Depuis le début de l'année 2022, les courriers commencent à s'accumuler sur les bureaux de l'exécutif. Avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, les associations d'élus locaux ont écrit au ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance, au Premier ministre et au président de la République pour les alerter sur la hausse, et surtout les conséquences, des prix de l'énergie dans les collectivités territoriales.
Tour à tour, les intercommunalités de France (ex-AdCF), l'association des maires de France (AMF), l'association des petites villes de France (APVF) et la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ont demandé à Bruno Le Maire, Jean Castex et Emmanuel Macron de bloquer le prix du gaz ou de bénéficier d'une « dotation énergie ». Objectif : limiter le poids sur leur budget et pouvoir financer des politiques dédiées.
Jusqu'à 300% d'augmentation !
« Des efforts ont été faits en direction des particuliers et des entreprises, mais cela touche peu les collectivités », souligne ainsi le président (PS) de l'APVF, Christophe Bouillon. Les ménages français bénéficient en effet d'un chèque énergie, d'un bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité et d'une baisse de prix sur les carburants, regrettent les maires et les présidents de département, interrogés par La Tribune.
« Des collectivités arrivent jusqu'à 300% d'augmentation ! Des hôpitaux sont en cessation de paiement, des piscines municipales sont obligées de fermer... Comment va-t-on absorber ces charges sans augmenter les tarifs des services publics gérés ? », s'interroge Guy Hourcabie, vice-président de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et maire (PS) de Toury-Lurcy (Nièvre, 416 habitants).
Même tonalité du côté de Fercé-sur-Sarthe (593 résidents, Sarthe). Le premier vice-président (Sans étiquette) des maires ruraux (AMRF) y a réduit l'éclairage public depuis un mois, mais la note d'électricité de l'école grimpera, en 2022, a minima de 12.000 à 17.000 euros.
« Nous sommes un peu pris à la gorge. Notre capacité d'autofinancement se réduit et, par effet domino, cela grève notre capacité à porter des investissements », déclare Dominique Dhumeaux.
« Cette charge importante va détériorer tous les ratios de remboursement de la dette, de capacité d'autofinancement et donc d'emprunt à des bons taux », témoignait, dès le 27 janvier à La Tribune, le président (LR) de l'association des maires de France David Lisnard.
Une circulaire aux ministres et aux préfets le 13 avril
Quelle que soit la taille de la commune, les fiscalités locales sont en effet déjà très impactées. « Dans mon budget, j'ai mis 40% de hausse, mais en réalité, je ne sais pas. Aujourd'hui, je n'ai pas les moyens de rénover tous les bâtiments. Tout dépendra des dotations, des subventions et des financements que nous pourrons obtenir », affirme Bertrand Hauchecorne, maire (Sans étiquette) de Mareau-aux-Prés (Loiret, 1.250 habitants).
Vice-président des Maires de France chargé de la Transition écologique et des Finances chez les Maires ruraux, ce mathématicien plaide pour la définition d'un « modèle de développement économique rural » avec des « budgets verts » adaptés à chaque commune pour l'aider à « affronter la transition écologique ». « Nous allons voir comment le gouvernement va nous tendre la main », ajoute Bertrand Hauchecorne.
En réponse à ces doléances, le Premier ministre a adressé, le 13 avril, une circulaire aux ministres et aux préfets ayant pour objet l'« ajustement des conditions de chauffage des bâtiments de l'État, de ses opérateurs et [l']accompagnement des projets en cours permettant des réductions de consommation de gaz ».
« Vous veillerez à l'application des mesures prescrites par la circulaire pour ajuster la température de chauffage des bâtiments de l'Etat et de ses opérateurs. Vous inciterez les collectivités territoriales et les acteurs économiques à appliquer des mesures similaires », écrit Jean Castex.
Des baisses de chauffage à court-terme, de la rénovation à moyen-terme
Les préfets de région et de département doivent donc « encourager et valoriser la mise en œuvre de dispositions » permettant de contribuer à la réduction de la consommation énergétique et en particulier d'énergies fossiles. « L'application sur le parc des collectivités territoriales peut permettre une économie d'énergie et une maîtrise sensible des niveaux de chauffage des collectivités volontaires », est-il encore précisé.
« Nous avons déjà baissé le chauffage des gymnases de 17 à 15°C et même coupé dans les bâtiments administratifs comme la mairie », réplique Jérôme Baloge, maire (Parti radical) de Niort (Deux-Sèvres, 58.952 résidents) et président du groupe de travail sur la transition écologique de l'association d'élus Villes de France (les villes moyennes, Ndlr).
Il est ainsi demandé aux représentants de l'Etat de réunir les élus locaux afin de leur présenter les mesures prises : baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TIFCE), plafonnement du tarif réglementé, financements disponibles pour des travaux de rénovation et de réduction de consommation ... Les hauts fonctionnaires doivent aussi les accompagner dans leurs démarches vis-à-vis des fournisseurs d'énergie.
« Les maires se sont déjà mobilisés. Toutes les mesures indiquées sont des mesures de moyen et de long-terme », rétorque le président (PS) des Petites villes de France. « Sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) fléché vers la rénovation thermique, beaucoup n'en ont pas bénéficié car ils n'avaient pas encore réalisé de diagnostic », poursuit Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime, 12.250 habitants).
Réduire les dépenses, renoncer à des projets... augmenter les impôts ?
D'autres édiles certifient, en revanche, « avoir anticipé ces évolutions » en rejoignant la démarche des « territoires à énergie positive » qui incite à faire de la rénovation globale. « L'investissement est un peu plus lourd, mais nous avons trouvé des cofinancements avec le département, la région et l'Etat qui permettent de compenser les surcoûts », assure Michel Maya, maire (EELV) de Tramayes (Saône-et-Loire, 1.056 habitants).
Sauf que le problème est le même dans les conseils départementaux. « Il existe un effet fort et immédiat sur les dépenses de chauffage des bâtiments départementaux, de la même façon qu'il y a un renchérissement dans les travaux publics et le transport des personnes handicapées », dit-on à l'Assemblée des départements de France. Par exemple, une facture de 350.000 euros pour les collèges de la Nièvre, avance Guy Hourcabie, maire de Toury-Lurcy.
Toujours est-il que pour résoudre cette équation budgétaire a priori insoluble, les élus locaux vont devoir réduire leurs dépenses de fonctionnement et renoncer à des projets d'investissement, voire augmenter leurs impôts locaux. D'autant que la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la « maîtrise du rythme des dépenses de fonctionnement » des collectivités territoriales sont à l'ordre du jour.
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