« Recapitaliser les banques ne peut être la seule réponse à la crise »

En pleine tourmente boursière, Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur, et Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers se sont rencontrés pour évoquer certains volets de la régulation.
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Comment sortir de cette crise dans laquelle sont enfermés les marchés ?

Michel Barnier : Nous sommes confrontés à de vrais problèmes de fond, mais aucun n'est insurmontable. Ce n'est pas le moment de tomber dans le catastrophisme. Il nous faut affirmer une détermination européenne. Les marchés nous testent sur notre capacité à parler d'une seule voix. Ce sont les déclarations erratiques qui entretiennent la crise. S'agissant de la zone euro, nous devons nous attaquer aux déséquilibres structurels, c'est-à-dire aux problèmes de positionnement concurrentiel de nos différentes économies. C'est la première source de nos déficits et de nos dettes. Nous devons créer ce que Jacques Delors avait évoqué dès le début de l'union monétaire : une union économique. Nous devons aussi mieux coordonner nos politiques budgétaires, mais aussi mutualiser une plus grande partie de nos dépenses en dépensant mieux et plus collectivement. Enfin, à court terme, il faut poursuivre une politique monétaire volontariste, notamment sur le marché secondaire de la dette.

Ce dont il s'agit, c'est d'un nécessaire saut qualitatif dans notre intégration, une gouvernance plus stricte et plus unifiée menée par un véritable ministre de l'Économie et des Finances européen. On ne peut pas avoir une monnaie fédérale et une politique économique et budgétaire juxtaposée. C'est le moment de lancer le débat avec les citoyens. Jamais par le passé, les deux questions du désendettement du pays et de la construction européenne n'ont été à ce point présentes dans le débat des élections présidentielles.

Jean-Pierre Jouyet : Nous assistons effectivement à des mouvements de défiance des marchés. Rien n'est insoluble, mais il faut aller vite. Notre détermination européenne doit être très forte : nous avons le choix entre laisser la souveraineté aux marchés ou partager au niveau européen notre souveraineté. En zone euro, la priorité est à une action coordonnée sur les déséquilibres structurels, à une meilleure coordination en amont de nos politiques budgétaires. Et la BCE doit continuer d'alimenter en liquidités les marchés car les besoins sont importants. Il faut un saut fédéral dans le domaine économique et financier qui soit fort. On peut avoir des divergences politiques, mais aujourd'hui, il y a urgence. C'est notre avenir qui est en jeu. Ce que disent les marchés, c'est que justement grâce à notre monnaie unique, il nous faut plus d'intégration politique et réglementaire. Certes, il y a de la spéculation, de l'irrationnel. Les marchés ont leur responsabilité. Mais il y a parfois des messages qui sont justes.

Les marchés ont-ils raison d'avoir peur s'agissant des banques ?

M. B. : La crise nécessite une réponse globale. Il faut résoudre l'urgence de la crise de la dette souveraine, dont les effets affectent le secteur financier. Nous devons renforcer la capitalisation des banques, conformément aux nouvelles normes de capital ambitieuses avec la transposition de Bâle en Europe. Le mouvement est engagé depuis deux ans. Il est particulièrement urgent pour les banques qui n'ont pas passé les « stress tests ». Pour autant, le capital ne peut être la seule réponse à la crise. Ce serait simpliste et erroné. Il faut aussi une meilleure supervision externe, une meilleure gouvernance interne des institutions financières, arrêter la prise de risques insensés.

Les banques européennes - dont les banques françaises - sont bien capitalisées. Quelques unes, identifiées par les stress tests récemment, ont besoin de recapitalisation urgente. Aucune n'est française. Toutes les autres - françaises, européennes, américaines - doivent continuer à se renforcer graduellement pour remplir les exigences de Bâle III entre autres. Il faut arrêter de mettre toutes les banques dans le même panier.

J.-P. J. : Il ne faut pas tout mélanger. Il est vrai qu'il y a des banques en Europe et ailleurs qui doivent être recapitalisées. C'est au régulateur bancaire européen de dire lesquelles. Plus fondamentalement, la défiance actuelle des marchés repose sur un mixte d'incertitudes économiques et politiques, sur le traitement des dettes et les réformes de structure à accomplir. Ce qu'attendent les marchés, c'est surtout d'y voir un peu plus clair.

