Un an après la promulgation de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), le sujet « reste encore une affaire de pionniers », regrette l'Institut national de l'économie circulaire (INEC) dans une étude publiée le 7 avril. Associé au cabinet OPEO, l'organisme a interrogé plus de soixante industriels de toutes tailles et de tous secteurs, afin de comprendre comment leur permettre de sortir du modèle économique linéaire.
Ce n'est pourtant pas la volonté qui manque, avance le rapport. Ni celle des industriels, parmi lesquels « 85% considèrent l'économie circulaire comme une véritable opportunité pour l'industrie d'accroître la compétitivité et de conquérir de nouveaux marchés », rapporte l'INEC. Ni celle des pouvoirs publics, puisque « sur les 100 milliards de plan de relance, 35 sont consacrés au financement de cette évolution », se félicite Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Économie chargée de l'Industrie, en préface de l'étude.
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Mais dans les faits, les chiffres détonnent avec les ambitions affichées. 36% des industriels intègrent réellement la circularité dans leur stratégie, dont près de 20% seulement via une feuille de route pilotée. Ce n'est pas mieux si l'on se concentre sur l'amont : les trois-quart ne repensent pas le design de leurs produits dans une démarche d'éco-conception, au-delà de la recyclabilité et de la réduction des coûts. Et dans les usines, une part encore infime des pertes d'énergie est récupérée et valorisée. « La plupart des actions se focalisent sur la gestion des déchets et les économies d'énergie. A contrario, les actions structurantes touchant au modèle économique sont faibles », souligne les auteurs.
Une empreinte gigantesque
Pourtant, « les modèles classiques sont à bout de souffle », assure François-Michel Lambert, son président. « Extraire des ressources, produire et vendre des biens avec un design centré sur un usage unique du produit et une rentabilité donnée : il faut revoir ce schéma », insiste le député, alors que l'industrie est responsable de près de 40% des émissions de gaz à effet de serre. D'autant que les modes d'extraction et de production à l'œuvre appauvrissent les sols et dégradent la biodiversité, alerte l'INEC.
Les téléphones portables sont emblématiques de ce gaspillage. Composés en moyenne de plus de 70 matériaux, dont l'extraction se fait principalement en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud, ils sont en pratique abandonnés « en moins de deux ans », rappelle l'étude. Quant au plastique en général, 79% finit en décharge ou rejeté dans la nature, quand 12% est incinéré, et 9% véritablement recyclé.
Sécuriser l'approvisionnement
Face à ce défi, permuter vers une industrie circulaire est primordiale, fait valoir François-Michel Lambert. Par exemple, en ré-utilisant la matière première, elle permet de réduire la dépendance à la fluctuation du prix de celle-ci, écrivent les auteurs. Et de rappeler qu'en 2020, les constructeurs de téléphone mobile ont dû reporter des lancements de nouveaux produits à la suite d'une pénurie de matériaux et d'une inflation.
A cet égard, la pandémie n'a pas freiné le mouvement : « elle a renforcé le besoin de sécuriser l'approvisionnement et de créer de la valeur dans les territoires pour plus de résilience, à travers leurs ressources physiques et humaines », affirme François Michel Lambert. « Après des années de désindustrialisation, l'industrie a retrouvé une place dans nos territoires, abonde Grégory Richa, associé au sein du cabinet OPEO. Appelant une deuxième transition, centrée sur la circularité, qui ouvre un champ des possibles immense pour repenser les usages et les modèles ».
Repenser toute la chaîne de valeur
Alors, pour montrer la voie, l'étude met en valeur des entreprises déjà avancées en la matière. Schneider, Sa3i ou encore Michelin : « l'idée est que ces pionniers deviennent des modèles, et imposent de nouveaux standards industriels grâce à un effet boule de neige », explique Grégory Richa.
Pour leur emboîter le pas, l'industrie doit « considérer l'ensemble de sa chaîne de valeur, au-delà du cœur d'usine, à travers une approche systémique et globale », préconise l'étude. Pour cause, la majorité de ses impacts résident dans des activités autres que la seule production. Pour celles en amont (chimie, agroalimentaire, luxe), 80 à 90% de l'empreinte carbone provient des modes d'extraction des ressources. Quant à celles des secteurs de l'automobile ou de l'électroménager, l'immense majorité trouve sa source dans l'usage même des produits.
« Il faut créer des boucles de circularité à plusieurs étapes du cycle de vie », recommande Grégory Richa. Par exemple, en augmentant la durée d'usage des produits, comme le fait l'entreprise d'équipement domestique SEB. « Elle offre des services de réparation à proximité des clients et garde un stock de 8 à 10 ans de pièces de rechange », précise le rapport. Ou bien en se positionnant sur un marché de seconde main, à l'instar de Black Star, qui propose des pneus rechapés au même prix que des pneus asiatiques neufs.
De nombreuses barrières
Mais pour changer d'échelle, les limites restent multiples. À la fois en interne - dans l'organisation et la chaîne logistique, et en externe - par la réglementation en vigueur. Pour plus de 40% des industriels interrogés, « les trois principaux freins sont liées à la capacité à trouver un modèle rentable, à la complexité de la mise en œuvre de chaîne logistique adaptée, et à des difficultés à atteindre la demande », rapporte l'étude. Alors que les plus petites entreprises se disent entravées par la capacité à trouver et exploiter des gisements, ou à accéder aux bonnes technologies, les plus grandes restent pénalisés par la rigidité de leur organisation et la complexité de leurs chaîne de valeur.
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« Il est nécessaire de supprimer les irritants pour qu'on ne se trouve jamais dans une situation où l'on envoie au recyclage des produits qui pourraient être reconditionnés, comme c'est le cas actuellement », alerte Emmanuel Ledoux, directrice générale de l'INEC. Elle souligne également le rôle de la taxonomie européenne en la matière, pour encourager les « investissements verts ». En France, le projet de loi climat en cours d'examen à l'Assemblée propose également de faire évoluer le Code de la commande publique vers une meilleure prise en compte des critères sociaux et environnementaux, avec la mise en place de « conditions relatives à l'environnement ».
Le principal frein reste l'absence de métriques, qui permettraient de mener des mesures d'impact. « C'est nécessaire pour savoir vers où on progresse. Mais si on a besoin d'un indicateur reconnu au niveau européen, les entreprises ne doivent pas l'attendre, et créer leur propre indice dans leur périmètre. Elles auront ainsi parcouru 50% du chemin » conclut François Michel Lambert.
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