérateurs de centrales éoliennes et solaires de dégager de confortables marges en ces temps de flambée des cours. En effet, son principe est celui de la vente au coût marginal : le prix du MWh sur le marché s'ajuste au coût de la mise en route de la toute dernière centrale électrique connectée au réseau, qui est généralement la plus chère. Or, il s'agit souvent d'une installation fonctionnant au gaz fossile, appelée en dernier recours en Allemagne par exemple, et dont l'activation dépend largement du coût du combustible utilisé, dont les prix ont explosé.
« Tout le marché s'ajuste à son prix, parce qu'il faut rémunérer celui qui la met en route à l'instant T, étant donné que l'électricité ne se stocke pas. Si ce n'était pas le cas, le producteur ne serait pas incité à la mettre en fonctionnement, malgré un besoin imminent sur le réseau », développe Jacques Percebois, économiste et directeur du CREDEN (Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie).
Autrement dit, un MWh ne coûtant, par exemple, que 60 euros à générer par un opérateur d'énergie renouvelable peut aujourd'hui être vendu sur les marchés à un prix tiré à la hausse à la fois par les cours du gaz et par le risque de pénurie, et atteignant plusieurs centaines d'euros le MWh ! C'est la raison pour laquelle le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, a pointé hier du doigt « les entreprises énergétiques qui produisent par exemple de l'électricité à base de renouvelables, de charbon ou de nucléaire » et qui « le font à des coûts de production toujours aussi faibles, mais gagnent énormément d'argent grâce aux mécanismes actuels du marché européen de l'électricité ».
Dans ces conditions, l'idée serait de définir un revenu par MWh que ces centrales seraient autorisées à conserver, puis les obliger à fournir à l'Etat la différence avec le prix de marché.
Surcoûts liés aux matières premières
Seulement voilà : selon la BEE, ce mécanisme risque d'entraîner des « effets inhibiteurs sur les énergies renouvelables », et par là-même de restreindre l'offre d'électricité, ce qui aggraverait la crise. En effet, il pourrait empêcher les producteurs d'énergie solaire et éolienne de « compenser la hausse des prix des matériaux de construction » qu'ils subissent par ailleurs, les empêchant de déployer de nouveaux parcs devenus non compétitifs malgré la baisse des coûts de production, alerte Jean-Louis Bal, président du Syndicat français des énergies renouvelables (SER).
De fait, ces derniers mois, la hausse des prix de l'acier (utilisé pour les tours et les pales des éoliennes) et d'autres matériaux critiques, comme le cuivre ou le silicium, ont fait grimper en flèche le coût des infrastructures. Sans compter les bouleversements liés à la chaîne logistique, parmi lesquels le manque de porte-conteneurs, avec des goulots d'étranglement encore accentués par l'explosion de la demande mondiale liée à la guerre en Ukraine et à la course vers les alternatives « propres » au charbon, pétrole et gaz.
Résultat : les producteurs d'énergies renouvelables ayant remporté avant la crise un appel d'offre avec un prix fixé et garanti par l'Etat ne pourraient plus assumer les surcoûts liés aux matières premières s'ils devaient restituer les profits qu'ils réaliseront à l'Etat, fait valoir Jean-Louis Bal.
« Les appels d'offres sont toujours signés, les permis et les terres manquent toujours, et les installations sont toujours inexistantes », abonde la BEE.
Un mécanisme déjà adopté par la France, mais régi par une exception
Néanmoins, les prélèvements des « superprofits » pourraient ne concerner que les parcs activés avant le bouleversement de la chaîne d'approvisionnement, à l'image de ce que fait déjà l'Hexagone. C'est d'ailleurs grâce à ce dispositif que la filière éolienne française a remis à l'Etat l'intégralité des 1,8 milliard d'euros de subventions qu'elle avait perçues en 2021, et que les énergies renouvelables devraient même générer près de 8 milliards d'euros de recettes cette année.
En effet, ces dernières se trouvent sous contrats dits « de complément de rémunération », qui prévoient une compensation financière aux opérateurs d'énergie renouvelable lorsque les prix sur le marché sont inférieurs au prix cible fixé lors des appels d'offres, mais aussi, en retour, un versement de l'excédent à la puissance publique quand ces prix lui sont supérieurs. « Un mécanisme gagnant-gagnant pour l'éolien et l'Etat », vante France Energie Eolienne (FEE), puisque les producteurs éoliens peuvent « profiter » de la crise pour rembourser leur « dette ».
En juillet cependant, le gouvernement a décidé d'une dérogation pour les projets déjà sélectionnés mais non construits avant l'inflation des matériaux : afin de les remettre à l'équilibre financier, les opérateurs pourront vendre pendant 18 mois leur électricité au prix du marché, donc sans recettes pour l'Etat. « Si l'on généralise le système français, il faut absolument conserver cette exception ! », s'alarme Jean-Louis Bal. Sans quoi l'avenir de nombreux projets éoliens et solaires se trouverait directement menacé, au moment même où les subventions aux combustibles fossiles se multiplient, entre remises à la pompe et bouclier tarifaire sur le gaz.
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