Pour ou contre : avec la guerre en Ukraine, l'agriculture française doit-elle produire plus ? Henri Biès-Péré (FNSEA) face à Claudine Foucherot (I4CE)

Alors que le blocage des productions ukrainienne et russe fait flamber les prix agricoles et menace la sécurité alimentaire de certains pays, la question de l’augmentation de la production agricole française se pose. Pour y répondre, l’avis d'Henri Biès-Péré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea) et de Claudine Foucherot, directrice du programme Agriculture et forêt à l'Institute for climate economics (I4CE).
(Crédits : DR)

Impact sur l'environnement, manque de compétitivité, dépendance des subventions, faibles revenus... Depuis quelques années, les défis auxquels est confrontée l'agriculture française remettent en cause le modèle intensif dominant, fondé sur la recherche de productivité. Des pratiques plus économes en intrants, afin de moins peser sur l'environnement, émergent et s'affirment progressivement, malgré des rendements inférieurs. Elles sont de plus en plus soutenues par les législateurs français et européens, ce dernier prévoyant notamment dans sa stratégie "Farm to Fork", à l'horizon 2030, de réduire l'utilisation de pesticides de 50% et de fertilisants de 20%, ainsi que d'atteindre 25% de terres consacrées à l'agriculture biologique et 10% de terres en jachère. La guerre engagée par la Russie en Ukraine, avec les chamboulements qu'elle entraîne sur le marché alimentaire mondial, vient secouer cette lente transition. Des inquiétudes sur la souveraineté alimentaire de la France et de l'Europe, voire sur la sécurité alimentaire mondiale, se fraient une place à côté de celles sur la résilience et l'impact environnemental de l'agriculture productiviste. Une question émerge alors: avec les conséquence de la guerre en Ukraine sur les marchés agricoles, l'agriculture française doit-elle produire plus?

POUR Biés Péré

Le conflit en Ukraine a complètement perturbé les échanges et les équilibres mondiaux. Dans les grandes zones de production alimentaire, depuis plusieurs années, il n'y avait pas eu de guerres ni de grands incidents climatiques. Globalement, la planète produisait suffisamment pour nourrir sa population. La malnutrition concernait essentiellement des régions où il était difficile d'acheminer la nourriture. Mais la guerre en cours, en affectant une des plus grandes zones de production du monde, risque de troubler cet équilibre dans les années à venir. On savait déjà que, avec l'augmentation de la population mondiale, la France et l'Europe ne pouvaient pas baisser la garde sur leurs volumes de production. Maintenant, elles sont aussi appelées à jouer leur rôle de réserve alimentaire pour les pays qui dépendaient des importations des régions en conflit. Nous avons beaucoup de terres arables, des agriculteurs formés, des technologies: ce sont des atouts qui n'existent pas partout. Notre vocation exportatrice, qui ne vise pas à faire du business mais à apporter ponctuellement de l'alimentation à des zones qui n'ont pas les sols, la climatologie et les technologies pour en produire suffisamment, doit pouvoir être assurée. Gagner en compétitivité, et donc en productivité, est en outre essentiel afin de réduire les importations et renforcer la souveraineté alimentaire française et européenne, que la commande publique et la réglementation doivent néanmoins continuer de soutenir. Bien que des pratiques agroécologiques soient en train de se mettre en place dans toutes les filières, les solutions écologiquement compatibles ne sont donc acceptables que si elles n'entraînent pas une baisse des volumes de production. Les engrais chimiques et les produits phytosanitaires nécessaires afin d'assurer les rendements escomptés doivent pouvoir continuer d'être utilisés. Et nous ne pouvons plus imaginer, comme l'exige la stratégie européenne "Farm to Fork", de consacrer des terres arables à la seule biodiversité: comment l'expliquer aux pays qui ont besoin de nos céréales pour se nourrir? C'est devenu inaudible. Il y a d'ailleurs d'autres voies pour regagner en biodiversité, qui demanderont juste un peu plus de temps.

