Grand oublié du climat, le méthane dans le viseur de Washington et Bruxelles

Droit dans sa ligne d’un retour des Etats-Unis sur la scène climatique, le président américain, Joe Biden, a dévoilé vendredi dernier un projet d'accord avec l'Union européenne sur la réduction des émissions de méthane, appelant le monde entier à afficher « ses plus grandes ambitions » en la matière. Mais alors que les rejets dans l’atmosphère de ce gaz au pouvoir très réchauffant trouvent leurs sources dans des secteurs en plein boom outre-Atlantique, le passage à l’acte risque de s’avérer très compliqué.
Marine Godelier
Selon les calculs du consortium Global Carbon Project, les émissions de méthane se sont élevées à près de 600 millions de tonnes en 2017, soit 50 millions de plus que durant la période 2000-2006.
Selon les calculs du consortium Global Carbon Project, les émissions de méthane se sont élevées à près de 600 millions de tonnes en 2017, soit 50 millions de plus que durant la période 2000-2006. (Crédits : EVELYN HOCKSTEIN)

Cinq mois après son sommet international sur le climat, signe du retour des Etats-Unis dans le combat contre le réchauffement, son président, Joe Biden, continue d'essaimer les promesses. En partant cette fois-ci à la chasse à un autre gaz que le dioxyde de carbone (CO2), moins connu, mais aux effets tout aussi redoutables : le méthane (CH4).

« Nous travaillons avec l'Union européenne et d'autres partenaires [...] sur une promesse mondiale de réduction des émissions de méthane d'au moins 30% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020 », a-t-il ainsi annoncé vendredi dernier lors d'un sommet virtuel avec la présidente de la Commission européenne, le chef de l'ONU et les dirigeants de plusieurs grandes économies de la planète.

Pour cause, si les émissions de méthane ne représentaient en 2019 « que » 10% de toutes les émissions anthropiques de gaz à effet outre-Atlantique, le CH4 est en fait 25 fois plus réchauffant que le CO2 sur une échelle de cent ans... et 80 fois plus sur une échelle de vingt ans.

Résultat : selon le GIEC (groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat), ses émissions devraient être réduites de près de moitié dans le monde d'ici à 2050 pour rester dans les clous de l'Accord de Paris (c'est-à-dire sous le seuil de +2°C, si possible +1,5°C, d'ici à la fin du siècle).

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A six semaines de la prochaine réunion internationale de l'ONU sur le climat (COP26), qui se tiendra en novembre à Glasgow (Ecosse), le message de Joe Biden est clair : Washington et Bruxelles entendent y marquer le coup. Et espèrent un effet d'entraînement, en exhortant le monde à afficher « ses plus grandes ambitions » en la matière. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, qui participait à la réunion, s'est déjà engagé à ce que le Royaume-Uni soit un des premiers signataires de cet accord.

L'élevage pointé du doigt

Mais comment comptent-ils s'y prendre concrètement ? Car loin des discours ambitieux, le monde ne semble pas prêt de prendre cette direction. Selon les calculs du consortium Global Carbon Project, les émissions de méthane se sont élevées à près de 600 millions de tonnes en 2017, soit 50 millions de plus que durant la période 2000-2006, au cours de laquelle les concentrations de CH4 étaient relativement stables dans l'atmosphère. Aujourd'hui, elles atteignent plus de deux fois et demi le niveau préindustriel, et sont au plus haut depuis 800.000 ans, affirme le GIEC.

Et le rythme ne cesse de s'accélérer, en même temps que le boom de certains secteurs. En premier lieu de l'agriculture et de l'élevage, responsables de plus de la moitié des émissions anthropiques, via les phénomènes de fermentation lors de la digestion du bétail. Les bovins sont particulièrement ciblés : l'estomac des vaches digère facilement le fourrage et la cellulose, mais elles émettent de grandes quantités de méthane en rotant, et ce, quelle que soit leur alimentation. Avec plus de 60 millions de ces bêtes, souvent enfermées dans des « giga-fermes » de dizaines d'hectares, les Etats-Unis sont loin d'y être étrangers.

« Dans ce contexte, il y a deux solutions : diminuer le cheptel et passer à un modèle agro-écologique, ou capter à grande échelle le méthane dans des digesteurs, qui transforment les effluents animaux et les déchets en biogaz », explique Jérôme Boutang, directeur du Centre d'études de la pollution atmosphérique (Citepa).

Si la première option implique un changement de modèle considérable, nécessitant un glissement culturel et l'accompagnement fort des agriculteurs, la seconde présente de nombreuses limites. Car si les Etats-Unis sont plus avancés que l'Union européenne dans l'installation de digesteurs à biogaz, c'est parce que l'élevage intensif favorise leur mise en place. « En France, les exploitations sont atomisées, beaucoup sont de taille modeste. Il faudrait alors autant de digesteurs que de petites fermes, et même là, il serait difficile de récupérer massivement le biogaz produit », développe Jérôme Boutang. Dans ces conditions, reste à savoir si le modèle à suivre est celui des gigantesques exploitations, pourvues d'immenses digesteurs qui absorbent le méthane, mais aux impacts néfastes sur la biodiversité et le bien-être animal.

