« Les aides publiques nocives à la nature atteignent 500 milliards de dollars par an » Pierre Cannet, WWF

Alors que la COP15 sur la biodiversité est à nouveau reportée, le WWF (Fonds Mondial pour la Nature) appelle dans un nouveau rapport les gouvernements à diviser par deux l'empreinte écologique de l'humanité d'ici à 2030, et affirme que pas moins de 39 millions d'emplois pourraient être créés en redirigeant les subventions publiques néfastes à la nature vers la protection de celle-ci. Le directeur du plaidoyer de sa branche française, Pierre Cannet, revient pour La Tribune sur les principales recommandations de l'association.
Pierre Cannet en 2019 au sommet Movin'On sur la mobilité durable.
Pierre Cannet en 2019 au sommet Movin'On sur la mobilité durable. (Crédits : Photo by Neal Hardie 2019)

LA TRIBUNE - Qu'est-ce qui pousse le réseau WWF à publier aujourd'hui ce rapport, et à se focaliser sur les subventions dommageables à la biodiversité dans le monde ?

PIERRE CANNET - La date n'est pas choisie au hasard : le calendrier s'accélère sur la prise en compte de la biodiversité, et nous arrivons à un moment critique. D'abord, les négociations des Nations-Unies sur le sujet s'apprêtent à reprendre le 23 août prochain, à quelques semaines de l'ouverture du Congrès mondial de la nature de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille, qui aura lieu début septembre. Surtout, un nouvel accord international devrait être conclu après la COP15 sur la biodiversité en Chine, même si elle est reportée une nouvelle fois d'octobre 2021 à l'année suivante à cause de la crise sanitaire. Enfin, on se trouve dans un contexte fort autour de la relance de l'économie, qui soulève la question du fléchage des nombreux financements mobilisés. Tout ça après un été marqué par des catastrophes environnementales en cascade, qui alertent sur le besoin urgent d'agir.

Et pourtant, on remarque que le montant des subventions publiques nocives à la nature reste énorme : il s'élève à pas moins de 500 milliards de dollars par an. C'est l'OCDE elle-même qui le dit, dans le cadre de travaux menés en 2019. C'est d'autant plus inquiétant que ce chiffre est conservateur, et pourrait en réalité être bien supérieur.

Face à ce constat, l'idée de ce rapport est donc d'influencer le plus possible les pays, afin d'obtenir un accord ambitieux sur la protection de la nature. En France, nous avons fait parvenir au Premier ministre une demande précise : la sortie des subventions publiques dommageables à la biodiversité en marge de la préparation du budget 2022. Il est temps de passer aux actes : il y a dix ans, un rapport commandé par le gouvernement de l'époque listait déjà sur quelque 300 pages les aides nuisibles à la nature et proposait plus de 80 réformes visant à réduire, voire annuler, l'impact préjudiciable de ces aides [après que la Commission européenne a demandé en 2011 que, d'ici à 2020, on supprime « les subventions dommageables à l'environnement, en tenant dûment compte des incidences sur les personnes les plus démunies », ndlr]. Pourtant, rien n'a été fait depuis. En épluchant les politiques que la France est en train de préparer, que ce soit dans le cadre de la relance ou de la Politique agricole commune (PAC), on se rend compte qu'elle accorde seulement 0,25% de sa relance à une action de protection de la biodiversité.

Pour y remédier, il faut d'abord comprendre quels sont les problèmes, et y apporter des solutions, secteur par secteur : de l'agriculture à la pisciculture, en passant par l'économie circulaire ou la manière de construire des infrastructures.

Lire aussi 6 mnBiodiversité : le G7 fait un nouveau pas vers une finance « pro-nature »

Vous utilisez l'expression, au sujet de l'attribution des financements publics, de « pompier pyromane ». Les subventions de l'Etat sont aujourd'hui contradictoires en matière d'impacts sur la biodiversité ?

Oui, et plusieurs exemples l'illustrent. Dans l'agriculture, par exemple, la déclinaison française de la PAC, qui va orienter 9 milliards d'euros à nos agriculteurs, accorde de nombreux soutiens à une agriculture intensive et à l'utilisation de pesticides, avec un impact fort sur les pollinisateurs - plutôt que d'inciter à plus d'agroécologie. Pourtant, en même temps que ces aides qui enferment des agriculteurs dans des modèles faits de pesticides et de monocultures, d'autres outils ont été conçus pour soutenir la transition à l'agriculture biologique, et ont pu accompagner les paysans dans leur conversion, contribuant ainsi à la transition agroécologique.

On peut aussi citer la fiscalité très lourde sur le foncier non bâti en France, qui pousse les détenteurs de ces terrains à ne pas les conserver ou à les artificialiser, afin d'échapper à un rendement négatif et à une baisse de valeur du foncier agricole. Par ailleurs, en matière d'aménagement, l'Etat peut accompagner des collectivités territoriales dans le développement de zones commerciales ou pavillonnaires excentrées, conduisant ainsi à un étalement urbain... Et ce, alors même que la France s'est fixé, dans son plan biodiversité de 2018, un objectif de zéro artificialisation nette en 2050 !

