Décarbonation maritime : Airseas et Solid Sail sur le point d’industrialiser leur modèle de propulsion vélique

À partir du 1er janvier prochain, tous les navires marchands devront calculer leur indice de rendement énergétique permettant de déclarer un indicateur d’intensité carbone opérationnel annuel. Objectif : réduire de 40% les émissions de CO2. Pour atteindre les seuils exigés et répondre aux ambitions affichées par l’Organisation maritime internationale (OMI), plusieurs solutions existent dont le recours à l'énergie vélique (l'effort du vent sur une voile). Dans les Pays de la Loire, qui tentent de faire émerger cette filière, Airseas, avec sa voile de kite Seawing et les Chantiers de l’Atlantique avec le gréement Solid Sail sont dans les starting-blocks pour lancer l’industrialisation de technologies issues pour l’une de l’aéronautique, pour l’autre du nautisme.
L'aile de kite de 250 m² développée par Airseas a été dépliée, hissée, mise en forme, déployée et, inversement, récupérée, repliée, restockée... pendant un an sur le Ville de Bordeaux, un cargo affrété par Airbus pour transporter des tronçons d'A320 entre Saint-Nazaire et la ville de Mobile (Etats-Unis).
L'aile de kite de 250 m² développée par Airseas a été dépliée, hissée, mise en forme, déployée et, inversement, récupérée, repliée, restockée... pendant un an sur le "Ville de Bordeaux", un cargo affrété par Airbus pour transporter des tronçons d'A320 entre Saint-Nazaire et la ville de Mobile (Etats-Unis). (Crédits : Airseas)

C'est une bataille qui ne dit pas son nom mais qui va confronter les savoir-faire de l'aéronautique à ceux du maritime. Avec un enjeu commun, contribuer à la décarbonation d'une flotte de 50.000 navires marchands, à l'origine de 90% du transport de marchandises, et responsable d'environ 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

« Si aucune solution n'est mise en œuvre, l'empreinte carbone atteindra 17% en 2050 », rappelle Vincent Bernatets, co-fondateur et président d'Airseas, dont la solution, une voile de kitesurf montée sur un navire, vient d'être en partie validée après une batterie de tests menés durant un an, à bord du Ville de Bordeaux, un cargo affrété par Airbus pour transporter des tronçons d'A320 entre Saint-Nazaire et la ville de Mobile, en Alabama (Etats-Unis).

Airseas

Un système autonome, qui fonctionne sans intervention humaine

Contenu dans un cylindre de cinq mètres de diamètre situé à l'avant du navire, l'aile de 250 m² a été dépliée, hissée, mise en forme, déployée et, inversement, récupérée, repliée, restockée... au gré d'une douzaine d'aller-retours sur l'Atlantique.

« Ces opérations nous ont permis de valider neuf brevets, les performances de traction, la cinématique, la robustesse, le design, de contrôler et de gérer des situations diverses et variées... sur des cycles très réguliers et, surtout, sans intervention humaine », indique Vincent Bernartets.

« C'est cela que l'on a validé pendant cette première phase de tests. Il est très important que le système soit autonome puisqu'il est destiné à être utilisé pour des opérations commerciales où il y a peu de personnel à bord », précise-t-il.

Le capitaine du navire n'aurait qu'à appuyer sur un bouton « on-off » quand les conditions sont réunies. « Il est même aidé dans sa navigation », dit-il.

Transfert de technologies de l'aéronautique au naval

C'est là la singularité de ce système, fruit d'un transfert de technologie des commandes de vol automatique d'un aéronef, utilisé par Airbus, entré à hauteur de 11% dans le capital d'Airseas.

« C'est le savoir-faire acquis pendant cinquante ans en aéronautique que l'on transpose sur le kite qui doit décoller et atterrir sur le bateau », ajoute-t-il.

Grâce à une modélisation du kite et des logiciels, des boucles d'asservissement sont appliquées pour contrôler le comportement de l'aile hissée à 300 mètres d'altitude. Là où les vents sont plus réguliers et 40% plus importants qu'au niveau de la mer.

« En multipliant pas trois la vitesse du kite, on multiplie par neuf la puissance de traction. La vertu du kite, c'est d'aller chercher un vent plus fort et de voler en dynamique, il tire beaucoup plus fort qu'une voile statique », assure le co-fondateur d'Airseas.

La promesse : -20% d'émissions de CO2

C'est le même phénomène qui, vu de la plage, propulse les kitesurfeurs dans les airs... Dès lors, ce pilote automatique couplé à un algorithme d'écoroutage permet d'identifier les routes les plus pertinentes pour maximiser les économies de fioul et respecter ... l'heure d'arrivée. Un point non négociable.

