Que nous apprennent Keynes et Hayek sur la crise financière ?

Les plans de relance économique décidés par de nombreux gouvernements pour remédier à la crise ont remis au goût du jour les idées de John Maynard Keynes, réduites à l'intervention de l'Etat. Un tel retour signifie-t-il la fin du libéralisme financier ? Historien de l'économie, Abdallah Zouache compare la pertinence des concepts de Keynes et ceux de son critique Friedrich Hayek dans le contexte actuel.

La crise financière a produit un résultat inattendu, à savoir, un regain d'intérêt pour des économistes considérés comme anciens, voire désuets, dans l'enseignement et la recherche économique. Elle remet ainsi au goût du jour l'importance d'une démarche d'histoire de la pensée économique tournée vers des problématiques actuelles : que pouvons-nous apprendre d'économistes "anciens" pour comprendre les phénomènes économiques contemporains ? Deux économistes illustres, Keynes et Hayek, entrent alors sur la scène financière actuelle. Ils sont souvent cités car ils apparaissent comme des icônes soit du libéralisme aujourd'hui décrié, pour ce qui est de Hayek, soit de l'interventionnisme en apparence de retour, lorsque l'on cite Keynes. Alors, vivons-nous un retour en grâce de Keynes et la fin de Hayek ? Un retour vers les textes originaux de ces auteurs peut nous aider à fournir une réponse équilibrée.

Premièrement, force est de constater que Keynes et Hayek offrent tous deux des éléments d'explication intéressants de la crise financière comme reflétant des problèmes de coordination de l'épargne et de l'investissement. Néanmoins, le cadre théorique de Keynes paraît plus riche pour appréhender la crise financière.

Hayek met bien en avant le rôle potentiellement déstabilisateur du système bancaire, un élément fondamental dans la crise financière actuelle. L'analyse de Hayek est fondée sur une définition de l'épargne comme consommation différée. Une augmentation de l'épargne des ménages correspond à une consommation future plus élevée et nécessite donc un accroissement de l'investissement en biens de production. Les échecs de coordination chez Hayek résultent des erreurs d'anticipation que commettent les agents suite à un mauvais signal : le crédit. D'où provient ce faux signal ? Du système bancaire. En particulier, les entrepreneurs, faute d'informations adéquates, ne peuvent prévoir les plans de consommation et d'épargne des ménages. Ils fondent alors leurs plans de décision en fonction de l'information fournie par le système bancaire : l'expansion du crédit. Les erreurs d'anticipation qui en résultent provoquent des investissements sans fondement économique réel, à l'origine de la crise.

La contribution de Keynes semble davantage d'actualité si on se rappelle l'importance de la dimension financière de la crise actuelle. Keynes considère, par rapport à Hayek, que les ménages ont le choix entre une variété d'actifs financiers pour déterminer la forme sous laquelle l'épargne dirige la consommation future. Keynes affirme que, indépendamment des actions des autorités monétaires, les marchés financiers transmettent les perturbations provoquées par les comportements spéculatifs. Keynes ajoute un facteur explicatif supplémentaire à cette absence d'harmonie : l'incertitude.

En effet, il insiste sur l'impossibilité de prévoir parfaitement les actions d'individus dont le comportement est sujet à des "esprits animaux". Le comportement des entrepreneurs est affecté par des mouvements sans fondements rationnels qui expliquent, au moins en partie, la variabilité de l'investissement. Le marché financier facilite la mobilisation du capital en fournissant des liquidités aux investisseurs qui, par son intermédiaire, convertissent à tout instant des titres en monnaie.

Cependant, un effondrement brutal des prévisions est possible, ce qui conduit les principaux détenteurs de titres à se précipiter pour liquider leurs positions. La perte de confiance dans les revenus futurs des actifs en capital a des effets sur la formation des capitaux physiques, favorisant la formation d'un chômage massif.

Deuxièmement, il semble très difficile de faire appel à Hayek si on est préoccupé par la recherche de solutions potentielles à la crise financière. L'analyse de Hayek montre également des limites indéniables lorsque l'on se tourne vers les conséquences de la crise financière sur l'évolution du chômage. Selon Hayek, la crise et le chômage sont des phénomènes naturels qui se résorbent seuls afin de parvenir à un nouvel équilibre. La seule façon de lutter contre le chômage consiste à ne pas utiliser de stimulants artificiels ? que ce soit au cours de la crise ou après ?, mais de laisser au temps le soin d'opérer une guérison durable par le lent processus d'adaptation de la structure de production aux moyens disponibles pour la formation du capital. En effet, chez Hayek, les défauts de coordination peuvent être dépassés grâce à l'intervention de deux mécanismes de coordination parfaite, à savoir le système de prix et la concurrence. Les décisions prises aujourd'hui par les Etats, mais aussi par les banques centrales, sont très éloignées de ce raisonnement hayékien.

Dans l'appareil analytique keynésien, de tels mécanismes institutionnels ne permettent pas de conduire à une sortie de crise. Les prix ne constituent pas un signal de coordination parfaite puisque, par exemple, les décisions d'épargne et d'investissement, ou l'offre et la demande de travail, ne sont pas déterminées par les mêmes variables. La solution est collective : c'est l'action de l'Etat qui permet de dépasser les crises. L'Etat prend en charge l'organisation de certaines activités économiques qui sont sujettes à énormément d'incertitude, soit totalement (contrôle de la monnaie et du crédit), soit partiellement (planification de l'investissement). Il semble que le contrôle du crédit est une voie qui est privilégiée aujourd'hui par les Etats mais aussi par les banques centrales. En revanche, la planification de l'investissement n'est pas (encore ?) à l'ordre du jour, en particulier en France.

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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"D'où provient ce faux signal ? Du système bancaire." d'un modèle Hiérarchique ou une banque centrale pèse considérablement sur le prix du crédit qui est donc largement décidé HORS marché. "La seule façon de lutter contre le chômage consiste à ne pa...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Analyse interessante, mais si les acteurs sont les mêmes les remèdes conduiront à de semblables résultats. Il faudrait balayer les incapables qui agissent au nom de l'état pour croire au redressement.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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il faut vite et tres vite reagir...la France et autres pays perdent 10 en tardant a investir 1.... c bizarre que nous ayons evoqué avec 1 ami keynes et hayek 9 mois avant ainsi que nous ayons su les repercussions sur la realeconomi vayant arriver la ...

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