Les nouveaux business model de la mode nordiste

Dans le Nord, deux initiatives visent à réinventer le business model de la mode, en réapprenant des savoir-faire et en limitant les impacts carbone. D'un côté, le cluster de marques de la galaxie Mulliez a relocalisé une usine de jeans. De l'autre, l'Atelier Agile met en place un système de mode à la demande.
(Crédits : Gaëtane Deljurie)

« Cinq neuf ». Référence au département du Nord 59. C'est le nom de ce jean made in Hauts-de-France, assemblé à Neuville-en-Ferrain près de Roubaix. En toile 100% recyclée, il est vendu 59,59 euros dans les magasins Jules. Ces jeans seront les premiers d'une longue série puisque le site, baptisé Fashion Cube Denim Center, né du cluster de marques de la galaxie Mulliez, alimentera ensuite les enseignes Pimkie, Bizbee, Rouge-Gorge et Grain de Malice.

« Né dans la tête du chargé de projet Christian Kinner il y a quatre ans, il a fallu des clients assez fous pour tenter cette nouvelle aventure du made in France, où il a fallu tout réapprendre », soulignait lors de l'inauguration du site début avril, Jean-Christophe Garbino, CEO de Fashion Cube. L'investissement de 3 millions d'euros a été soutenu par la Métropole européenne de Lille (400.000 euros) et par le conseil régional des Hauts-de-France (400.000 euros).

L'automatisation y est très importante, dans l'optique de réduire les coûts de fabrication. Sur site, le tissu passe dans une ligne de coupe de la marque Electra, il est assemblé dans un espace comptant une cinquantaine de machines à coudre SIP Italy ou Brother, délavés et séchés dans des machines Tonello (à l'ozone et au laser, ce qui demande 40 fois moins d'eau).

Dupliquer en proximité

Si ce modèle économique s'avère rentable, Fashion Cube n'exclut pas de « dupliquer » des mini-usines locales, dans d'autres régions voire même à l'étranger. Surtout, le business model de ce jean impliquera de ne « produire que ce que nous serons en capacité de vendre, sans décote et sans résiduels en fin de collection, pour redonner toute sa valeur à un produit made in France et citoyen », a souligné Christian Kinner, ex-responsable RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) chez Pimkie et porteur du projet Fashion Cube. C'est donc une petite révolution dans l'univers de la mode, qui utilise des tissus à forte empreinte carbone, achète plus d'un an à l'avance des produits en très grosses quantités et où le discount fait partie du paysage.

Ce jean fabriqué dans le Nord souhaite également faire la part belle aux matériaux recyclés, pour générer une plus faible empreinte carbone. Si le tissu turc de ce premier modèle intègre une toile avec 81% de coton recyclé, 17% de polyester recyclé et 2% d'élasthanne recyclé, l'objectif est clairement de verser à terme dans l'économie circulaire. « À terme, on voudrait que les clients achètent un jean, puis nous le rapportent, une fois usé, afin que la matière soit ré-utilisée pour confectionner d'autres produits », poursuit le CEO de Fashion Cube.

Ne produire que ce qui est vendu

À Roubaix, l'Atelier Agile entame également sa révolution textile. Crée il y a un peu moins d'un an, il rassemble quatre acteurs du textile : deux industriels, avec le bonnetier nordiste Lemahieu et Les Tissages de Charlieu, basés dans la Loire, deux distributeurs nordistes avec Blancheporte Id Group (marques Okaïdi, Obaïdi, Jacadi, etc.) ainsi que l'association roubaisienne des professionnels du textile Fashion Green Hub.

L'objectif, cette fois, est de ne produire que ce qui a été vendu la semaine précédente afin de réapprovisionner au plus juste les sites de vente en ligne et les boutiques. Le modèle vise à mieux répondre à la demande et à mieux coller aux tendances... Sauf que cette fabrication en flux tendu impose de repenser entièrement la façon de produire des vêtements.

L'investissement est de taille, car les nouvelles machines représentent à elles seules 630.000 euros d'investissement (sur 850.000 au total) avec imprimante, sécheur, post-traitement, coupe automatique, 50 machines à coudre (piqueuse, surjeteuse, boutonnier, spécifique...). L'Atelier Agile a été soutenu financièrement par le conseil régional via une aide de 600.000 euros octroyée dans le cadre du PIA (Programme d'Investissements d'Avenir). Il a également été accompagné par la Métropole européenne de Lille (MEL), la mairie de Roubaix, l'ADEME (agence de la transition écologique) et Le Défi (organisme de soutien à la filière mode).

L'Atelier Agile n'est voué qu'à produire des collections textiles localement, en petites séries. Là encore, le concept pourrait être décliné ailleurs, dans l'optique de produire au plus près des lieux de consommation. « Notre objectif n'est pas de remplacer les méthodes d'approvisionnement actuelles, car nous n'avons ni les moyens ni toutes les compétences aujourd'hui pour réimplanter l'ensemble de la production », prévient Guillaume Aélion, directeur des opérations. « Dans les années 90, les Français portaient à 95% du made in France. Aujourd'hui, c'est à peine 3% alors qu'1% de production représente 4.000 emplois. Dans les dix ans à venir, il est certainement envisageable que la filière puisse relocaliser en France 20 à 25%, ce qui représenterait 80.000 emplois ». Là où L'Atelier agile vise à former 25 à 30 personnes et réaliser environ 3 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Changement complet de paradigme

« Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le changement de paradigme est plus important que ce qu'on peut penser : la question n'est pas seulement de fabriquer en France mais de savoir comment envisager le nouveau business model », poursuit Guillaume Aélion. « Aujourd'hui, les invendus sont très largement remisés pour pouvoir racheter le stock d'après avec toujours de plus gros volumes pour négocier toujours plus les prix... Ce qui génère encore plus d'invendus ! Pour développer le made in France, il faut un nouveau modèle, sans stock et sans surcoût tout en développant le recyclage et l'up-cycling, pour un produit vendu au juste prix ».

Au sein de l'Atelier Agile, la production est digitalisée : un bureau d'études conçoit en 3D/2D puis le produit part en impression, coupe automatique et assemblage. « En plus de notre centre de formation, nous avons référencé des matières bio made in France, indispensable pour réussir à produire en sept jours et pour arriver à être vertueux dans la consommation ». Dans cette optique, la mutualisation des commandes permet de limiter les chutes, en plaçant plus de produits de tailles différentes dans une même surface de tissu.

Que ce soit à Fashion Cube ou à L'Atelier Agile, la production envisagée ne représentera de toute façon qu'une infime partie de l'écoulement des marques. Pour L'Atelier Agile, les 230.000 tee-shirts qui pourraient être produits ne sont rien, comparés aux 13 millions de tee-shirt écoulés par an rien que pour la marque Okaidi. Chez Fashion Cube, d'ici 2024, le site devrait être capable de sortir 2.000 jeans par jour, soit 410.000 jeans par an. Ce qui ne représente que 6% du volume des jeans vendus chaque année chez Jules, Pimkie, Bizbee, Rouge-Gorge et Grain de Malice. « Ce que nous avons mis en place avec Fashion Cube à Neuville-en-Ferrain, ce n'est que le début de l'histoire de cette réindustrialisation ».

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