Agriculture : offensive des ministres européens contre les projets verts de l'UE

Réunis jeudi à Luxembourg, les ministres de l'Agriculture des Etats membres de l'Union européenne ont remis en cause plusieurs projets de Bruxelles qui doivent contribuer à la transition écologique du secteur. Au nom de la nécessité d'assurer le "rôle nourricier" de l'UE, la France demande désormais la fixation de "cibles de production" européennes. Explications.
Giulietta Gamberini
Depuis le début de la guerre en Ukraine, qui a chamboulé les marchés alimentaires mondiaux, le ministre français de l'Agriculture, Julien Denormandie, martèle la nécessité que l'Europe revoie sa stratégie alimentaire De la fourche à la fourchette (Farm to Fork, F2F), qui vise, à horizon 2030, à réduire de moitié les pesticides, de 20% les engrais, et à consacrer un quart des terres au bio.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, qui a chamboulé les marchés alimentaires mondiaux, le ministre français de l'Agriculture, Julien Denormandie, martèle la nécessité que l'Europe revoie sa stratégie alimentaire "De la fourche à la fourchette" (Farm to Fork, F2F), qui vise, à horizon 2030, à réduire de moitié les pesticides, de 20% les engrais, et à consacrer un quart des terres au bio. (Crédits : Reuters)

Les pressions des ministres de l'Agriculture des Etats membres face aux objectifs de verdissement du secteur de la Commission européenne s'intensifient. Lors d'une  réunion du Conseil de l'Union européenne jeudi à Luxembourg, deux projets législatifs de Bruxelles ont été remis en cause : la révision d'une directive existante sur l'usage des sols, visant à augmenter leur absorption nette de carbone, et un durcissement de la directive sur les "émissions industrielles", imposant des seuils d'émissions polluantes à davantage d'élevages. Le ministre de l'Agriculture français, qui préside cette instance pendant le premier semestre 2022, a même proposé la fixation de "cibles de production" agricole dans l'UE, afin d'en "assumer" le "rôle nourricier".

Ces prises de position interviennent juste quelques semaines après une importante concession de Bruxelles à la demande des ministre des Agriculture d'augmenter la production agricole européenne en raison de la guerre en Ukraine, au prix d'un allègement des contraintes environnementales. Le 23 mars, la Commission a en effet décidé de mettre temporairement en production les terres laissées en jachères dans l'UE pour y préserver la biodiversité, ainsi que de repousser la présentation de deux textes législatifs relatifs à l'utilisation des pesticides et à la restauration de la nature.

L'augmentation des "puits naturels" de carbone source de craintes

Dans le cadre de son Pacte vert européen, Bruxelles propose d'augmenter l'absorption nette de carbone par les sols et les forêts, en passant de 268 millions de tonnes équivalents CO2 par an aujourd'hui à 310 millions avant 2030. Cela implique la restauration de tourbières et de zones humides, une simplification des aides à la reforestation ainsi qu'un soutien à l'agriculture "bas carbone". Une communication de la Commission présentée en décembre était soumise à l'examen des ministres des Vingt-Sept dont "un nombre significatif", en adoptant jeudi leurs conclusions, ont exprimé jeudi des "craintes" et des doutes sur l'impact attendu, a indiqué le Français Julien Denormandie, cité par l'AFP.

Lire: Les "labels bas carbone", le pari du gouvernement pour décarboner l'agriculture

Les Etats membres s'inquiètent notamment de la non prise en compte des spécificités géographiques et climatiques des "puits naturels" de carbone de chaque pays, ainsi que des risques naturels tels que les incendies. Ils critiquent également la complexité et le poids administratif des évaluations requises par le projet, en demandant un cadre "simple et transparent", et en soulignant que selon les traités européens, la principale mission de l'agriculture européenne est d'assurer la sécurité alimentaire.

De nouvelles contraintes en vue pour 13% des éleveurs européens

La Commission européenne a également proposé mardi d'étendre une directive sur les "émissions industrielles", qui impose actuellement des règles en matière de rejets de polluants à 30.000 usines et à 20.000 élevages géants. Elle souhaite que ses obligations s'appliquent désormais aussi aux élevages de bovins, porcins et volailles comptant plus de 150 "unités gros bétail" (150 vaches adultes, 10.000 poules, 500 porcs ou 300 truies environ). Cela concernerait quelque 185.000 installations dans l'UE, dont environ 13% des exploitations bovines, porcines et avicoles commerciales européennes, "responsables ensemble de 60 % des émissions d'ammoniac et de 43% de méthane du bétail de l'UE", selon la Commission.

