Trop de capitaux ?

Par Nicolas Vincent, "senior consultant", Sia Conseil.

Augmentation de capital, prise de participation de l'Etat, mesure de la santé financière des banques, "stress tests"... Depuis le début de la crise, l'importance du capital et des ratios de solvabilité bancaires dans le débat public prend une nouvelle dimension. Il s'intensifie et se focalise non seulement sur le niveau des fonds propres mais surtout, et c'est là que réside la nouveauté, sur la qualité de ceux-ci. Ainsi, deux nouveaux concepts apparus récemment sont de plus en plus présents dans la presse : il s'agit du "Core Tier 1" et du "Tangible Common Equity" (TCE).

Pour comprendre les enjeux et donner de la perspective à ce changement de mentalité, un retour en arrière s'impose. Au début du XXème siècle, le capital management n'existait pas encore. Et pour cause, le capital n'était pas une préoccupation car les crédits étaient en grande partie adossés aux dépôts. Au milieu du siècle, les politiques de développement et l'augmentation du niveau de vie ont favorisé le recours à l'endettement. Les encours de crédits ont augmenté plus rapidement que ceux des dépôts, ce qui a poussé les banques à élever leur niveau de fonds propres et les régulateurs à se pencher sur la question.

Les premières réflexions sur la structure réglementaire du capital des banques débutent il y a plus de vingt ans avec le texte fondateur de 1988 intitulé "Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres". Ce texte pose pour la première fois les notions de "capital de base" et de "fonds propres complémentaires" qui seront rebaptisés par l'usage en "Tier 1" et "Tier 2". Les réformes suivantes (Bâle I puis Bâle II) affineront ces notions qui ont été inscrites dans le règlement français n°90-02 du 23 février 1990 relatif aux fonds propres.

Ce n'est pas par hasard si les années 1990-2000 ont vu l'essor d'une nouvelle classe d'actifs : les titres subordonnés et super subordonnés (titres hybrides). Ces actifs assimilés à du capital permettaient pour les premiers de relever le niveau du Tier 2 et pour les seconds celui du Tier 1. Et surtout ils avaient l'énorme intérêt d'être moins coûteux que des actions ordinaires et de ne pas attribuer de droits de vote. C'est ainsi qu'en 20 ans, le niveau de capital ordinaire des banques est passé de 6% à 2% en moyenne.

La crise a montré qu'en cas de tension, les titres subordonnés et super subordonnés réagissaient comme tous les produits de marché et leur valeur s'est révélée volatile, même dans le cas des maturités les plus longues. Dans ce contexte extrême, les ratios Tier 1 et Tier 2 sont apparus comme des indicateurs nécessaires mais pas suffisants pour mesurer la stabilité d'une banque. Pour cette raison, les banques ont commencé à communiquer sur un nouvel indicateur : le Core Tier 1. Contrairement au Tier 1, le Core Tier 1 ne prend pas en compte le capital hybride.

La tendance est indéniablement à la qualité des capitaux comme en atteste les opérations réalisées récemment en France. Après une vague d'émission de titres hybrides au quatrième trimestre 2008, le marché a vu fleurir depuis la fin du 1er trimestre 2009 des programmes d'émission d'actions préférentielles à l'instar de BNP Paribas. Le 11 décembre 2008, la banque avait émis 2,55 milliards d de titres super subordonnés souscrits par la Société de prises de participation de l'Etat (SPPE). Ces titres avaient été classés en fonds propres de base (Tier 1). Le 31 mars 2009, elle a procédé à une nouvelle émission de 5,1 milliards d'euros, toujours souscrite par l'Etat, mais cette fois en actions préférentielles qui ont été classées en fonds propres "durs" (Core Tier 1) et dont le produit a été affecté pour moitié au remboursement des titres super-subordonnés émis en décembre. Au final, l'Etat français est monté à hauteur de 17% du capital, sans droit de vote, et la banque a vu passer son Core Tier 1 de 5,4% à 6,8% et son Tier One de 7,8 à 8,8%.

