L'investissement socialement responsable sort de sa boîte

L'investissement socialement responsable n'a pas vu venir la crise. Sans le remettre en cause, il doit désormais changer de dimension, estiment, d'une même voix, Valéry Lucas Leclin, coresponsable de la recherche ISR à la Société Générale, et Grégory Schneider-Maunoury, Responsable de l'analyse ISR d'Inter Expansion - IONIS.

Perte de confiance, absence de morale, court-termisme : toutes ces questions, qui ont resurgi pendant la crise financière, ne sont pas nouvelles pour le capitalisme en général et les marchés financiers en particulier. L'investissement socialement responsable (ISR), apparu en France il y a dix ans déjà, avait justement pour vocation d'aider à "répondre" à ces interrogations.

Qu'en est-il aujourd'hui ? La bonne nouvelle est que l'ISR est en constante progression, malgré la crise actuelle. Selon l'EuroSIF, l'ISR pesait 2.665 milliards d'euros d'encours en Europe à fin 2007, contre 1.033 milliards fin 2005 et 336 milliards fin 2002. La mauvaise nouvelle est que, comme en 2000, les tenants de l'ISR n'ont pour l'essentiel rien vu venir de la crise actuelle, ni l'immobilier, ni les subprimes, ni la fragilité du système bancaire, malgré des critiques vigilantes sur la gouvernance d'entreprise. Jamais les appels à la responsabilité n'ont pourtant été aussi nombreux, tant de la part des politiques et des parties prenantes que des acteurs financiers. Quel est ce paradoxe d'un développement aussi rapide de l'ISR sans effet ou presque sur les marchés??

D'aucuns invoqueront la jeunesse de cette approche, le montant encore limité des encours et verront dans la crise actuelle des raisons d'espérer leur hausse. Si nous partageons partiellement cet espoir, il est pour le moins dommage que les réflexions sur le développement durable et la "soutenabilité" des croissances n'aient pas pénétré plus avant tant dans le monde de l'ISR que dans celui de la finance. Nous pensons en effet qu'il est temps de passer à une autre dimension : intégrer la responsabilité et le développement durable à toutes les étapes des processus d'investissement, bien au-delà des seuls fonds reconnus comme ISR. L'ISR, pour gagner en efficacité, devra regarder vers l'allocation d'actifs?: stratégique, géographique, sectorielle.

Un rapide examen de l'évolution du CAC 40 sur une longue période - de 1995 à 2008, entre deux bas de cycle -, illustre cette nécessité. En rythme annualisé, de novembre 1995 à septembre 2000, le CAC 40 a connu une croissance de 32%, avant de baisser à la vitesse de 33% jusqu'à mars 2003, puis de remonter au rythme de 22% jusqu'en juillet 2007, pour chuter, au 10 octobre dernier, à un rythme annualisé de 41%. Au final, la croissance annuelle du CAC 40 n'aura été que de 4,8%, soit un taux plus proche de la croissance de l'économie "réelle". Certes, la finance moderne repose sur des cycles, mais la planète, les sociétés et les citoyens de ce monde ont aussi les leurs, beaucoup plus profonds, qui reviennent en boomerang à la planète finance.

Dans cette perspective, la seule évaluation des bonnes ou moins bonnes pratiques des entreprises ne suffit certainement plus. Les fonds thématiques (eau, énergie, déchets) ont été une première tentative réussie - malgré le retournement actuel - pour sortir du pré carré d'origine de l'ISR, celui de la responsabilité sociale des entreprises. Il fallait bien étendre le champ de la responsabilité et retrouver un peu de réalité économique - les interrogations sur la croissance, au-delà de la seule valeur "morale" de l'entreprise, dont Kant nous a enseigné que nous ne pourrions jamais la connaître. 

A côté de l'évaluation par entreprise des pratiques de transparence, de sécurité, de formation, de qualité, d'innovation, de dialogue avec les parties prenantes, une vision économique et sectorielle devrait être formalisée quant à la pertinence économique à long terme de certains investissements comme les sables bitumineux ou la dépendance de certains secteurs au pétrole, comme l'automobile ou la chimie, avec les conséquences en termes de variation de rentabilité. Ainsi, l'approche de l'ISR, intégrée, formalisée et reconnue à chaque étape du processus d'investissement, aurait enfin une chance sérieuse de jouer son rôle de force de rappel sur les marchés, comme une alerte sur les pratiques critiquables, tant en matière de gouvernance que de critères sociaux et environnementaux, et comme une avant-garde de la réflexion sur les équilibres économiques, les secteurs, les thématiques, les technologies ou les entreprises d'avenir au-delà des résultats de court terme, dont la crise actuelle a montré qu'ils pouvaient perdre tout sens.

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