Loos-en-Gohelle : l’histoire d’une transition énergétique réussie

Petite commune de 7 000 habitants, située à l’ombre de Lens, Loos-en-Gohelle a été forgée par 113 années d’exploitation du charbon jusqu’à la fermeture des mines. Pour rebondir, Jean-François Caron, son maire écologiste, y a mis en place une stratégie de transition énergétique aussi inédite qu’ambitieuse. (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
En arrivant à Loos-en-Gohelle, on ne voit qu’eux : les terrils, ces sombres montagnes de résidus issus de l’extraction minière. La transition commence donc ici, dans la volonté de patrimonialiser le paysage minier, jusqu’à le faire inscrire au patrimoine de l’Unesco en 2012. En faisant voisiner terrils et pyramides d’Égypte, le territoire et ses habitants retrouvent de la fierté.
En arrivant à Loos-en-Gohelle, on ne voit qu’eux : les terrils, ces sombres montagnes de résidus issus de l’extraction minière. La transition commence donc ici, dans la volonté de patrimonialiser le paysage minier, jusqu’à le faire inscrire au patrimoine de l’Unesco en 2012. En faisant voisiner terrils et pyramides d’Égypte, le territoire et ses habitants retrouvent de la fierté. (Crédits : Richard Baron / Light Motiv pour La Tribune)

Les reportages sur Loos-en-Gohelle commencent généralement tous de la même façon. On y raconte le dévissage d'une population sinistrée, la noirceur des terrils et conséquemment la montée inexorable du Rassemblement National dans l'ancien bassin minier. À cela, il faut ajouter quelques images d'Épinal, quelques clichés bien pratiques sur les Ch'tis et leur mode de vie. « Quand ils viennent ici, les journalistes aiment souvent montrer des enfants qui toussent et des carreaux cassés. Et puis ils trouvent autre chose à raconter, un élan ! » raconte le maire de la ville, Jean-François Caron. Ce dernier, à la fois « maire-courage » et prophète du nouveau monde, fait figure d'icône locale. À bout de bras, depuis trois mandats, il défend sur son territoire une dynamique vertueuse inédite faisant de Loos-en-Gohelle un modèle si ce n'est un pôle d'attractivité. Le tout prenant la forme d'une méthode efficace et désormais si bien rodée qu'elle entraîne dans son sillage une population qui peinait jadis à croire en la politique. Aux dernières élections municipales, Jean-François Caron y a enregistré un score qui en dit long sur la pertinence de son bilan et son extraordinaire popularité : 81,5 % des suffrages recueillis, soit le plus haut score de la région. Une performance électorale inédite dans un moment de défiance et de crise économique...