Certes, si les consommateurs se mettaient à manger moins de viande, les besoins en production seraient inférieurs, et les agriculteurs suivraient. Mais aujourd'hui, au niveau mondial, ce n'est pas la tendance: la demande de protéines animales persiste, même si en France les esprits évoluent. Et c'est le consommateur qui dicte la production. Si on ne le respecte pas, il va encore une fois se tourner vers les importations.

CONTRE Foucherot

Commençons par distinguer les horizons temporels. A court terme, si produire plus est peut-être un enjeu, accompagner économiquement les premières victimes de l'augmentation des prix l'est sans aucun doute. Je pense notamment aux éleveurs les moins autonomes, ceux qui dépendent le plus des importations pour l'alimentation de leurs animaux, qui vont subir de plein fouet l'augmentation des prix des céréales, ainsi qu'aux consommateurs les plus précaires, qui doivent pouvoir continuer à s'alimenter malgré l'inflation. En revanche, à moyen-long terme, on ne pourra pas produire plus tout en renforçant l'autonomie et la résilience des exploitations. En effet, accroître la production c'est aujourd'hui accroître la dépendance de notre système alimentaire aux importations d'intrants azotés, de céréales et d'oléo-protéagineux. Les systèmes les plus intensifs, particulièrement sujets à ces dépendances, sont loin d'être plus résilients que les exploitations extensives, davantage autonomes. Vouloir produire plus c'est aussi, dans certaines filières et notamment en élevage, entraîner les exploitations dans une course à l'agrandissement et à la capitalisation qui endette toujours plus les agriculteurs, alors même que leurs revenus n'augmentent pas, mettant ainsi en danger leur retraite. Ce moment historique est donc l'occasion unique d'accélérer la transition, de repenser complètement notre système alimentaire pour le rendre plus souverain et plus résilient. Si dans une logique de souveraineté alimentaire il faut certes produire plus pour limiter les importations, ceci n'est vrai qu'à consommation constante. Or les préconisations de nombreuses instances nous incitent aujourd'hui à réduire la consommation de viande, pour des raisons de santé publique comme d'écologie. Le premier débouché des grandes cultures et des oléo-protéagineux étant l'alimentation animale, cela permettrait de gagner énormément en souveraineté face à l'exigence de nourrir la population française, voire européenne. Par ailleurs, Produire davantage de légumineuses engendrerait un cercle vertueux, car insérer ces cultures dans les rotations permettrait de réduire l'utilisation d'engrais azotés.

Alors que, jusqu'à présent, toutes les politiques publiques agricoles et alimentaires ont été essentiellement tournées vers la production, il faut désormais développer des politiques fortes visant à réorienter la consommation des ménages : chèques alimentaires, taxes, réglementations en matière de marketing, etc. Selon une étude récente de l'Institut for climate economics (I4CE), 90% des revenus du système agricole et alimentaire sont assurés par les achats des consommateurs : ceux-ci constituent une clé essentielle d'une agriculture plus souveraine et résiliente.

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Commentaires 18
à écrit le 22/03/2022 à 11:17
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0n a un gros pépin qui arrive, on risque de manquer de céréales, on a encore le temps de semer du blé de printemps, puis tournesol (Huile) maïs voire millet. Ces jachères se sont bien reposées, ça fera de belles récoltes. Quand aux écolos machins...

à écrit le 16/03/2022 à 13:08
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Comme chaque année, la France est de loin l’État membre qui en bénéficie le plus 9,5 milliards d'euros d'aides agricoles en 2019.Une seule question, ou passe le pognon ?

à écrit le 16/03/2022 à 8:12
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C’est une question qui ne se pose plus, puisque nous allons voir un "ouragan de famines » selon l’expression de la FAO, cette année. dès lors, bien sûr qu’il faut produire plus (et mieux). Il reste cependant dans nos sociétés des rêveurs qui ne compr...

