L'avenir que veut tracer le gouvernement pour garantir la souveraineté de l'Hexagone commence à se dessiner, et le nucléaire y a toute sa place. C'est même la « priorité n°1 » du plan d'investissement présenté mardi par Emmanuel Macron : mettre l'atome au coeur de la France de 2030. Pas question cependant, de décider de la construction de nouveaux EPR sur le territoire, alors que le chantier de Flamanville accumule les déboires et voit ses coûts exploser. Mais plutôt, loin de ces espoirs déçus, de « réinventer le nucléaire », en misant sur une technologie « innovante », « plus modulable » et « beaucoup plus sûre », qui porterait haut l'industrie tricolore dans le secteur. La promesse a de quoi séduire...
Elle a aussi de quoi interroger. Car si le chef de l'Etat prévoit de mettre 1 milliard d'euros sur la table pour développer des SMR, des petits réacteurs modulables du futur à la puissance en moyenne 9 fois inférieure aux EPR, son intention reste floue. Pour cause, il s'engage à « faire émerger en France, d'ici à 2030 des petits réacteurs avec une meilleure gestion des déchets ». Pourtant, le seul projet français de SMR en cours, « Nuward », dont la mise en service était déjà prévue dans une dizaine d'années, se base sur une technique similaire à celle des EPR (à eau pressurisée) et ne produit pas moins de résidus que ces derniers.
« L'idée, c'est aussi de voir un peu plus loin et de soutenir l'innovation sur les réacteurs avancés, de 4ème génération, qui permettent de réduire la quantité de déchets produite par le secteur nucléaire », défend-on au ministère de la Transition écologique.
Mais ces technologies sont « moins matures » et présentent plusieurs « verrous scientifiques », précise Philippe Stohr, directeur des énergies au CEA. Et seront probablement mises en route bien après 2030, donc.
Bataille géopolitique
Surtout, la technologie SMR serait en fait principalement destinée à l'export - après le lancement d'un premier démonstrateur en 2030 au sein des frontières de l'Hexagone. Pour cause, le projet Nuward, développé par EDF, le CEA, TechnicAtome et Naval Group, qui avait déjà reçu 50 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, a été pensé dans un but particulier : « remplacer des centrales à charbon fortement émettrices de CO2 », peut-on lire sur le site du CEA. Mais la France, elle, ne compte quasiment plus aucune usine de combustion d'énergie fossile sur son sol. D'autant que le maillage électrique hexagonal « est déjà adapté à supporter de grosses puissances nucléaires », quand les SMR serviront là où les réseaux font défaut, expliquait à la Tribune le responsable SMR au CEA, Jean-Michel Ruggieri, en mai dernier.
« C'est vrai que ça a été pensé pour l'export, mais on veut que ça soit versatile », fait valoir Philippe Stohr. « On pourrait imaginer, à long terme, des utilisations en France sur la production d'hydrogène, avec des SMR qui alimentent directement des électrolyseurs, ou une utilisation en réseau fermé pour produire de la chaleur industrielle. Et si vraiment, on aboutit à une technologie de rupture, pourquoi pas concevoir une utilisation pour créer des carburants de synthèse dans l'aviation, par exemple », ajoute-t-il.
Reste que l'ambition principale serait, au moins dans un premier temps, de « se positionner au niveau mondial » dans cette industrie naissante, précise-t-il. « Ce n'est pas avec les SMR qu'on va décarboner toute l'économie française. C'est un moyen de rester dans le jeu, de montrer qu'on investit dans le nucléaire d'avenir, alors que les pays se livrent à une bataille géopolitique sur le sujet », analyse Nicolas Goldberg, consultant senior Energy à Colombus Consulting. Au cabinet de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, on préfère parler de volonté de « ne se fermer aucune porte », pour « garantir notre souveraineté écologique ».
Pour cause, de nombreux acteurs sont dans les starting-block. Fin 2020, l'agence internationale de l'énergie atomique (IAEA) dénombrait 72 projets de SMR en développement ou en construction à travers 18 pays. Ils sont développés par de nombreux acteurs, allant des entreprises publiques, notamment en Chine et en Russie, à une multitude de start-up nord-américaines. Aujourd'hui aucun n'est encore en service, hormis la barge russe de Rosatom, opérationnelle depuis 2020.
Quid des EPR ?
Outre cette bataille pour garantir la puissance technologique de la France sur la scène internationale, le mystère reste donc entier sur l'avenir concret du parc nucléaire du pays. Et par là-même sur le futur du mix énergétique, alors que la demande en électricité devrait exploser. Selon les scénarios pour 2050 du gestionnaire de réseau RTE, dont la publication officielle est prévue le 25 octobre, si l'Hexagone veut parvenir à 50% de production nucléaire dans 30 ans, il devra construire, en plus de mettre en route une quinzaine de SMR à la puissance marginale, « à peu près 14 EPR », et « prolonger certaines tranches nucléaires au-delà de 60 ans ». Pour savoir si la France entend emprunter ce chemin, « il est sûr qu'il y aura des décisions à prendre rapidement », commente Philippe Stohr.
Reste que l'exécutif, conscient de la chute de popularité de ces réacteurs 3ème génération du fait des échecs successifs de l'EPR de Flamanville, a repoussé l'arbitrage après la mise en service de ce dernier, prévue fin 2022. Et s'il semble préparer les esprits à un retour en force de l'atome, Emmanuel Macron « ne s'exprimera pas sur l'avenir du nucléaire » dans le pays « avant la sortie du rapport de RTE », précise-t-on au ministère de la Transition écologique. Pourtant, avant même toute décision, le syndicat professionnel de l'industrie nucléaire française (Gifen), lui, est déjà dans les starting-block pour permettre à la filière de mettre en service six nouveaux EPR sur le sol français d'ici à 2035.
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