Le pain et la révolution

Par Jacques Barraux, journaliste.
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Des inondations au Pakistan et en Australie. Des récoltes incendiées en Russie. Des émeutes en Algérie. Une sécheresse en Amérique latine. Le Maghreb en révolte. Trois ans après les émeutes de la faim qui avaient secoué une partie de la planète, de l'Egypte à Haïti et du Mexique à l'Indonésie, une nouvelle vague de hausses des prix du blé, du maïs, de l'huile, du soja, du sucre ou de l'oignon redevient un détonateur de crises politiques. La perspective pour le monde d'avoir à nourrir 9 milliards d'êtres humains en 2050 - contre 7 milliards aujourd'hui - garantit la dimension stratégique de tout ce qui touche à l'alimentation des masses.

L'agrobusiness est un concentré des contradictions du siècle. Un peu plus de 900 millions d'êtres humains souffrent de malnutrition, alors que la production mondiale dépasse largement les besoins de la population mondiale. A peine un tiers des terres cultivables de la planète sont exploitées, tandis que les colosses de l'agriculture mécanisée ne cessent de grignoter les terres de l'agriculture vivrière, indispensable à la survie des populations les plus démunies.

Depuis six mois, l'indice mondial des prix alimentaires de la FAO, qui repose sur un panier de 55 produits, dépasse le niveau atteint lors des "émeutes de la faim" de 2008. A qui la faute ? L'agriculture ne peut pas fonctionner en flux tendus comme l'industrie. Les aléas climatiques, les catastrophes naturelles ont une influence trop décisive pour se priver des trois instruments indispensables au lissage des prix : la constitution de stocks alimentaires, les accords régionaux de type Europe-Méditerranée et - sujet d'éternelles controverses - les contrats à terme. Mais toute recherche de solution rationnelle à la volatilité des prix se heurte à l'antagonisme des forces du marché et de celles de l'Etat.

Le marché. Les marchés agricoles sont mondialisés depuis le XIXème siècle. Quatre géants du commerce coordonnent les flux de produits. C'est le fameux club "ABCD". A pour Archer Daniels Midland qui a son siège à Minneapolis. B pour Bunge, fondé dès 1818 à Amsterdam. C pour Cargill, la plus grande entreprise mondiale non cotée avec plus de 110 milliards de dollars de chiffre d'affaires. D pour le négociant français Louis Dreyfus. Environ 80 pays dans le monde sont importateurs nets de produits agricoles.

L'Etat. A l'heure où l'image sur Internet d'un suicide par le feu suffit à mettre un régime en péril, on assiste à un retour général au réflexe national. Au Brésil, Dilma Rousseff vient de redire son attachement à la bolsa familia, la bourse famille, carte d'allocation accordée à 12 millions de familles vivant avec moins de 1 dollar par jour. Même système de cartes de rationnement en Inde où 80 millions de foyers vivant au-dessous du seuil de pauvreté sont censés avoir accès à un réseau de magasins spécialisés. Au Mexique, l'Etat s'est couvert sur le marché à terme de Chicago pour éviter que la hausse actuelle du prix du maïs ne réveille les "émeutes des tortillas" de 2007.

La France veut mobiliser le G20 pour lutter contre la volatilité des prix agricoles, mais c'est à l'intérieur des grands États que se joue le retour au calme. L'exemple de l'Inde résume à lui seul les aberrations du marché. Le pays croule sous les réserves de riz ou de blé. Une production dont plus de 30% ne parvient jamais aux consommateurs compte tenu du néant logistique, de l'absence de chaîne du froid et de la tenue désastreuse des stocks. Sans oublier que plus de la moitié des cartes de rationnement sont aspirées dans des circuits de corruption... La Terre a de quoi nourrir les humains. Encore faudrait-il que les fruits de la Terre arrivent jusque dans leurs assiettes.

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