Du noir des terrils au vert de la nature retrouvée

En arrivant en ville, on ne voit qu'eux : les terrils, ces sombres montagnes de résidus issus de l'extraction minière. Un paysage si caractéristique qu'il fut celui choisi comme étape symbolique par Emmanuel Macron à l'occasion de son « itinérance mémorielle » dans l'Est et le Nord de la France, cent ans après l'armistice de 1918. Pour ce dernier, cela ne fait aucun doute, embrasser le passé minier constitue une manière d'avancer : « En haut de ce terril, on assume notre passé industriel, ouvrier, mais on voit aussi un territoire, ici à Loos-en-Gohelle, qui est en train de changer en profondeur. » Et le Président de la République, de poursuivre : « Il y a des élus courageux, des entreprises qui y croient. C'est un territoire où on invente un modèle de transition énergétique, des nouvelles industries, une nouvelle économie avec la possibilité de se projeter vers l'avenir. » C'est en effet une stratégie de sortie de crise qu'a mise en place l'équipe municipale depuis une génération maintenant. « Suite à la fermeture du dernier puits de mine en 1986, explique Margaux Essono, responsable de la conduite du changement à la mairie de Loos-en-Gohelle, la ville a dû rebondir et trouver les moyens de se réinventer. Ça s'est fait par ce qu'on appelle la stratégie de conduite du changement, c'est-à-dire une manière d'embarquer la population avec nous dans une dynamique de transition. Aujourd'hui, on essaie d'agir sur tous les sujets. On a une approche qu'on pourrait décrire de systémique. » Et l'on partait ici de loin, voire d'une situation que d'aucuns jugeaient désespérée ! Car au milieu des années 1980 intervient l'effondrement cruel : le principal employeur cesse son activité en laissant derrière lui un paysage irrémédiablement bouleversé, des eaux et des sols pollués, un chômage de masse et une population hagarde et alors incapable, le pense-t-elle, de se relever. Sous l'impulsion de Marcel Caron, père de l'actuel maire et figure historique du socialisme régional, Loos va alors écrire les premières pages de sa stratégie résiliente de transition. Ou comment passer du noir des terrils au vert de l'espoir et de la nature retrouvée. « Si on demande aux gens de se renier, ils ne peuvent pas se transformer, explique Jean-François Caron. Il faut donc leur donner le sentiment d'une fierté, raconter leur histoire, lui donner du sens. Moi, j'avais créé la Chaine des périls en 1988 (une association loi 1901 qui accompagne le développement durable de son territoire dont l'objet est la protection, l'animation et la valorisation des terrils et assimilés, NDLR). De son côté, mon père savait que Loos et ses lieux avaient une valeur. Au fil du temps, on a compris que cette valeur était majeure, qu'il était inenvisageable d'effacer cette histoire, d'en raser les lieux comme ça s'est fait partout ailleurs dans le bassin minier. Il y a des gens qui sont venus de Pologne, de Hongrie, du Maghreb pour travailler au fond de la mine. On ne va pas effacer ça, on ne va pas faire croire que ça n'a pas existé. » La transition commence donc ici, dans la volonté de patrimonialiser le paysage minier, jusqu'à le faire inscrire au patrimoine de l'Unesco en 2012. En faisant voisiner terrils et pyramides d'Égypte, le territoire et ses habitants retrouvent de la fierté et surtout de l'allant. Le maire poursuit : « La mine, les installations, je les voyais comme des monuments, des lieux de culture, de nature. Où l'on pouvait faire de l'activité physique, vélo, trail, parapente. C'était du ré-usage pour moi. » Dès les années 1980, la municipalité va développer une stratégie inédite : utiliser la culture et le travail de mémoire comme leviers de transformation du territoire. La narration qui s'instaure alors est en avance sur son temps : là où les gueules noires s'échinaient jadis, on fait désormais du théâtre, on rejoue et on exprime son identité. En parallèle, pour favoriser la ré-appropriation du patrimoine minier, un terril du centre-ville est reconverti en amphithéâtre de verdure, des plasticiens et des artistes développent la pratique du « land art » sur les terrils de la fosse 11/19. Un vaste changement de pratiques...

