Comment la France peut-elle faire face à une pénurie d'électricité qui surviendrait en plein hiver ? Cette question agite le gouvernement depuis des mois, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie avec l'arrêt des livraisons de gaz - nécessaire à la production d'électricité - via le gazoduc Nord Steam 1. Les services ministériels élaborent donc des scénarios critiques pour la consommation électrique, mais aussi, et c'est moins connu, pour celle de l'eau potable. Ainsi, au plus haut de l'Etat, face au risque de black-out, on envisage des « délestages électriques sur les services publics d'eau et d'assainissement ». Pour comprendre de quoi il s'agit, voici, en dix chiffres, du pompage à son acheminement dans les robinets de l'Hexagone, l'état des lieux du réseau public de l'eau (hors forages privés, agriculteurs, industriels et bases militaires).
150.000 points de livraison électrique
Combien d'installations sont concernées par l'acheminement de l'eau en France ? Environ 150.000 points de livraison électrique sont reliés de près ou de loin à ces services, rappelle la FNCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies). Dans le détail, il s'agit d'usines de forage, de station d'épuration des eaux usées, de stations pour la pression de l'eau, de châteaux d'eau, de réservoirs au sol ou en altitude...
Difficile toutefois d'être précis. La FNCR, qui s'est fendue d'une note commune avec la FP2E (la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau) qui réunit les leaders privés du secteur (Suez, la Saur, Veolia), précise toutefois que l'on est face à « un foisonnement et une diversité extrêmement importants des installations ». Ce sont donc des stations d'épuration publiques, en passant par les particuliers, commerces, hôpitaux et entreprises.
8% de la production mondiale d'énergie électrique pour le service de l'eau
En France, en 2014, la consommation moyenne annuelle d'eau potable par habitant est de 52,2 m3, soit 144,6 litres par jour, selon le site du service public de l'eau. En cas de pic, les réservoirs et châteaux d'eau, qui fonctionnent 24h/24 sont sollicités. Ceux-ci contiennent plusieurs heures de consommation. En 2013, en France, le réseau de distribution d'eau potable est évalué à 996.000 kilomètres de conduites qui relient les lieux de production, les points de stockage et les usagers. Chaque année, en France, ce sont donc 5 milliards de m3 d'eau qui sont prélevés et produits. Dans le détail, il faut 1 kilowattheure d'électricité pour produire 1 mètre cube d'eau produit et assaini.
Combien consomment au total ces installations pour la distribution de l'eau ? Selon les Nations Unies citées par Veolia, 8% de la production mondiale d'énergie électrique est utilisée pour le pompage, le traitement et le transport de l'eau aux différents utilisateurs. En France, « la consommation électrique annuelle estimée de ces mêmes services représente de l'ordre de 1% de la consommation électrique nationale », estime la FNCRR.
Traitement des eaux usées plus poussé dans les centres urbains
La France compte 22.000 stations d'épuration, dont 19.000 petites stations qui traitent l'eau pour moins de 2.000 habitants, rappelle la FNCR.
Qui sont les plus gros consommateurs d'électricité pour l'eau ?
« En nombre de points de livraison, c'est clairement le milieu rural car on a une multitude de petits points électriques », répond Régis Taisne. Mais, « en volume d'énergie, il est clair que les grosses usines d'épuration des grandes villes consomment beaucoup. Mais elles desservent aussi beaucoup d'habitants. Les besoins en énergie des populations urbaines sont sans doute un peu plus élevés car le niveau de traitement est plus élevé. La plupart des grandes villes sont en effet alimentées en eaux de surface donc le traitement à opérer est plus poussé, plus consommateur d'énergie. »
En France, l'alimentation en eau potable provient aux deux tiers des volumes d'eau prélevés dans les eaux souterraines (chiffres 2017), selon l'Office français de la biodiversité, cité par le site du service public EauFrance.
Mais en dehors de ces eaux souterraines, il faut traiter l'eau de surface (cours d'eau, plans d'eau, canaux, réservoirs). La station d'épuration d'Achères « Seine Aval », à 30 km de Paris, inaugurée en 1940, est d'ailleurs la plus grande d'Europe. Elle s'étend sur 600 hectares, soit l'équivalent de 825 terrains de football. Elle traite 1,5 million de m3 par jour, indique-t-elle sur son site.
Après les stations d'épuration, les plus grosses consommatrices, l'autre gros poste est le pompage eau, selon d'où vient la ressource.
Combien coûte le réseau de l'eau dans ce contexte de tension ?
« Il n'y pas de réactualisation des coûts », admet Régis Taisne.
« Mais on connaît ce que dépensent les usagers sur leur facture pour l'assainissement de l'eau : entre 2 à 3 milliards d'euros payés aux collectivités. De leur côté, les exploitants voient leur facture multipliée par trois quatre, voir cinq. La crise pèse sur leur coût de revient. »
Le réseau public a-t-il un bon rendement ? Oui, plutôt bon, affirme la FNCR. « Le taux de rendement est de 80% : pour 1 litre prélevé, 80% sont facturés, soit 20% de non facturés liés à des fuites, des vols, ou pour la défense incendie qui ne peut être comptabilisée... Une disparité à noter, Eau de Paris et le secteur très urbain présentent des rendements entre 85%-90%, quand des services ruraux ont des rendements inférieurs, parfois à 50% », explique Régis Taisne.
Enfin, « on compte, en moyenne, 1 abonné au réseau tous les 100 mètres de tuyaux, il faut donc en moyenne 150.000 euros pour un abonné pour le traitement. En ville, on compte un abonné tous les 10 mètres, l'eau y est donc moins chère. En milieu rural, le delta est pris en charge par les subventions. »
Dans ce contexte de crise énergétique, quelle est la part de la consommation de gaz dans cette production d'eau potable ?
« On n'a pas vraiment de chiffre sur la part du gaz dans le fonctionnement de ces circuits. Mais on n'en utilise pas énormément, un peu sur l'assainissement, pour les incinérateurs, et quelques groupes électrogènes. La consommation est très marginale, elle est même sûrement positive car on trouve de la méthanisation sur les stations d'épuration. On attend d'ailleurs de voir si le gouvernement est prêt à la favoriser », questionne Régis Taisne de la FNCR.
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