La guerre des empires : Europe versus Etats-Unis

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef à La Tribune.
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C'est devenu un lieu commun que de voir dans l'émergence d'une nouvelle Chine, et dans le déclin de l'Amérique, économique et culturel, la préfiguration d'une guerre des empires. Décrit par François Lenglet dans un récent essai, ce match du XXIème siècle, qui verra la Chine devenir la première puissance mondiale d'ici 2020 à 2030, occupe tellement les esprits que l'on fait peut-être preuve de myopie à l'égard d'une autre guerre, plus ancienne et plus sourde, celle qui oppose deux empires en décadence, l'Europe et les Etats-Unis.

L'actualité récente donne pourtant de nombreux signes que, dans le déclin de l'Occident, la confrontation la plus brutale a lieu entre les deux blocs économiques de l'axe Atlantique, alliés politiquement, idéologiquement mais qui, justement parce qu'ils sont bousculés de concert par la montée en puissance des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, et autres) se retrouvent antagonistes sur la scène économique.

Le symptôme le plus évident de cette "guerre" Etats-Unis/Europe, c'est bien entendu la monnaie. Il ne se passe pas un jour sans que la théorie du complot voie l'Amérique et Wall Street tout mettre en oeuvre pour éviter que l'euro devienne une vraie alternative au dollar. Qui ne se souvient du fameux dîner des hedge funds à New York qui, juste avant la crise grecque du printemps 2010, voulait mettre l'euro au tapis. Il y aurait pourtant de bonnes raisons à voir l'euro devenir un substitut au dollar. Économiquement, l'Europe des Vingt-Sept, a fortiori avec la Russie et la Turquie, voire la Méditerranée, constitue de loin la première puissance mondiale, par la taille du marché et son potentiel de pouvoir d'achat. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la plupart des entreprises américaines regroupent l'Europe sous le vocable Emea, incluant tous les pays de l'Irlande au Moyen-Orient. Politiquement, l'Union européenne constitue un ensemble de démocraties sociales de marchés modernes, dont le niveau de protection des droits des entreprises et des citoyens n'a rien à envier à l'Amérique. Certes, la Grèce est malade, mais l'absorption de sa dette est un fétu de paille à l'échelle de l'Europe, pour peu que celle-ci assume sa solidarité, ce qui, à bien y regarder, dépend surtout de la capacité des hommes et des femmes qui dirigent l'Union à en convaincre les peuples. En s'opposant, sans succès, à l'intervention du FMI dans le sauvetage des pays européens surendettés, la Banque centrale européenne a d'ailleurs bien montré que cette ingérence extra-européenne et d'inspiration américaine dans la gestion de problèmes que l'Union européenne aurait pu régler elle-même était indésirable et dangereuse.

De fait, face à ce bloc européen, le dollar apparaît de plus en plus contesté. Il ne tient plus que par le jeu de la barbichette avec la Chine, piégée par le poids disproportionné de la devise américaine dans ses réserves de change. Ce jeu ne durera pas toujours, et pour rester dans la théorie du complot, on peut penser que les États-Unis ne sont pas si mécontents de la chute de Dominique Strauss-Kahn, qui portait, au FMI, une voix critique sur "le droit de cuissage" exercé par la monnaie américaine sur le système financier international. De ce point de vue, il n'est pas sûr que Christine Lagarde, si elle succède à DSK, saura reprendre ce combat depuis Washington.

Une autre manifestation de cette guerre transatlantique est apparue à l'eG8 organisé la semaine dernière. On y a vu Nicolas Sarkozy recevoir tels des chefs d'Etat les maîtres américains de l'Internet, patrons de Facebook, Twitter, Google... En leur faisant tout de même un peu la leçon sur le respect de la vie privée... Mais jamais Nicolas Sarkozy n'a porté le message que l'Europe était déterminée à créer et faire fructifier des Google et des Facebook européens . Alors qu'elle en a les moyens intellectuels et le vivier culturel, celle-ci préfère encore confier à des entreprises américaines la gestion de banques de données littéraires, artistiques... Et pourtant : si elle voulait bien se reposer un jour la question de sa force et de son identité, l'Europe n'a aucune raison de laisser ainsi passer le train de l'histoire.

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Commentaires 2
à écrit le 04/06/2011 à 20:21
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on pourrait plutôt parler d'empire allemand en europe qui a été créé sur la paix plutôt que la guerre comme il y a quelques générations, car la guerre n'est qu'un moyen parmi d'autres d'arriver à ses fins, celui de l'hégémonie, qui repose sur la conc...

à écrit le 04/06/2011 à 9:25
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Comme "l'europe" n'existe pas, voila qui ne veut pas dire grand chose... Pourquoi USA et pas Amériques si l'on parle de zone sans arrière pesnée politique ??

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