L'été de tous les dangers pour la zone euro

Tous les signaux sont au rouge pour la zone euro : les marchés ne croient guère au redressement de l'Espagne et de l'Italie, Angela Merkel est critiquée chez elle pour avoir « tout cédé » aux pays du Sud, soutenus par la France. Et Bruxelles bégaye...
Ben Bernanke et Mario Draghi cherchent à relancer la croissance / Reuters

L'été est souvent propice aux crises, comme le rappelle l'historien américain Harold James(lire l'article "La drôle d'histoire des crises estivales"). La zone euro aborde la période estivale dans les pires conditions et sans que des réponses définitives aient été apportées sur les voies de sortie de la récession, la supervision bancaire européenne et la puissance de feu du MES, les trois questions les plus urgentes du moment. Dans son dernier rapport, le FMI insiste sur le risque que fait peser sur l'économie mondiale une inaction prolongée des autorités européennes ou de nouveaux délais dans la mise en place du plan de redressement que tout le monde attend. La tonalité outre-Atlantique a d'ailleurs changé ces derniers mois. De plus en plus d'analystes, d'économistes, de gestionnaires d'actifs posent désormais ouvertement la question des chances de survie de la zone euro d'ici à la fin 2012.Depuis la fin juin, l'épargne mondiale fuit la zone euro, et notamment les pays jugés à risque comme l'Espagne ou l'Italie. Au niveau international, tous les signaux sont au rouge. Olivier Blanchard, le chef économiste du FMI, insiste sur le fait que « la zone euro doit réussir », comme un dernier appel à la raison.
Certes, le sommet du 28 juin a permis aux états membres de montrer qu'ils avaient une amorce de plan, que la rupture du lien entre risque souverain et risque bancaire était salutaire, que la création d'une agence de régulation bancaire européenne procédait d'une logique positive, mais, poursuit le rapport du FMI, « la détérioration récente du marché de la dette souveraine démontre que la priorité doit être à la mise en ?uvre concrète et rapide de ces mesures, et à de nouveaux progrès dans l'union bancaire et budgétaire ».Les conditions sont-elles réunies pour que la mise en ?uvre rapide du plan du 28 juin soit envisageable ? Techniquement, ce n'est pas si sûr. Les conditions de mise en ?uvre de l'Union bancaire européenne posent les difficultés que l'on sait, notamment concernant les mécanismes de garantie des dépôts, les conditionnalités mises au sauvetage d'une banque en difficulté. Concernant le pacte budgétaire, rien n'empêche plus sa ratification par la France, mais ce sont dans les conditions concrètes de sa mise en ?uvre que des tensions risquent d'apparaître. Politiquement, le champ est encore plus miné. Depuis le sommet du 28 juin, l'atmosphère en Allemagne a changé. L'impression prévaut qu'Angela Merkel a cédé sur tous les fronts. En acceptant le principe d'une Union bancaire aux contours flous, en laissant le MES recapitaliser les banques espagnoles sans exiger de sérieuses garanties, en autorisant ce même MES a acheter des obligations italiennes, la chancelière a donné l'impression de céder au chantage de l'Europe du Sud, qui bénéficiait de surcroît du soutien de la France. Comme le résumait ces jours-ci dans le Financial Times l'ancien patron des patrons allemands, Hans-Olaf Henkel, « de plus en plus d'Allemands sont en train de découvrir que si l'Europe a beau parler allemand désormais, elle continue d'agir français ». À l'extérieur de l'Allemagne, pourtant, l'impression prévaut toujours que l'Allemagne est inflexible et qu'elle administre aux pays du Sud de continuelles leçons de bonne gestion. La problématique politique de la chancelière allemande est telle qu'elle devra à un moment ou un autre réconcilier le discours à l'usage des Grecs et la conséquence de ses actes vis-à-vis des Allemands. Et il n'est pas certain que cela aille dans le sens d'une accélération des décisions prises le 28 juin... Un fait nouveau est apparu depuis le dernier sommet européen : les marchés ne croient guère dans le redressement de l'Espagne et de l'Italie, ce qui se traduit par des taux d'emprunts à la limite du supportable sur longue période. En Espagne, le plan de sauvetage des banques n'a même pas créé de mouvement d'optimisme. Il ne se traduira pas par des injections de crédits nouveaux à l'économie, faute d'offre et aussi de demande.

 

Rigueur en Espagne et dégradation en Italie

Pour rester dans les clous du plan de redressement des finances publiques (2,8 % de déficit en 2014, contre 9 % en 2011), le gouvernement espagnol va devoir mettre en ?uvre un nouveau plan de rigueur de 65 milliards d'euros d'ici à la fin 2014, avec hausse de la TVA, baisse des prestations chômage et des salaires des fonctionnaires. En Italie, les indicateurs sont au rouge, les réformes annoncées par Mario Monti tardent à produire des effets, des doutes importants montent sur la solidité du secteur bancaire italien, la dette publique est de 2?000 milliards d'euros, soit plus de 120 % du PIB, le tout sur fond de dégradation de la note de l'Italie par Moody's. En 2012-2013, l'Italie a besoin d'emprunter 415 milliards d'euros, soit près de 25 % du PIB. C'est presque autant que la totalité des ressources du MES.
Lorsque le nouveau ministre de l'économie, Vittorio Grilli, explique dans le Corriere Della Sera que « les marchés ne reconnaissent pas encore la qualité des efforts accomplis par notre pays pour remettre les comptes en ordre », c'est un bel euphémisme. Le plan de privatisation de 15 à 20 milliards d'euros par an annoncé le 15 juillet est certes une nouvelle positive, mais les investisseurs savent que les processus de privatisation sont longs et complexes, qu'ils butent sur des considérations politiques qui peuvent bloquer certaines opérations, comme l'exemple de la Grèce l'a montré jusqu'à la caricature.