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Les Etats-Unis englués dans le gaz

En réalité, c'est par un autre biais que le monde espère réduire ses émissions de méthane - du moins dans un premier temps. Car l'estomac des vaches n'est pas le seul en cause : l'extraction, le traitement et la distribution du pétrole et du gaz représentent également une source considérable d'émissions de méthane, à l'origine de 80 millions de tonnes dans l'atmosphère en 2019, contre 62 millions de tonnes en 2000, selon le dernier baromètre de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Le gaz naturel, y compris de schiste, principalement composé de CH4, est notamment pointé du doigt. Seulement voilà : le monde en est de plus en plus friand, y compris pour des raisons climatiques : il émet moins de CO2 que le pétrole lors de sa combustion.

Ainsi, près de 40 % du secteur électrique américain en dépend (bien plus que toutes les autres sources d'énergie), et la production nationale a encore augmenté de 10% en 2019, battant un nouveau record. La demande intérieure ne suffit plus à consommer de tels volumes : le pays est devenu exportateur net par gazoduc et par navire sous forme liquide. Des unités géantes ont ainsi été construites au Texas et en Louisiane pour exporter du gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Asie et l'Europe. Résultat : en 2019, les États-Unis ont compté pour 23,1% de la production mondiale de gaz naturel selon le BP Statistical Review of World Energy.

« Atteindre -30% d'émissions de méthane d'ici à neuf ans seulement laisse supposer que les Américains entendent renoncent à des exploitations de gaz de schiste, sources de beaucoup d'émissions fugitives de méthane. Est-ce à dire qu'ils vont vraiment le faire ? », s'interroge Jérôme Boutang.

Des millions de puits abandonnés

Reste que, selon l'ONU, inverser la tendance n'exige pas forcément la fermeture de sites d'extraction gazière et pétrolière. L'industrie des énergies fossiles présente un grand potentiel de réduction des émissions de méthane d'ici à 2030, affirme-t-elle dans un récent rapport. La clé : une meilleure détection et une réparation des fuites issues de ces exploitations.

« C'est le point de départ le plus rentable et techniquement faisable », commente Daniel Zavala-Araiza, expert scientifique senior au Fonds de défense de l'environnement (EDF). En effet, selon l'ONU, jusqu'à 80% des mesures d'atténuation dans le secteur du pétrole et du gaz pourraient être mises en œuvre à un coût très faible, voire négatif, ce qui signifie que les entreprises gagneront de l'argent en prenant des mesures.

Mais alors que des décennies de forage pétrolier et gazier ont laissé derrière elles de nombreux puits abandonnés, dont plus de trois millions aux Etats-Unis selon les données de l'US Energy Information Administration, la tâche risque de ne pas être si facile. Si l'on en croit l'Environmental Protection Agency (EPA), ces puits laissés à l'abandon par les entreprises étaient à l'origine d'environ 29 % des émissions américaines de méthane en 2018. Soit 281 kilotonnes, l'équivalent en gaz à effet de serre de la consommation de près de 16 millions de barils de pétrole brut, selon un calcul de l'EPA. Si les Etats-Unis ont bien commencé à les reboucher, l'investissement sera colossal : le coût de la remise en état de chacun d'entre eux a été estimé à 76 000 $ - soit plus de 200 milliards pour l'ensemble des puits américains.

Marine Godelier

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Commentaires 6
à écrit le 26/09/2021 à 11:43
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On.attend que les industriels fassent l'effort il y a toujours autant de plastique, toujours autant d'emballages, toujours autant de perturbateurs endocriniens. L'heure des constats est passé on a tous internet maintenant il faut qu'ils agissent nos ...

à écrit le 24/09/2021 à 14:22
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J'ai bien peur que le parti des écologistes (les verts), nous empêchent d'évacuer librement et sans contrôle nos excés de flatulences (gaz intestinaux) sans payer une taxe. La taxe METHANE!

à écrit le 24/09/2021 à 12:23
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Visiblement les sous-marins nucléaires sont eux sur la green list de Oncle Joe.

à écrit le 24/09/2021 à 12:14
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Bref! Le méthane est un carburant a ne pas perdre!

à écrit le 24/09/2021 à 11:18
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Historiquement, il n'y a jamais eu de transition énergétique; mais accumulation de consommation : charbon + pétrole + nucléaire.

à écrit le 24/09/2021 à 7:41
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Réduire les émissions de méthane ne suffira pas, de toutes façons, le réchauffement climatique aura bien lieu. La dynamique du réchauffement est déjà enclenchée, et on voit bien que la consommation d'hydrocarbures ne faiblit pas. La population terres...

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