Entre 1,50 et 2 euros par mètre carré. Depuis l'entrée en vigueur en 2016 de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, c'est la somme que doivent obligatoirement débourser les aménageurs publics ou privés lorsque les terrains sur lesquels ils bâtissent perdent leur vocation agricole. Calculée en fonction de la valeur agronomique des terres et de leur superficie, cette taxe dénommée « compensation agricole collective s'ajoute aux indemnités dues à l'exploitant évincé. Elle est censée contrebalancer les effets négatifs de la construction d'une route ou d'un lotissement sur l'économie paysanne.
Le texte prévoit que le payeur a toute latitude pour affecter son montant pour peu qu'il justifie d'un intérêt pour la filière agricole. Concrètement, il peut indifféremment aider à la mise en place d'un abattoir de proximité, à celle d'un drive fermier, d'une unité de méthanisation ou encore à la remise en état de terres incultes. A première vue, l'intention semble louable. Mais le législateur, outre qu'il n'a pas prévu de sanction pour les contrevenants, a omis un autre point de détail. Sur le terrain, les aménageurs ont toutes les peines du monde à identifier des projets finançables.
Ces millions qui attendent de trouver preneurs
Résultat, un peu partout en France, des sommes rondelettes restent consignées dans les préfectures. En Normandie, par exemple, plus de 4 millions d'euros collectés depuis 2016 attendent de trouver preneurs. Une incongruité dans une région soumise à forte pression foncière pour Emmanuel Hyest, président de la Safer : « Tous les ans, une surface de la taille de la ville de Caen disparaît sous le béton avec des conséquences énormes sur la perte de biodiversité ou le ruissellement », rappelle-t-il à toutes fins utiles.
La Safer et la Chambre d'agriculture de Normandie pensent avoir trouvé un moyen d'empêcher cet argent de dormir. Epaulées par la Région et la communauté urbaine de Caen, elle viennent de donner naissance à une association de préfiguration qui débouchera, d'ici quelques mois, sur la création d'un Groupement d'Intérêt Public (GIP). Premier du genre à cette échelle en France métropolitaine*, ce GIP aura en quelque sorte un rôle de go between.
"Un ralentisseur de plus"
Comme l'explique le président de la chambre d'agriculture du Calvados, il a vocation à mettre en relation les promoteurs ou les collectivités soumis au mécanisme de compensation avec des porteurs de projets agricoles. « Il s'agit de les conseiller pour favoriser l'émergence de projets collectifs, créateurs de valeur ajoutée pour toute l'économie agricole », détaille Jean-Yves Heurtin. Autrement dit, il n'est pas question de gendarmer les aménageurs qui resteront libres de choisir l'affectation des fonds comme le prévoit la loi.
« Le dispositif vient en complément des mesures consistant à éviter et réduire. C'est un ralentisseur de plus pour inciter les maîtres d'ouvrage à se responsabiliser », précise Guillaume Jouan, chef du service études et collectivités à la Safer. Message reçu cinq sur cinq à la communauté urbaine de Caen dont le président salue l'initiative. « C'est un premier pas utile et important, commente Joël Bruneau. L'objectif du zéro artificialisation est noble mais se confronte à des intérêts divergents. Nous avons besoin de ces systèmes qui poussent à la vertu. » L'enjeu n'est pas mince pour la campagne normande, ce grenier français où quelque 40.000 hectares de terres cultivables ont disparu au cours des vingt dernières années, Emmanuel Hyest dixit.
*Seul le département de l'Isère a mis en place un dispositif comparable
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