Pour les établissements bancaires américains, la situation est plus critique et le Core Tier 1 ne parait pas être assez pertinent pour mesurer leur solvabilité. Les analystes américains manipulent depuis le début de l'année 2009 un concept encore plus strict que le Core Tier 1 : le Tangible Common Equity (TCE). La principale différence entre ces deux indicateurs provient de la manière dont sont considérées les actions préférentielles. Les sceptiques comme Friedman, Billings, Ramsey & Co., Inc. s'affairent depuis le début de la crise pour que le TCE devienne la mesure de référence pour la solvabilité des banques. Et Tim Geithner, le secrétaire au Trésor américain, est allé dans ce sens en focalisant les stress tests sur le TCE qui est ainsi devenu l'indicateur de référence outre Atlantique. L'exemple de Citigroup est emblématique de cette nouvelle perspective.

Entre octobre et novembre 2008, le gouvernement américain est intervenu 2 fois pour sauver Citigroup. Au total, ce sont 45 milliards de dollars de cash qui ont été déboursés pour acquérir 52 milliards de dollars d'actions préférentielles (les 7 milliards de dollars de différence sont liés à la garantie des 300 milliards de dollars d'actifs toxiques de Citigroup). Sous cette forme, l'investissement de l'Etat a permis à Citigroup de relever son Tier 1, mais pas son TCE.

La nouvelle importance du TCE depuis le T1 2009 a incité le gouvernement américain à repenser son soutien à Citigroup. L'objectif étant de remonter le niveau du TCE, seul l'investissement en action ordinaire devenait pertinent. Mais l'injection de nouveau cash était exclue puisque le niveau du Tier 1 de Citigroup était déjà suffisant. L'idée est ainsi venue de convertir une partie des actions préférentielles détenues par l'Etat américain en actions ordinaires. Cette idée permettait à Citigroup de se défaire de l'obligation de payement des dividendes (environ 3 milliards de dollars par an) et de rachat des actions dans les 5 ans à venir. En contrepartie, cela aurait pour conséquence de diluer l'actionnariat et surtout d'accorder des droits de vote au gouvernement américain.

Pour l'équipe Geithner, il n'était pas question de procéder à ce qui s'apparenterait à une nationalisation. Après discussion, le gouvernement a décidé de ne pas porter sa part d'actionnariat à plus de 40%, ce qui signifiait que, en théorie, seuls 16 milliards de dollars d'actions préférentielles pouvaient être converties. Parallèlement, les autres détenteurs d'actions préférentielles ont été incités à procéder à des conversions de manière à augmenter l'actionnariat ordinaire et ainsi de permettre à l'Etat de convertir plus sans dépasser la barre des 40%.

Au final, une offre de conversion des titres préférentiels à hauteur de 27,5 milliards de dollars a été faite aux autres actionnaires préférentiels (Government of Singapore Investment Corp., Capital Research Global Investors et le prince Al-Waleed...) au prix de 3,25 dollars par action (soit une prime de 30% par rapport au dernier cours). Ce qui a permis au gouvernement de convertir pour 25 milliards de dollars d'actions préférentiels et ainsi porter sa part dans la banque à 36%. Pour Citigroup, l'opération a permis de relever son TCE de 1,5% à 4% avec plus de 80 milliards de dollars de capital ordinaire et son Tier 1 de 7,7 à 11,8%.

Pour finir, il est intéressant de remarquer que cette crise, comme toutes les autres, est un catalyseur de réflexions sur le cadre de régulation. Elle nous permet d'observer avec une optique grossissante les forces et surtout les zones d'amélioration des principes et normes édictées suite aux crises précédentes. A ce titre, Bâle II a montré toute sa pertinence pour ce qui concerne la couverture des risques de contrepartie. Par contre, la gestion des risques structurels de la banque, en particulier la gestion du risque de liquidité, est apparue perfectible. Rapidement, des groupes de travail internationaux (G20 des ministres des Finances...) ont été constitués pour y réfléchir.

La mise en lumière des concepts de Core Tier 1 et de TCE en est la conséquence directe. Les régulateurs vont continuer l'effort et nous devrions voir d'autres indicateurs plus avancés (et connus seulement des trésoriers) venir sur le devant de la scène dans les prochains mois, comme par exemple le ratio de liquidité à moins d'un mois.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Félicitations pour cet article éclairé ! Ne pensez-vous pas que la multiplication des ratios / concepts pour les banques pourrait nuire in fine à la clarté de la communication financière? Le TCE ne semble pas bien accueilli en France (notamment par ...

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