Doutes sur la Grèce... Et plus d'efforts en France

La Grèce justement, où la troïka retourne le 24 juillet pour mener des discussions probablement difficiles sur la remise en ?uvre du programme d'ajustement négocié avec l'Union européenne et le FMI, en plan depuis six mois. Les chances de parvenir à économiser 11,5 milliards d'euros sur deux ans, entre 2013 et 2014, sont considérées comme nulles, or la Grèce a besoin d'argent en août pour rembourser 3 milliards d'euros d'obligations à la BCE et serait déjà en train de négocier un prêt relais. Reste le cas de la France. François Hollande a réussi la man?uvre la plus facile consistant à faire accepter à ses partenaires européens, et d'abord à l'Allemagne, un plan de relance de la croissance de 120 milliards d'euros (dont les détails restent à mettre en ?uvre et dont les résultats concrets seront longs à apparaître). Mais pour être au rendez-vous de 2014 en termes de niveau de déficit public, de nouvelles coupes dans les dépenses sont nécessaires, évaluées par la cour des comptes à plus de 30 milliards d'euros. Lorsque l'on voit les difficultés que le gouvernement a éprouvées pour mettre en musique le collectif budgétaire de ces derniers jours (7,2 milliards de hausses d'impôts, 1,5 milliard de gel des dépenses), on ne peut que s'interroger sur les difficultés qu'il y aura à engager un « effort » supplémentaire de 30 milliards d'euros l'année prochaine, sans toucher de façon très significative à la masse salariale de la fonction publique.
d'ores et déjà, les marchés ont commencé à agir, en désinvestissant massivement de la dette souveraine des pays de l'Europe du Sud, mais aussi des marchés actions, et en surinvestissant dans les pays européens jugés plus sûrs, ce qui accentue les déséquilibres internes contre lesquels les gouvernements européens et la BCE veulent pourtant agir. Il y a aujourd'hui en Europe au moins six pays que les investisseurs paient pour accepter leur argent. Les taux d'intérêt sur les obligations d'état à deux ans sont négatifs en Suisse, au Danemark, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en Finlande, une liste à laquelle il faut ajouter la France, quoique cette situation soit probablement transitoire. En jouant de cette façon, les investisseurs et les hedge funds indiquent bien qu'ils ne croient guère en un rapprochement des économies européennes, mais au contraire en une scission de plus en plus prononcée entre le nord et le sud de l'Europe, ce qui est le plus sûr chemin pour faire éclater l'euro.
Si l'on ajoute à cela la situation politique aux Etats-Unis, où un certain nombre de questions se posent concernant la façon dont Washington va aborder le problème du mur de la dette, on ne voit guère comment l'économie européenne pourrait se sortir du guêpier. Si les désaccords entre démocrates et républicains conduisent à un blocage et que les incitations fiscales ne sont pas reconduites, l'économie américaine pourrait connaître un déclin de l'ordre de 4 % du PIB en 2013, ce qui aurait des conséquences sur le reste du monde.

La nécessité d'accélérer le processus politique

au total, l'exécutif européen devrait accélérer le calendrier pour démontrer aux investisseurs que le temps de la décision politique à Bruxelles peut rattraper le temps des marchés, en décidant rapidement, dès les premiers jours de septembre, de l'architecture retenue pour la supervision bancaire européenne. Dans une interview récente au journal allemand Handels Blatt, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a indiqué que la BCE serait en mesure d'assurer immédiatement le rôle de superviseur des banques européennes, une fois le projet du 29 avril finalisé. Une façon habile d'accélérer le processus, contre lequel l'Allemagne a encore des préventions.
L'autre urgence est celle de la situation économique et des plans d'ajustement budgétaires. Si la zone euro entre progressivement en récession au cours des prochains mois, faudra-t-il se mettre d'accord sur des aménagements des plans de réduction de déficit public en Espagne, en Italie, en Grèce ou en France, ou les laisser se dérouler selon le calendrier initial, quitte à provoquer de nouveaux troubles sociaux ? pour les marchés, n'est-il pas probable qu'un plan crédible, en cours de mise en ?uvre, même sur un calendrier un peu plus long, vaudrait mieux que des interrogations permanentes sur la capacité de la zone euro à se désendetter ? Troisième urgence : faute de convaincre sur le calendrier politique et technique, faudra-t-il que l'Europe en passe par des choix extrêmes, une recapitalisation massive du MES (dont la France et l'Allemagne porteraient la responsabilité) ou la création de structures financières ad hoc européennes afin de parquer les mauvaises dettes de notre système bancaire ?
Aucune de ces solutions n'est anodine. Mais faute d'action déterminée, la zone euro pourrait éprouver, dès septembre, des difficultés à rétablir sa crédibilité vis-à-vis des marchés internationaux de capitaux.

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