Bruxelles estime à 5,5 milliards d'euros par an les bénéfices pour la santé humaine de cette extension. Les obligations découlant de la directive seront toutefois adaptées aux spécificités de l'élevage, ainsi qu'à la taille des exploitations et à la densité du bétail, promet l'UE. La Commission espère ainsi "orienter les investissements industriels nécessaires à la transformation de l'Europe vers une économie zéro pollution, compétitive et neutre pour le climat d'ici 2050", "stimuler l'innovation, récompenser les pionniers et uniformiser les règles du jeu sur le marché de l'UE".

"Les changements créeront davantage d'emplois, comme l'a montré avec succès le secteur de l'éco-innovation de l'UE dans le passé", a déclaré le commissaire Environnement, Virginijus Sinkevičius, cité dans un communiqué.

La menace d'une augmentation des importations

Le projet a toutefois été immédiatement condamné, en France, par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea), pour qui "cette 'classification' aura pour conséquence d'imposer toujours plus de normes de charges et de contraintes bureaucratiques aux éleveurs", en poussant, "de fait, à accroître la taille des élevages", et à augmenter les importations "de pays où l'élevage est vraiment
industriel, avec des dizaines de milliers d'animaux".

"Au même moment, on laisse entrer en Europe des viandes d'élevages utilisant des antibiotiques de croissance dans des fermes sud-américaines à 10.000 vaches. C'est une aberration", s'est également indigné Julien Denormandie, cité par l'AFP, en rappelant la demande du gouvernement français d'imposer une "réciprocité" des normes dans les échanges commerciaux.

En assurant avoir le soutien de plusieurs autres Etats membres, le ministre français a promis que la France se battrait -comme le demande la Fnsea- pour "remettre de la raison dans ce texte", qui doit être soumis aux Etats membres et aux parlementaires européens. Et le commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski, tout en soulignant que la Commission avait déjà renoncé à appliquer le texte à partir d'un seuil -encore plus bas- de 100 "unités de gros bétail", s'est déjà dit ouvert à des discussions sur ce qui détermine si une exploitation est "industrielle", au-delà de sa taille.

La France réclame par ailleurs aussi une dérogation temporaire sur les taxes à l'importation sur les engrais : une demande que la Commission "s'est engagée à regarder avec attention", selon Julien Denormandie.

A la recherche du "niveau de production" assurant la souveraineté de l'UE

Le ministre français voudrait enfin que l'UE fixe des "cibles de production" agricole, permettant "d'approvisionner les citoyens européens dans des conditions satisfaisantes de prix et de sûreté et d'assurer le rôle (de l'UE) dans la sécurité alimentaire mondiale".

"Ne pas se poser la question du niveau de production peut conduire à ne plus pouvoir assumer notre souveraineté agroalimentaire" dans certaines régions ou secteurs, a-t-il expliqué, qualifiant d'"aberration" la dépendance européenne aux protéines végétales sud-américaines, utilisées notamment pour l'alimentation animale.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, qui a chamboulé les marchés alimentaires mondiaux, Julien Denormandie martèle la nécessité que l'Europe revoie sa stratégie alimentaire "De la fourche à la fourchette" (Farm to Fork, F2F), qui vise, à horizon 2030, à réduire de moitié les pesticides, de 20% les engrais, et à consacrer un quart des terres au bio. Jeudi, il a néanmoins admis la nécessité que les cibles de productions européens soient fixés "sans perdre de vue la protection de l'environnement".

Giulietta Gamberini

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Commentaires 2
à écrit le 10/04/2022 à 9:42
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Mais qui peut croire un seul instant que laisser les pourtours de parcelles non cultivés, pleins de mauvaises herbes, va résoudre notre problème de biodiversité? Et pour rappel, si nous n’essayons pas de produire plus, afin de soutenir tous les pays ...

à écrit le 09/04/2022 à 9:39
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Le lobby agro-industriel a encore fait de gros chèques donc. mais bon avec 30 milliards de dette pour BAYER ça commence à peser la corruption institutionnalisée pour le secteur, il faut forcément que les banquiers suivent aussi. Se rendent ils compte...

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