Dès 2023, Airseas, qui promet une réduction de 20% des consommations de fioul et de 20% d'émissions de CO2 va engager une seconde série de tests pour mesurer, cette fois, les performances énergétiques selon l'altitude, le chaud, le froid, les conditions de mer, avec ou sans vagues.

« Comme pour un avion, le premier vol est toujours un point d'orgue. Mais maintenant, on accélère l'industrialisation», indique Vincent Bernartet, qui a identifié une flotte de 15.000 navires de plus de 250 mètres de long (cargos, vraquiers, rouliers, porte-conteneurs...) susceptibles d'utiliser l'aile Seawing.

« Dans moins d'un mois, tous les navires du monde devront passer des critères d'efficacité énergétique. Parmi les 11.000 vraquiers, 40% des navires ne rempliront pas les critères. La moitié d'entre eux aura un an pour corriger, l'autre, trois ans. Cela représente 2.200 navires qui devront se mettre en conformité d'ici un an à trois ans », observe Vincent Bernartet.

Le mât le plus résistant au monde

Un marché également convoité par les Chantiers de l'Atlantique, engagé depuis trois ans dans la voie du vélique avec le projet Solid Sail, et qui vient de réceptionner un mât en carbone de 66 mètres de haut et 2 mètres de large pouvant recevoir une voilure de 1.500 m².

mat solid sail

Fabriqué avec un pool de partenaires ( Lorima, Multiplast, Avel Robotics, CDK Technologies , SMM), ce mât de 20 tonnes, considéré comme « le plus résistant au monde » , est doté d'une voile 100% composite, pour propulser le Silenseas, futur plus grand paquebot à voile au monde, en cours de développement aux Chantiers de l'Atlantique.

Le gréement Aeoldrive, qui comprend le mât et la voile SolidSail est, lui aussi, totalement automatisé. Le balestron est orientable à 360 degrés et les mâts peuvent pivoter ou s'incliner à 70 degrés pour passer sous les ponts.

Permettant, selon le constructeur d'abaisser les émissions de CO2 de 25% à 40%, il pourrait équiper des cargos, des navires de croisières, à passagers, etc. Après avoir testé un prototype à l'échelle 1/5 à Pornichet, puis un démonstrateur à l'échelle ½, le mât, réalisé à l'échelle 1, augure de la future industrialisation du procédé. Il sera installé et testé début février comme démonstrateur sur le chantier naval à Saint-Nazaire.

Selon l'accueil commercial reçu pour ce qui est qualifié de « prouesse technologique », les Chantiers de l'Atlantique et ses partenaires se disent prêt à investir dans une unité de production, basée dans le Morbihan, à proximité de l'écosystème composé des partenaires, habitués à travailler ensemble pour la course au large. Ni le calendrier ni le coût du mât, qui a nécessité 20.000 heures de travail, ne sont pour l'instant communiqués.

Évoqué dès le début de l'année, un premier contrat serait sur le point d'être signé avec la société nantaise de transport maritime de marchandises, Néoline, pour équiper son futur neoliner de 136 mètres à voile, avec deux mâts et gréements Solid Sail. Le secteur est fertile. À l'instar de Wisamo, créé par le groupe Michelin pour développer une voile gonflage et hybrider l'énergie de bateaux, et de l'armateur Zephyr & Borée qui finalise, actuellement, les essais du Canopée, un navire roulier de 121 mètres doté de quatre voiles articulées développées par la société Ayro, et destiné à Ariane Group pour transporter le lanceur d'Ariane.

Une première usine en 2023

Venue de Toulouse à Nantes pour implanter son centre de R&D (100 personnes), l'entreprise a gagné en visibilité avec, déjà, une commande ferme d'Airbus et cinq de l'amateur Japonais K Line (Kawasaki Kisen Kaisha) et quarante-six options d'achat.

L'accélération passe maintenant  par la recherche de partenaires financiers pour investir dans la supply chain et d'un terrain dans la région nantaise pour implanter une unité de fabrication de 7.000 m², proche d'un écosystème en devenir.

L'entreprise, qui a déjà financé 40 millions d'euros en R&D depuis sa création en 2016, s'apprête cette fois à investir 10 millions dans cette opération, programmée pour le premier semestre 2023. Objectif : produire un millier d'ailes de kite de 1.000 m² d'ici à 2032. Un format unique et standardisé pour répondre aux enjeux de l'industrialisation et aux besoins du marché.

« Aujourd'hui, en l'absence de fioul décarboné pendant encore quinze à vingt ans, la solution majeure, c'est le vent », souligne Vincent Bernartet.

Une solution inépuisable et gratuite.

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