De la protestation à la concertation sociale

Les manifestions du 19 mars ont exprimé des inquiétudes diverses chez les Français, sur leur niveau de vie à venir, sur la valeur du travail et sur la capacité de l'Etat à réguler la crise. La sortie de crise s'annonce délicate en raison des difficultés propres de l'Etat à convaincre, du patronat à proposer une doctrine équitable sur la rémunération du capital et du travail, et des syndicats à exprimer des revendications ayant du sens, estime Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail.

Les manifestations du 19 mars ont souligné, une fois encore, la lourdeur sociale qui traverse le pays. Gouvernement, syndicats et patronat disposent, chacun à leur manière, de marges de man?uvre réduites. La question est que faire pour sortir de la crise. Et comment ?

Au moins aussi nombreuses que le 29 janvier, les manifestations du 19 mars ont été appuyées par plus de trois Français sur quatre. A l'évidence, les organisations syndicales ont conduit une protestation qui ne relève pas seulement de la défense de l'emploi ou de la revendication salariale. Derrière les manifs, la lourdeur sociale exprime trois grandes inquiétudes.

Première inquiétude : celle de la capacité de notre pays à garder, dans une économe mondialisée et uniformisée, un haut niveau de vie. La crise des finances publiques et celle des dépenses de protection sociale en France se trouvent aggravées par la crise. Aggravées mais pas créées. Notre pays vit au-dessus de ses moyens. Nos responsables politiques et syndicaux le savent et sont invités à organiser une réponse économiquement saine et socialement juste. Le dossier des retraites, singulièrement depuis 2003, a montré la maturité grandissante des syndicats sur le sujet. Mais le pays dans son ensemble n'a pas pris la mesure des efforts à vivre.

Deuxième inquiétude : celle du rôle de l'Etat comme régulateur de la crise. Les manifestations passées et à venir interpellent le gouvernement et le président de la république. Vieille habitude française depuis deux siècles : quand tout va mal, on se tourne vers le monarque pour lui demander aide et protection... ou pour le destituer. Notre pays s'est bâti en accordant à l'Etat une place centrale dans l'organisation de la vie économique et sociale. Ce temps est révolu. Les statuts ne sont plus protecteurs et les Etats ne sont plus régulateurs.

La construction de l'Europe politique n'est pas assez avancée pour construire une régulation du marché du travail à l'échelle de l'Europe et la protection des intérêts européens face aux autres régions du monde. Les replis catégoriels et les tentations protectionnistes gagnent du terrain. Quand François Fillon déclare, le 19 mars : "notre rôle n'est pas d'inventer des conflits franco-français qui n'existent pas", il exprime bien cet effacement de l'Etat comme décideur suprême. Une reprise du célèbre "Il ne faut pas tout attendre de l'Etat" prononcé en 1999 par le Premier ministre Lionel Jospin qui, à l'époque déjà, fut un choc. Un nouveau type d'intervention de l'Etat reste donc à trouver.

Troisième inquiétude, la plus profonde probablement : celle relative à la valeur travail. Chacun, des salariés aux managers, a pu observer l'écart grandissant entre la rémunération du travail et la rémunération des placements financiers. La crise actuelle marque les limites et les dangers d'un capitalisme financier non maîtrisé et non ordonné par une finalité économique et sociale. La question du partage de la valeur créée et celle de la gouvernance des entreprises renvoient à la liaison entre propriété et finalité sociale.

La philosophe Simone Weil l'écrivait déjà en 1943 ("L'enracinement") : "le vrai critérium, pour la propriété, est qu'elle est légitime pour autant qu'elle est réelle." Le sentiment d'injustice ne se résoudra pas dans la seule revalorisation salariale, mais dans la réorganisation des règles de l'entreprise.

A discuter avec les leaders syndicaux, on mesure que, contrairement à certaines de leurs expressions publiques, les enjeux sont compris et que leur souci est grand de ne pas voir dériver les inquiétudes sociales vers le repli catégoriel ou identitaire ou bien vers l'extrémisme, comme ce fut le cas dans l'Europe des années 1930.

La difficulté à trouver les chemins d'une sortie de crise tient pour partie aux handicaps de chacun des grands acteurs : le gouvernement voit un effacement de l'autorité régulatrice de l'Etat et peine à convaincre que la relance par l'investissement est la meilleure réponse ; de leur côté, les syndicats peinent à traduire les inquiétudes en revendications ayant du sens, c'est-à-dire intégrant la dimension internationale de la crise ; quant au patronat, il éprouve de la difficulté à se doter d'une "doctrine sociale" répondant aux questions dont il est l'objet : rémunération des dirigeants, versement de dividendes en période de licenciements, aides de l'Etat et délocalisations, etc.

Mais ce qui rend la sortie de crise plus difficile tient aussi à la faiblesse du dialogue social en France, due à une réticence des différents acteurs. En Europe, la France est le pays où le mot consensus reste suspect et où la pratique des pactes sociaux (réunions tripartites Etat-patronat-syndicats) n'en est qu'à ses balbutiements. Si les propos aigre-doux échangés la semaine dernière entre Laurence Parisot et Bernard Thibault tiennent peut-être d'un jeu de rôle, ils gênent toute démarche de concertation.

Pourtant, tout n'est pas noir. Dans les branches et les territoires, la recherche concertée de solutions à la fuite des emplois progresse plus qu'il n'y paraît. Quand le président de l'UIMM lance : "il y a une urgence industrielle", l'organe officiel de la CGT répond ("Le Peuple", 18 mars 2009) : "la France a besoin d'une stratégie industrielle" et développe cinq propositions précises. Et quand, en Languedoc-Roussillon, s'installe une conférence régionale du travail, tripartite et permanente, les acteurs s'engagent dans une voie de concertation et de construction sociale. "Manifester contre" est, en France, une pratique établie. "Se concerter pour" ne l'est pas. Mais patience : cela viendra.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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En 1968 à Vienne en Autriche j'ai été témoin de la stupeur des milieux professionnels face aux revendications qui s'exprimaient en France. En 1968 , dans le milieu professionnel notamment la pratique du dialogue social était de longue date en Autrich...

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