Le mythe de l'l'influence française

DSK ou Jean-Claude Trichet n'incarnent pas plus la France dans leur institution internationale que Mario Draghi ne sera "l'Italien de la BCE" à partir de novembre. Au plus, ils contribuent à expliquer dans leur pays leur politique plus "européenne" que "nationale". Christine Lagarde, candidate au FMI, s'inscrit dans la même tradition.
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Les observateurs sont unanimes : avec la démission de Dominique Strauss-Kahn de la direction générale du Fonds monétaire international (FMI) et le départ le 31 octobre prochain de Jean-Claude Trichet de la présidence de la Banque centrale européenne (BCE), ce serait la fin de la "belle époque" française sur la scène mondiale. En filigrane, le message est : nous, Français, ne pourrons plus autant qu'auparavant imposer notre point de vue au reste du monde. À voir, alors que la ministre de l'Économie et des Finances, Christine Lagarde, est désormais officiellement candidate pour succéder à DSK au FMI. Mais est-ce aussi simple ? La nationalité d'un dirigeant d'une grande organisation internationale est-elle déterminante ? Il suffit de se pencher attentivement sur le cas spécifique de la Banque centrale européenne pour en douter.

Selon la légende, le ministre des Finances du chancelier Kohl, Theo Waigel, qualifia un jour Jean-Claude Trichet du "plus allemand des hauts fonctionnaires français". Cela justifiait, aux yeux de Bonn (à l'époque), que l'Allemagne acceptât de confier à un Français la prunelle de ses yeux, la direction de la politique monétaire, élargie à toute l'Europe et non plus à la seule, et toute-puissante, Bundesbank. Or, à quelques semaines de la fin du mandat de huit ans à la tête de la BCE de l'ancien directeur du Trésor français, bien malin qui pourrait dire si Jean-Claude Trichet a été un président de l'institution de Francfort plutôt français ou plutôt allemand... Cela tient autant à la difficulté de définir ce qu'est une politique monétaire, économique typiquement "française" et une autre "allemande" ou autre.

En février dernier, ce sont bien deux Français, issus de grandes écoles (HEC et ENA), qui s'opposaient sur l'opportunité d'augmenter les salaires : Jean-Claude Trichet indiquait que "c'était la dernière bêtise" à faire alors que DSK y voyait une partie des problèmes spécifiques de l'Europe. Certes, depuis la nuit du 9 mai 2010, Jean-Claude Trichet a eu fort à faire avec les dissidents allemands contre la décision du Conseil des gouverneurs de la BCE d'acheter des obligations des États de la zone euro en difficulté (d'abord la Grèce puis l'Irlande, le Portugal, l'Espagne). Mais comme il le rappelait quelques jours plus tard, "parfois en France, on m'appelle l'ayatollah de/du Franc-fort ". Et Jean-Claude Trichet de rappeler aussi que l'ancien chancelier Helmut Schmidt qualifie l'action de la BCE d'irréprochable.

Identifier donc Jean-Claude Trichet à une politique monétaire accommodante, "laxiste" car le chef de l'institution est un Français, ne résiste pas à l'examen. C'est d'ailleurs le même type de discours qui a été développé à propos de son successeur l'Italien Mario Draghi. En mars 2010, le quotidien populaire allemand "Bild Zeitung" mettait en garde ses lecteurs contre cet Italien "qui veut devenir M. Euro, c'est-à-dire président de la BCE qui garantit les destinées de notre monnaie et gère l'héritage du bon et stable deutsche mark. Un homme de la lire ! Rappelez-vous : cette monnaie avec une infinité de zéros. Ce n'est pas possible !"

Depuis, le même organe de presse qualifie le gouverneur de la Banque d'Italie comme "le plus allemand parmi les candidats" pour succéder à l'actuel président français, considérant finalement Draghi comme "même vraiment prussien". Beaucoup ont en effet feint d'ignorer que Mario Draghi a été, comme directeur du Trésor italien durant dix ans, une des chevilles ouvrières de la qualification de l'Italie à la monnaie unique. Il a notamment piloté les nombreuses privatisations des années 1990 alors que les gouvernements, à l'instar de Romano Prodi, coupaient dans les dépenses et introduisait même un impôt spécial pour se qualifier pour l'euro. Une autre Italie que celle du Cavaliere Berlusconi. Celle des dirigeants de la Banque d'Italie, institution de recours, impartiale, qui bat le fer avec les chefs de gouvernement et à maints titres est plus respectée en Italie que la Bundesbank l'est en Allemagne.

Aussi un Français ou un Italien à la tête de la BCE, du FMI, n'est pas tant un gage d'influence de son pays d'origine sur les affaires du monde, en l'occurrence celles de l'institution qu'il préside. La nationalité est plutôt un avantage à usage interne : Mario Draghi ou Jean-Claude Trichet sont et seront les meilleurs avocats de la politique suivie à Francfort dans leur propre pays. Ils peuvent en effet l'expliquer de vive voix dans les médias de leur pays, là où le président de la BCE ne s'exprime en général que dans un anglais un peu technique et abscons pour le commun des mortels.

À ce titre, ils font plus pour défendre la position « européenne » de la BCE que la position française ou italienne au sein de l'institution de Francfort.

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