Contre ces mesures contradictoires, il faut éplucher, dans le prochain Projet de loi finance (PLF), là où il sera possible d'opérationnaliser un nouveau fléchage des subventions. Pour réaliser au mieux cet exercice, le gouvernement devra travailler avec l'aide de l'observatoire national pour la biodiversité (ONB) et de la fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).

Vous vous intéressez également aux emplois qu'un changement de politique en la matière pourrait engendrer...

On a voulu essayer de comprendre dans quelle mesure, si ce changement est opéré, il contribuera ou non à soutenir l'emploi. L'objectif est de montrer qu'on peut à la fois sauver notre économie et protéger la nature, que les deux ne s'opposent pas. Le Forum Economique mondial s'était déjà plié à cet exercice l'an dernier, et avait conclu à la possibilité de créer 400 millions d'emplois sur dix ans, avec 10.000 milliards de dollars de création de valeur commerciale.

Dans la même lignée, nous avons fait appel au cabinet de conseil Dalberg afin d'analyser les créations secteur par secteur. Résultat : 39 millions d'emplois pourraient voir le jour si les gouvernements du monde entier décidaient d'affecter à la nature, dans le cadre de la relance, l'équivalent de ce qu'ils dépensent en un an dans des subventions dommageables à la biodiversité. D'abord dans l'agriculture, la pêche, et la sylviculture durables, mais aussi dans l'économie circulaire, par exemple.

Qu'en est-il des emplois qui seraient supprimés ?

Ce chiffre de 39 millions renvoie à une création brute, et non nette. Cela veut dire qu'il y aurait effectivement des emplois détruits, notamment pour l'extraction des matières ou dans certaines branches industrielles. Mais, en face, il y aurait plus d'emplois créés, et ce dans divers secteurs : agriculture biologique, pêche respectueuse, transformation et vente des produits, artisanat, ingénierie... Évidemment, il ne faut pas pour autant délaisser les autres, et l'enjeu est de réussir à former et à accompagner ceux dont les emplois seraient touchés, notamment les plus vulnérables, en réorientant les aides.

Vous plaidez pour une transformation radicale du modèle agricole. Comment peut-on, concrètement, basculer vers un modèle agroécologique, alors même que des milliers d'agriculteurs ont manifesté en France contre un possible fléchage des aides de la PAC vers des pratiques considérées plus vertueuses pour l'environnement ?

Demander à des personnes de changer complètement leurs pratiques, leur quotidien, n'est pas une mince affaire, ils doivent d'abord en avoir envie. Pour cela, ils faut qu'on puisse leur fournir les garanties qu'ils seront véritablement accompagnés dans la transition, même s'ils perdraient d'abord potentiellement des aides. Une majorité d'acteurs sur le terrain doit ainsi comprendre les bénéfices de ces changements, à la fois sur leurs revenus, sur la qualité de leur travail, mais aussi sur leur santé : on se rend compte aujourd'hui à quel point ces milieux sont touchés par des cancers liés à l'épandage de pesticides, par exemple.

Lire aussi 5 mnPAC : le gouvernement tranche, les paysans se déchirent

Car le but n'est pas seulement de favoriser les exploitations les plus vertueuses en matière de protection de la biodiversité, mais d'embarquer tout le monde, en les accompagnant financièrement, mais aussi techniquement, dans leur gouvernance, et dans leurs liens avec les autres acteurs. Ce changement doit être opéré à tous les échelons, dans une logique moins court-termiste que celle des élections, de manière à instaurer un dialogue autour des chambres d'agriculture, des élus et des agriculteurs eux-mêmes.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 20/08/2021 à 9:02
Signaler
J'espère que WWF milite avec force pour l'arrêt des subventions pour la filière éolienne qui aujourd'hui représente une des plus grande atteinte à l'environnement et à la nature.

le 20/08/2021 à 10:24
Signaler
Je les trouve plutôt jolies les eoliennes même les terrestres. C'est fin c'est élancé.

à écrit le 19/08/2021 à 23:36
Signaler
"Les banques financent la pollution, boycottons les banques." Greta Thunberg

à écrit le 19/08/2021 à 16:57
Signaler
En parlant d'aide : Les restaurateurs sont prévenus. Ils n'auront droit à "aucune aide de l’État" s'ils "ne jouent pas le jeu", avertit Bruno Le Maire. Lors d'une visite destinée à mettre en lumière le plan de relance français auprès des PME, le m...

à écrit le 19/08/2021 à 14:06
Signaler
C'est clair que les subventions dans les poches des associations de bienfaiteurs dont les dirigeants dissimulent leurs émoluments c'est plus sain pour la planète... Ce n'est pas comme si le capitalisme non faussé donnait un prix à la rareté.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.