A moins de deux mois du premier tour de l'élection présidentielle, la maire de Paris veut donner du temps au temps. Après avoir annoncé pendant la campagne des municipales la piétonnisation du centre de Paris et la limitation de la circulation aux personnes à mobilité réduite, aux riverains, aux taxis, aux véhicules d'urgence, aux artisans, aux commerçants et aux navettes électriques, Anne Hidalgo revoit sa copie.
Il n'est plus seulement question de piétonnisation, ni même de « zone à trafic limité » mais de « zone apaisée dans le centre-ville où le trafic sera rééquilibré au profit des piétons, des cyclistes et des usagers des transports en commun ». Secteur concerné : les ex-quatre premiers arrondissements désormais rebaptisés Paris Centre et les parties des Vème, VIème et VIIème arrondissements situés entre la Seine et le boulevard Saint-Germain (voir carte ci-après).
« Une zone apaisée » au plus tard début 2024
Prévue pour la mi-2022, la « zone apaisée » verra finalement le jour « au plus tard début 2024 », ont annoncé, le 17 février, les adjoints à la maire de Paris. L'idée reste la même : réserver la voirie aux piétons, vélos, transports en commun, commerçants, artisans, personnes à mobilité réduite, et y interdire le trafic de transit, c'est-à-dire la circulation aux véhicules traversant la zone sans s'y arrêter.
« Le décalage dans le temps est précisément un signe d'apaisement tout à fait bienvenu », réagit, pour La Tribune, le président du Medef Paris, Charles Znaty.
« Reporter cette décision va dans le bon sens. Cela va permettre de restaurer un dialogue », appuie le président de la CPME Paris, Bernard Cohen-Hadad.
La Ville revendique, elle, avoir lancé dès le printemps 2021 un dialogue préalable avec une consultation auprès des Parisiens et des Franciliens. Sur les 7.580 contributions et réponses reçues, 38% « mentionnent des craintes quant aux externalités négatives » du projet, 24% émettent un avis favorable, 22% s'y opposent et 6% estiment que c'est une première étape pour apaiser le centre de Paris.
Quels qu'ils soient, les répondants espèrent pouvoir s'asseoir/se reposer, se retrouver/partager et se rafraîchir sur les espaces ainsi libérés. De la même façon qu'ils attendent de la limitation du trafic une diminution de la pollution de l'air et de la pollution sonore, ainsi que davantage de confort de circulation pour les piétons et les vélos.
« Il faudra plus que des formules », prévient le patronat
La Ville entend en effet rééquilibrer l'espace public - encore 50% destiné à la voiture - au profit des piétons, des cyclistes et des usagers des transports en commun, diminuer le volume et la vitesse des véhicules motorisés, faciliter la circulation des riverains, des commerçants et des services publics et proposer des rues plus accueillantes.
« Les Franciliens et les professionnels se détournent déjà de Paris. Il faudra plus que des formules pour lutter contre la paupérisation et la désaffection de certains commerces », met en garde Bernard Cohen-Hadad de la CPME Paris.
« L'idée a très fortement inquiété les commerçants. S'il faut se déclarer, passer par un système de contrôle, les gens ne vont plus venir et choisiront autre chose », renchérit Charles Znaty du Medef Paris.
Dans l'intervalle, la capitale saisira l'Autorité environnementale et lancera « au premier semestre 2022 » une étude d'impact ainsi qu'une enquête publique en septembre 2022 permettant aux Parisiens, aux Franciliens et aux autorités de donner leur avis. Tant est si bien qu'à la suite de cette procédure, la « zone apaisée » fera l'objet d'une déclaration de projet, ouvrant la voie à des travaux nécessaires à sa mise en œuvre, à commencer par la mise en double-sens du boulevard Saint-Germain.
Vers un péage urbain comme à Londres ?
Les taxis et les VTC avec macaron pourront encore y circuler. De même que les bus et les bénéficiaires d'une carte mobilité inclusion ou d'une carte européenne de stationnement. Sans oublier ceux qui y habitent, y travaillent, y livrent, se soignent, vont dans un magasin/commerce/galerie d'art, se rendent chez des amis, au cinéma, ou encore ceux qui réalisent une intervention/un dépannage professionnel.
Ces derniers devront présenter soit un justificatif permanent - résidents/personnes handicapées/commerçants-entreprises/artisans/auto-écoles - soit un justificatif ponctuel - les clients des commerces/artisans/entreprises/musées/théâtres, les visiteurs, les professionnels... Ces justificatifs pourront être un macaron, un ticket de stationnement, un bon de livraison qui feront l'objet d'un contrôle aléatoire d'abord pédagogique par la police municipale avant des « solutions technologiques, efficaces et sécurisées juridiquement ».
« C'est important pour la qualité de l'air et l'environnement, mais va-t-on revenir à un péage urbain comme à Londres ? » s'interroge le président du Conseil économique, social et environnemental (CESER) d'Île-de-France, Éric Berger.
« L'écologie punitive a montré ses limites. Paris est déjà une ville musée. Il serait dommage qu'elle devienne une ville morte », abonde Bernard Cohen-Hadad de la CPME Paris.
« Savoir qui va où, comment et pourquoi risque d'être problématique aux yeux de la CNIL », pointe Charles Znaty du Medef Paris.
Un risque d'« impact négatif pour l'activité économique »
Aussi, les annonces de la municipalité ont aussitôt fait réagir le préfet de police de Paris. Dans un communiqué, Didier Lallement rappelle que la police de circulation est une compétence partagée entre le préfet de police et la maire de Paris.
« A ce jour, [il] n'a pas été saisi d'un dossier précis comportant notamment les impacts de cette mesure sur les flux de véhicules et les reports de trafic tenant compte de l'ensemble des aménagements réalisés ou projetés », souligne Didier Lallement.
« En l'état actuel (...), l'analyse des services de la préfecture de police met en avant que les caractéristiques actuelles du projet (...) pourraient avoir un impact négatif pour l'activité économique de la ville », poursuit-il.
Exprimant également ses « fortes réserves » tout en soulignant les « légitimes enjeux environnementaux », le préfet de police assure enfin Anne Hidalgo de sa disponibilité pour « poursuivre les échanges dont il souhaite désormais qu'ils précèdent les effets d'annonce unilatéraux. »
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