 

Le régime des ventes à découvert reste encore un sujet de discorde en Europe...

M. B. : Nous avons présenté notre proposition de règlement le 15 septembre 2010. Mais le temps de la démocratie n'est pas celui des marchés. J'ai bon espoir de parvenir à un accord entre Parlement et États membres le mois prochain. En attendant, les mesures d'interdiction décidées cet été, pour la première fois, ont été coordonnées avec l'autorité européenne des marchés (ESMA). C'est la preuve que nous avons fait des progrès. Il faut aller plus loin et le règlement le permettra. L'obligation de transparence, première condition de la responsabilité, est le maître mot de toutes nos législations. Nous savons bien qu'un certain nombre de gens sur les marchés n'aiment pas la lumière. Mais nous serons mieux équipés pour savoir ce qui se passe et pour agir.

J.-P. J. : L'important, c'est effectivement la transparence, tout comme l'organisation et la structure des marchés. À cet égard, nous espérons que la révision de la directive Marchés d'instruments financiers (MIF) aille vraiment dans ce sens. La désorganisation actuelle contribue aussi à la crise. Je me félicite du règlement européen sur les ventes à découvert. Mais attention, le fait d'interdire les ventes à découvert ne fait pas la tendance sur les marchés. Notre but était de ne pas ajouter un élément déstabilisant à une situation déjà difficile, de ne pas favoriser des rumeurs pour pouvoir faire jouer des anticipations auto-réalisatrices dont certains, sur les dérivés, sont maîtres. C'est pour cela que nous souhaitons un règlement européen et que, dans la situation actuelle, nous maintenons l'interdiction sur la vente à découvert des valeurs financières.

La question du financement des PME inquiète. Comment faciliter leur accès au marché ?

M. B. : C'est un sujet sur lequel nous travaillons, c'est la première mesure de l'Acte pour le marché unique que j'ai fait adoptée par la Commission en avril. Nous travaillons aussi sur l'idée d'une Bourse européenne pour les PME ou alors d'un cadre spécifique dans une Bourse existante. Les entreprises ne peuvent pas seulement entendre des discours à base d'austérité, de gouvernance, de régulation ou de supervision. Il leur faut une ligne d'horizon, de croissance. Et là aussi, la réponse, c'est l'Europe, le marché unique. Nous devons faire mieux fonctionner ce marché pour aller chercher les 3 ou 4 % de croissance qui s'y trouvent. Avec douze de mes collègues, nous avons donc proposé cet Acte pour le marché unique afin d'aboutir à une régulation proactive et facilitatrice d'ici à deux ans. Nous allons ainsi délivrer dans quelques mois le brevet européen, attendu depuis trente ans. S'agissant des PME, nous allons alléger les contraintes en matière de normes comptables et nous travaillons à l'idée d'un droit boursier, d'un accès boursier facilité.

J.-P. J. : L'accès au financement des PME est un sujet essentiel. L'activité, le maintien de l'emploi en Europe sont le fait des PME. Il faut un vrai régime européen spécifique aux PME.

 

Y a-t-il des leçons à tirer de l'affaire UBS ? Faut-il davantage encadrer les ETF ?

M. B. : À la suite de cette affaire UBS, nous regarderons les leçons qu'il conviendra de tirer sur un marché déjà en partie régulé par les directives OPCVM et MIF, mais insuffisamment. La prochaine révision de la MIF sera l'occasion de mesures plus rigoureuses en matière de transparence. Au-delà, l'affaire UBS met en lumière des attitudes, des défaillances ou des malhonnêtetés qui posent des questions sérieuses de gouvernance, de supervision et de contrôle interne. C'est bien la preuve qu'il faut agir sur tous les plans pour la stabilité financière : supervision externe, supervision interne, gouvernance, résolution des crises bancaires si nécessaire - proposition que je vais faire en novembre - et puis des sanctions. Nous allons criminaliser un certain nombre de pratiques ou d'attitudes, rumeurs ou malversations.

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