Photovoltaïque, éco-construction et ceinture verte

À Loos-en-Gohelle, la transition est visible, aussi symbolique que culturelle. Mais surtout, elle s'avère énergétique, économique et bien ancrée dans le quotidien des habitants. « C'est vraiment une ville où il fait bon vivre. Et même bien être ! J'adore Lens, son club de foot qui m'a bercé depuis l'enfance, par contre je n'y habiterai pas. On est mieux ici : la ville est paisible. Il y a un côté village gaulois » affirme volontiers le patron du café Le Chantilly, en centre-ville. Il y a surtout un intérêt direct à y habiter. Dominique Da Silva, retraitée habitant dans une maison éco-conçue des nouveaux quartiers, nous l'explique concrètement : « Ici, la facture d'électricité a été divisée par dix par rapport à mon ancien logement. Dans l'appartement, il n'y a pas de radiateur, pas de chauffe-eau non plus, simplement un thermostat, une pompe à chaleur collective dans l'immeuble, des fenêtres triple-vitrage et une isolation ultra performante. On sent la différence ! » Francis Maréchal, adjoint au maire en charge de la Transition énergétique, des Travaux et de l'Urbanisme confirme : « Dans un contexte global de dérèglement climatique et dans un souci de bonne gestion du budget municipal, la ville de Loos-en-Gohelle s'est engagée depuis 2016 dans la démarche TEPOS "Territoire à Énergie Positive". L'objectif est d'être 100 % en énergies renouvelables d'ici 2050. La ville de Loos-en-Gohelle a ainsi enclenché plusieurs actions allant dans ce sens pour atteindre cet objectif ambitieux. » Un plan de transition énergétique qui s'articule très concrètement autour de trois priorités : d'abord développer les énergies renouvelables dont le solaire, ensuite rénover les bâtiments publics et enfin moderniser l'éclairage public. Après avoir rénové et équipé l'église Saint-Vaast de panneaux solaires en en faisant une curiosité architecturale oscillant entre tradition et modernité, le maire a entrepris l'installation de 2380 m2 de panneaux solaires sur huit toitures de bâtiments publics loossois en partenariat avec ses habitants. Le tout permettant une production de 440 MWh chaque année, l'équivalent de la consommation de 175 foyers environ, et rapportant 50 000 € de recettes par an à la société Mine de soleil (appartenant à la fois à la municipalité et à des actionnaires citoyens privés). Une franche réussite qui n'est pas isolée. De Villavenir au lotissement Chênelet, ce sont plusieurs séries de logements sociaux qui bénéficient du nec plus ultra de l'isolation thermique et des normes environnementales de constructions. De plus, ce sont déjà 10 bâtiments publics sur 42 qui ont été rénovés et améliorés énergétiquement depuis 2016. De quoi faire de Loos-en-Gohelle un moteur régional de la transition et de son maire un nouveau gourou du monde d'après, plus sobre et plus vert : « La semaine dernière j'étais dans les Cévennes, raconte Caron. C'était incroyable : j'étais accueilli comme une star, on a précieusement noté tout ce que je disais, on m'a même demandé des selfies ! (rires) » Du recueil de l'eau de pluie pour alimenter les sanitaires de la ville au renouvellement et la modernisation de l'éclairage public permettant de pas augmenter les impôts locaux, on pourrait dresser longtemps la liste des mesures engagées dans ce territoire en avance de vingt ans sur les bonnes pratiques. Reste que Monsieur le Maire en est persuadé, « la transition ça ne se résume pas qu'à mettre du photovoltaïque. C'est plus que ça ! » Et notamment une question de modèle économique à défendre. « Est-ce qu'on préfère du circuit-court à des marchandises qui ont fait le tour de la Terre ? C'est la thématique de la sobriété dans la façon de se comporter, c'est la question du lien et du vivre-ensemble qui sont plus riches que l'accumulation de biens matériels. Sur la commune, on a cinq agriculteurs qui ont entrepris une mutation vers le bio, on a 15 km de ceinture verte, une ferme solaire, on a généralisé l'éco-construction depuis 1997 et établi une nouvelle méthode de délibération citoyenne. Tout ça, mis bout à bout, ça dégage une attractivité, un état d'esprit, une confiance. Confiance des gens en eux-mêmes, confiance vis-à-vis des élus, confiance vis-à-vis du voisin. C'est grâce à cette confiance que les gens sont à l'écoute et font plein de choses ! » Et l'on mesure ainsi, depuis Loos-en-Gohelle, à quel point le devenir de la transition énergétique repose sur le plus précieux des carburants : la volonté humaine.

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Commentaires 2
à écrit le 18/03/2023 à 13:04
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En quoi le fait d'avoir rénové une poignée de bâtiments et installé quelques panneaux solaires qui fournissent de l'énergie quand la météo veut bien permet d'affirmer que la transition énergétique de la ville est une réussite?

le 18/03/2023 à 21:04
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Mr Caron sait utiliser la communication, ses relations pour mettre en avant son action dans ce gros village du Pas de Calais

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