Ce n'est pas une surprise, mais c'est une première. Le méthane (CH4), ce gaz responsable d'un quart du réchauffement depuis l'être pré-industrielle et longtemps délaissé, se taille enfin une place de choix dans la gouvernance internationale sur le climat aux côtés du dioxyde de carbone (CO2). Pour cause, la réduction de ses émissions s'avère non seulement « nécessaire », mais offre des leviers parmi « les plus rapides » et « les plus rentables » pour garder sous contrôle la hausse des températures, répète l'ONU à l'envi. Alors que les pistes pour chasser le CO2 promettent elles d'être extrêmement complexes, le discours n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd : 103 Etats réunis à la COP26 de Glasgow ont rejoint mardi un « pacte global » afin de s'y attaquer. Débouchant sur l'un des premiers accords de cette nouvelle conférence internationale des Nations-Unies, cinq ans après l'engagement pris à Paris de limiter les températures sous les +2°C, si possible +1,5°C, d'ici à la fin du siècle.
Conscients du problème, les Etats-Unis avaient lancé les premiers jalons de ce partenariat dès le 17 septembre, en annonçant à cet égard se rapprocher de l'Union européenne. Joe Biden avait alors appelé le monde entier à afficher « ses plus grandes ambitions » en la matière, pour s'unir en vue de la COP26. Neuf pays avaient répondu favorablement, parmi lesquels la Grande-Bretagne, l'Indonésie ou encore le Mexique. Avant d'être rejoints par des dizaines d'autres, dont l'Allemagne, l'Argentine ou le Canada. Concrètement, les Etats signataires s'engagent à réduire « d'au moins 30% d'ici à 2030 » les émissions mondiales de méthane, sans pour autant tracer une feuille de route précise.
Plus réchauffant, mais moins longtemps
Mais les parties concernées ne couvrent, pour l'heure, que la moitié environ des émissions actuelles de CH4 sur le globe. La Chine, la Russie et l'Inde, des « superémetteurs » qui représentent à eux seuls 1/3 d'entre elles, font figure de grands absents. Et ce, quelques jours après que le Washington Post a révélé que le chiffre de 4 millions de tonnes d'émissions de CH4 en Russie en 2019 rapporté par Moscou pourrait en réalité être deux ou trois fois plus élevé.
« J'encourage tous les pays à nous rejoindre. C'est la stratégie la plus efficace que nous avons pour ralentir le changement climatique à court terme », a ainsi signalé Joe Biden lundi à la tribune du sommet des dirigeants.
Pour cause, si le méthane s'avère 25 fois plus réchauffant que le CO2 sur une échelle de cent ans (et 80 fois plus sur une échelle de vingt ans), un atout considérable le distingue du gaz carbonique : il reste beaucoup moins longtemps dans l'air. Par conséquent, les actions entreprises dès maintenants pourraient porter leurs fruits presque immédiatement, contrairement à celles sur la réduction du CO2, voué à perdurer dans l'atmosphère pendant des décennies quelle que soit la politique entreprise aujourd'hui. Ainsi, selon l'ONU, réduire de 45% le méthane d'origine humaine au cours de cette décennie permettrait d'éviter un réchauffement de près de 0,3°C d'ici à 2040, et jusqu'à 0,8°C d'ici à la fin du siècle.
Fuites de l'industrie pétro-gazière
Pourtant, les émissions de CH4 progressent. Selon les calculs du consortium Global Carbon Project, elles se sont élevées à près de 600 millions de tonnes en 2017, soit 50 millions de plus que durant la période 2000-2006, au cours de laquelle ses concentrations étaient relativement stables dans l'atmosphère. Aujourd'hui, elles atteignent plus de deux fois et demi le niveau préindustriel, et atteignent un niveau inédit depuis au moins 800.000 ans, affirme le GIEC.
Et le rythme ne cesse de s'accélérer, en même temps que le boom de certains secteurs. En premier lieu de l'agriculture et de l'élevage, responsables de 40% des émissions anthropiques de CH4, via les phénomènes de fermentation lors de la digestion du bétail. Les bovins sont particulièrement ciblés : l'estomac des vaches digère facilement le fourrage et la cellulose, mais elles émettent de grandes quantités de méthane. Avec plus de 60 millions de ces bêtes, souvent enfermées dans des « giga-fermes » de dizaines d'hectares, les Etats-Unis sont loin d'y être étrangers.
L'impact du secteur pétro-gazier n'est pas non plus à négliger, avec 35% des émissions de CH4 - soit 80 millions de tonnes dans l'atmosphère en 2019 contre 62 millions de tonnes en 2000, selon le dernier baromètre de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Un phénomène accru par les fuites de méthane lors de la production, du transport et de la distribution - appelées émissions « fugitives », des énergies fossiles.
Nouvelle réglementation sur les puits existants
Et c'est précisément par ce bout que le monde compte prendre le problème. Car selon l'ONU, jusqu'à 80% des mesures d'atténuation dans le secteur du pétrole et du gaz pourraient être mises en œuvre à un coût très faible... sans avoir à fermer de sites d'extraction gazière et pétrolière. La clé : une meilleure détection et une réparation des fuites issues de ces exploitations.
« C'est le point de départ le plus rentable et techniquement faisable », commente Daniel Zavala-Araiza, expert scientifique senior au Fonds de défense de l'environnement (EDF).
Ainsi, l'Agence de protection de l'environnement des Etats-Unis (EPA), qui se veulent précurseurs, a annoncé mardi une nouvelle réglementation en la matière. Celle-ci pousserait les sociétés pétrolières et gazières à détecter, surveiller et réparer plus précisément les fuites de méthane des puits, pipelines et autres équipements nouveaux et existants. De quoi réduire de 41 millions de tonnes d'émissions de méthane de 2023 à 2035... soit plus de gaz à effet de serre que tout le dioxyde de carbone émis par toutes les voitures particulières et les avions commerciaux américains en 2019, fait valoir l'EPA.
Mais cela ne suffira pas. Car selon le groupe d'experts climat de l'ONU (GIEC), les émissions de méthane devraient être abaissées de moitié dans le monde d'ici à 2050 pour rester dans les clous de l'accord de Paris. Il sera donc nécessaire de s'attaquer également aux émissions du secteur agricole. C'est pourtant l'acte manqué de cet accord, déplorent 24 ONG environnementales issues de différents pays. Dans une déclaration conjointe, elles regrettent un engagement « positif mais insuffisant », qui donnerait au secteur agricole un « laissez-passer pour continuer à émettre ». Et pour cause, l'inverse impliquerait de lancer un chantier de taille : celui de repenser le modèle agro-alimentaire.
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