à écrit le 15/03/2022 à 19:42
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La France n'a pas a produire plus mais a produire mieux pour être le plus autonome possible! L'export ne peut concerner que le surplus et permettre l'échange!!

à écrit le 15/03/2022 à 18:43
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Comment peut-elle produire plus puisqu'elle est muselée par les normes dont ses voisins se passent.

à écrit le 15/03/2022 à 16:19
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Les nombreux efforts de nos politiques et institutions européennes ont permis la disparition de 80% des agriculteurs....chercher l erreur Bon nombre des entreprises et coopératives agricoles, agroalimentaire et équipements agricoles ont investi dans...

le 15/03/2022 à 17:20
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Les agriculteurs sont moins nombreux car plus riches (cf. taille des exploitations, mécanisation, pesticides, surpopulation animale, etc). Par ailleurs, ils ne paient plus l'ISF grâce à Macron!

à écrit le 15/03/2022 à 14:55
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La France de Macron agent des américains (young leader) a complètement perdu les pédales, voilà ce que lui rappelle un Philippe Murer sur le nucléaire: « Il y a quelques années, vous vouliez supprimer 14 centrales nucléaires et maintenant...

à écrit le 15/03/2022 à 14:43
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Evidemment qu'il faut d'urgence produire plus et orienter les productions vers ce qui, va se raréfier, céréales... Comment se fait-il que le gouvernement ne réunisse pas les instances agricoles à ce sujet?

à écrit le 15/03/2022 à 14:36
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Trop d'élevage de bovins en France source de gaz à effet de serre...

le 15/03/2022 à 16:25
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Vous avez 100% raison , les dinosaures ont disparus a cause du méthane qu ils produisaient !!! C est scientifiquement prouvé par la cancel culture !!!! Le trafic aérien ,les bateaux de croisière, les pistes de ski, terrains de foot sont il plus ver...

à écrit le 15/03/2022 à 14:30
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pour macron et sa start up nation de mendiants de subventions, un kilo octect a plus de valeur qu'un kilo de patates

à écrit le 15/03/2022 à 14:28
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On peut produire plus et mieux en France Commencons par arreter de subventionner les jacheres et donnons la priorite à l'alimentation pas aux metaneries où on voit de beaux aliments detruits .iL FAUT aussi revoir les subventions aux agriculteurs ...

à écrit le 15/03/2022 à 14:05
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pour cela il faut un bon ministre a plein temps ! il est temps de rendre l agriculture aux agriculteurs ) le DIRCA ) opacité sur les très gros salaires des responsables de coopératives agricoles de 200000 a 350000 par an (ouest France du 29/ ...

à écrit le 15/03/2022 à 13:07
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Si produire plus, c'est pour favoriser l'alimentation animale ou élaborer des bio carburants, c'est pas trop intelligent. Produire mieux et plus pour nourrir les gens c'est mieux. Produire plus à tout prix pour alimenter la spéculation :Niet.

à écrit le 15/03/2022 à 13:07
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Si produire plus, c'est pour favoriser l'alimentation animale ou élaborer des bio carburants, c'est pas trop intelligent. Produire mieux et plus pour nourrir les gens c'est mieux. Produire plus à tout prix pour alimenter la spéculation :Niet.

à écrit le 15/03/2022 à 12:17
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Au moment où la vente de produits bio piquent du nez, il n’y a aucun intérêt à y consacrer 25 % des terres agricoles sinon à vouloir contraindre les consommateurs à manger bio quel que soit le prix de ces produits ou à être dépendant d’importations d...

à écrit le 15/03/2022 à 11:34
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Ben disons qu’elle doit produire plus de blé et beaucoup moins de maïs vu que nous n'en consommons que très peu et que nous ne sommes pas des poules, il n'y a donc rien à faire en théorie si ce n'est déplaire aux actionnaires milliardaires qui possèd...

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