Continuer de produire le plus possible en Ukraine, mais surtout produire davantage en Europe : tel est le vœu, face à l'impact potentiel de la guerre sur l'alimentation mondiale, des ministres européens de l'Agriculture, qui se sont réunis lundi à Bruxelles. L'objectif était notamment de formuler les demandes des Etats membres à propos des mesures d'urgence de soutien aux agriculteurs que la Commission européenne doit valider mercredi.
Ces mesures sont cruciales au regard du contexte de la guerre en Ukraine, qui perturbe les chaînes d'approvisionnement européenne et la sécurité alimentaire mondiale. Le conflit pèse en effet sur le transport des marchandises et les productions à venir de l'Ukraine comme celle de la Russie. Ces deux pays sont des exportateurs importants de plusieurs céréales et oléagineux comme d'intrants agricoles.
Les Etats membres espèrent notamment amortir l'augmentation inédite des coûts agricoles engendrée par l'inflation galopante des prix des céréales et des oléagineux, utilisés pour l'alimentation animale, des carburants et des engrais. Ils répètent aussi leur souhait que l'Europe puisse jouer un rôle face aux famines redoutées dans les pays important leur nourriture qui, en particulier dans les régions les plus pauvres, risquent de ne plus être en mesure d'en payer le prix.
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Des terres en jachère consacrées aux protéagineux
Les ministres européens soutiennent donc l'abandon, au moins provisoire, des règles européennes sur les terres en jachère, visant à y protéger la biodiversité. Selon la stratégie de la Commission "De la fourche à la Fourchette" (Farm to Fork, F2F), elles devraient atteindre 10% en 2030. La nouvelle Politique agricole commune (PAC), qui doit entrer en vigueur en janvier 2023, prévoit que les exploitations de plus de 10 hectares devront laisser au moins 4% de leurs terres non cultivées et rendues à la nature. Or, lundi, devant les eurodéputés de la commission parlementaire agriculture, le commissaire à l'Agriculture Janusz Wojciechowski a déclaré que la Commission compte proposer d'adopter une suspension:
"Il faut des dérogations sur les terres non cultivées. Elles sont très importantes pour la biodiversité, bien sûr, mais je ne crois pas que ce soit le moment de laisser ces terres improductives", a-t-il fait expliqué.
Mais au nom des exigences de production, une partie des ministres européens de l'Agriculture, dont le français Julien Denormandie, insistent aussi pour une révision plus ample de la stratégie F2F, qui vise également, à horizon 2030, à réduire de moitié les pesticides, de 20% les engrais, et à consacrer un quart des terres au bio.
La France a d'ailleurs déjà décidé, dans le cadre de son plan de résilience, "l'adaptation ou le report de mesures réglementaires" susceptibles de limiter la disponibilité d'engrais, telles qu'un règlement sur le stockage contre lequel les producteurs d'engrais ainsi que la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea) se battent depuis des mois, tout en promettant de développer l'usage d'engrais organiques produits dans l'Hexagone.
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La Commission fidèle à sa stratégie
Pour l'instant, la Commission s'est montrée réfractaire. Comme nombre d'ONG environnementales, elle estime en effet qu'une agriculture moins intensive serait moins dépendante des importations extérieures et, à plus long terme, plus productive, rapporte l'AFP.
"Ne croyez pas que vous aiderez la production alimentaire en la rendant moins durable", alors que la potasse des engrais vient essentiellement de Russie et du Bélarus, a souligné Frans Timmermans, vice-président de la Commission chargé du "Pacte vert", en réponse aux attaques à Farm to Fork.
"Ce sont des objectifs qui vont dans le sens de la sécurité alimentaire", a pour sa part déclaré lundi Janusz Wojciechowski à propos de la stratégie F2F, alors qu'auparavant il s'était plutôt montré sensible aux demandes des ministres.
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Les ministres ont également demandé à Bruxelles d'adapter sa réévaluation de leurs plans stratégiques déclinant la future PAC au niveau national (PSN), en cours de négociation. Il s'agit implicitement de demander à la Commission moins de sévérité quant à l'atteinte des objectifs fixés par le Pacte vert européen. "Une question de bon sens", selon le ministre français Julien Denormandie, cité par l'AFP, pour qui Bruxelles doit faire preuve de "transparence" sur ses méthodes d'évaluation et tenir compte des impératifs d'"indépendance alimentaire".
L'accord des ministres, comme celui des euro-députés, sera aussi nécessaire afin de débloquer, comme le souhaite la Commission afin de financer des aides d'urgence aux agriculteurs européens, la "réserve de crise": un fonds de quelque 450 millions d'euros destiné à les aider en cas d'instabilité des prix.
50.000 de tonnes de carburant pour les agriculteurs ukrainiens
Les 27 ont aussi donné le feu vert à l'apport par l'Ue d'une aide en urgence aux agriculteurs ukrainiens, afin de maintenir, au moins à des niveaux minimums, leur production. Le commissaire européen à l'Agriculture, le polonais Janusz Wojciechowski, a évoqué le besoin de "50.000 tonnes de carburant", et a affirmé que la Pologne serait d'accord pour "faire transiter l'aide" par son territoire.
Selon Julien Denormandie, cité par l'AFP, le 27 ont également convenu avec la Commission "de mettre en place une organisation pour pouvoir répondre de manière efficace" à d'autres demandes du ministre de l'Agriculture ukrainien, Roman Leshchenko, présent en visioconférence: celle d'aide alimentaire à la population, de soutien à l'industrie agro-alimentaire ukrainienne "là elle est en capacité de fonctionner", et d'aide aux agriculteurs via la fourniture d'engrais, de semences ou d'énergie.
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