Médecine et informatique : éviter l'erreur anglaise

Par Gérard Domas, président d'Interop'Santé.
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Les besoins en systèmes d'information de santé croissent, en France comme partout dans le monde, à mesure que de nouveaux enjeux et de nouveaux défis se font jour, notamment pour bénéficier des avancées de la recherche médicale. Ainsi, l'avènement de la médecine personnalisée devrait autoriser une personnalisation inconnue jusqu'alors en utilisant les acquis de la génomique. Y renoncer serait non seulement tourner le dos au progrès scientifique et technique, mais aussi risquer l'éclatement d'un système de santé déjà fragilisé par la crise et qui devra faire face à une complexité croissante pour la mise en oeuvre des innovations diagnostiques et thérapeutiques.

Dans ce contexte, les nouveaux outils informatiques, malgré leur performance et leur intelligence, ne sauront pas, à eux seuls, régler tous les maux qui menacent un système de soins auquel tous les Français sont viscéralement attachés. On attend, en effet, non seulement qu'ils répondent au besoin de plus en plus pressant de rationaliser la gestion des hôpitaux, mais aussi, et surtout, qu'ils permettent aux professionnels de santé d'augmenter l'efficacité et les performances de leur pratique en tant que véritable appui de toute démarche diagnostique et thérapeutique. Toutefois, les apports de la technologie sont ainsi suffisamment puissants, et prometteurs, pour que la révolution numérique dans le secteur de la santé s'opère enfin. La compensation de la perte des ressources humaines, que nous constatons aujourd'hui à l'hôpital public mais également en médecine libérale dans de nombreux territoires, la rend incontournable si l'on veut préserver le modèle français.

Une fois obtenu le consensus sur cette priorité stratégique, rien n'est réglé pour autant, car il reste l'épineux problème du pilotage de ce grand chantier. En d'autres termes, qui peut et doit en assurer la gouvernance ? Dans cette affaire, comme dans d'autres, la preuve est aujourd'hui faite que les bonnes intentions des politiques et le zèle des administrations de l'Etat ne suffiront pas. En 2004, Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Santé de l'époque, faisait du dossier médical personnel ou DMP, une priorité nationale : le plan initial tablait sur une diffusion en trois années, chaque Français pouvant bénéficier en 2007 d'un DMP et donc de l'accès à ses données personnelles de santé numérisées avec, à la clé, 3,5 milliards d'euros d'économies. Promis, juré !

Sept ans et 100 millions d'euros plus tard, force est de constater que la prédiction ne s'est pas réalisée et que la bataille fait toujours rage autour de ce grand chantier national. Alors, quel rôle et pour qui ? C'est bien entendu à l'Etat d'organiser et garantir le succès du déploiement des infrastructures indispensables qui vont permettre le développement du numérique en santé : haut débit aussi bien fixe que mobile pour la télémédecine et la télésanté, très haut débit pour l'imagerie médicale (en priorité pour la radiologie et l'anatomopathologie), haute disponibilité et haute sécurité pour l'archivage numérique. Ce que nous avons fait, avec succès, pour la télévision numérique terrestre (TNT), ne pourrait-on pas le faire pour la médecine numérique ? Quant aux déploiements des outils et des services associés, ils devront s'effectuer au plan régional, au plus proche des besoins des patients et des professionnels de santé.

Car il ne s'agit pas de contraindre ces derniers à l'utilisation d'applicatifs métiers. C'est quasi impossible dans le domaine du soin, comme en attestent les difficultés du plus grand projet civil centralisateur du Royaume-Uni, malgré les moyens considérables engagés (17 milliards d'euros). Il s'agit d'inviter les professionnels de santé à codévelopper et adopter des solutions qui pourront s'intégrer à leur pratique. Moderniser notre système de santé, c'est sans aucun doute utiliser tous les moyens numériques disponibles au service de la recherche et de la dispensation des soins. Un grand défi que chercheurs, professionnels de santé et industriels auront collectivement à relever. Mais pour que les différents projets (systèmes d'information hospitaliers, dossier médical, télémédecine, DMP...) fonctionnent, une parfaite interopérabilité basée sur des normes et des standards garantissant la sécurité et la confidentialité des données, n'est qu'une des conditions indispensables, et en aucun cas la condition suffisante, aux échanges et au travail collaboratif.

Le succès de la médecine numérique, c'est-à-dire de la médecine de demain, dépend aujourd'hui plus de l'évolution des mentalités que des moyens technologiques. La technologie est là, il faut maintenant la volonté de se parler et de travailler ensemble. Et là, la route est encore longue !

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