La rupture était prévisible, tant les désaccords se creusaient depuis plusieurs semaines sur l'élaboration du Plan Stratégique National (PSN), déclinaison française de la future PAC pour 2023-2027. Alors que le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a présenté ce matin ses arbitrages concernant la répartition de ces aides européennes, plusieurs organisations ont « claqué la porte » de la visioconférence, en signe de leur désapprobation. Parmi elles, la Confédération paysanne, la Fédération nationale de l'agriculture biologique (Fnab), France Nature Environnement ou encore le WWF France.
« On a un sentiment de renoncement, de statu quo qui ne répond pas à l'urgence environnementale », a ainsi déploré Matthieu Courgeau, président du collectif « Pour une autre PAC », qui réunit toutes ces organisations.
En réaction, Julien Denormandie s'est défendu de tout « immobilisme » lors de sa présentation à la presse, et déploré leur attitude - préférant mettre en avant une recherche de « stabilité ». « Manifestement, c'était une décision organisée entre eux avant même d'avoir connaissance de mes arbitrages [...] Le débat politique meurt du simplisme », a-t-il avancé, évoquant une « organisation théâtrale pré-programmée ».
Des éco-régimes qui se veulent accessibles
Au cœur des dissensions se trouvent les fameux « éco-régimes », un nouveau mécanisme d'éco-conditionnalité des aides pour les agriculteurs. Une partie d'entre eux, notamment ceux du syndicat majoritaire la FNSEA, s'inquiètent de voir des subventions précieuses leur échapper du fait d'un manque d'avancées environnementales. A ce titre, ils demandent un dispositif « inclusif ». En revanche, d'autres exigent un modèle ambitieux et progressif, de manière à inciter les exploitants à plus de « verdissement ». Sans surprise, Julien Denormandie compte tendre vers la première option : « On se doit d'en faire un élément inclusif et simple, accessible à tous », a-t-il déclaré.
Une inconnue subsiste cependant : le ministre n'a pas déterminé le pourcentage de l'aide du premier pilier de la PAC (qui concerne celles allouées directement aux agriculteurs pour leur assurer un revenu minimum) alloué à ces éco régimes - le trilogue européen qui doit en déterminer le cadre général n'ayant pas encore statué sur ce point. « Cela pourrait être 20, 25, 30%... », a ainsi déclaré Julien Denormandie, en précisant que la décision devrait arriver la semaine prochaine. « On demande que la France s'autorise à aller au-delà du minimum européen, et monte jusqu'à 30 ou 40%. Le budget doit être suffisamment haut pour être incitatif », a réagi l'association France Nature Environnement.
AB et HVE seront alignés
Surtout, les organisations réunies dans le collectif « Pour une autre PAC » s'opposent à la voie d'accès aux aides par certifications. Concrètement, l'éco-régime permettra une entrée à un niveau d'aide supérieur, avec un alignement des labels Agriculture Biologique et Haute Valeur Environnementale 3 (HVE3) - ce dernier étant moins exigeant, donc moins contraignant. Et ce, alors que l'aide au maintien à destination des producteurs bio sera supprimée, dénoncent les syndicats.
« Ce matin lors du CSO, le ministre confirme qu'il va aligner les aides à la Bio sur les aides à la HVE, et l'arbitrage de 70 euros par hectare annoncé par le cabinet n'est pas remis en question ; ça veut dire 66% d'aides en moins pour les Bio, une perte moyenne de 132 euros par hectare et par an ! », a immédiatement dénoncé la FNAB. Et Loic Madeline, secrétaire national PAC à la FNAB, d'ajouter : « le gouvernement nous a toujours dit que jamais nous ne serions mis au même niveau que la HVE. Notre seule erreur a été d'y croire et de jouer le jeu de la négociation, pas celui de l'opposition. Cet arbitrage est une insulte aux agriculteurs et agricultrices bio ».
Mais pour Julien Denormandie, « cette guerre fratricide entre bio et HVE est un non-sens », alors même que les aides pour la Bio augmenteront, passant de 250 millions d'euros par an à 340 millions, a-t-il affirmé, réfutant les chiffres de la FNAB. « Certains voulaient plus, [...] mais personne ce matin n'a réussi à me montrer comment le financer de manière viable », a-t-il asséné. « Cela fait six mois qu'on travaille avec la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) sur des propositions concrètes, crédibles, dans des budgets qui tiennent dans ce qui est proposé par l'Union européenne ! », a réagi Loïc Madeline.
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