Les cryptomonnaies aussi doivent devenir sobres en énergie

HOMO NUMERICUS. Les cryptomonnaies sont régulièrement pointées du doigt en tant que gouffres énergétiques. Elles doivent se réinventer en devenant plus sobres. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Riot Blockchain, la ferme de minage que Whinstone développe à Rockdale (Texas), aura à terme une capacité de 750 MW. Ce site, avec ses milliers d'unités informatiques et ses puissants systèmes de refroidissement, est considéré comme le plus grand d'Amérique du Nord. Selon un rapport gouvernemental, le minage de cryptomonnaies aux États-Unis émet autant de carbone que tous les trains diesel du pays...
"Riot Blockchain", la ferme de minage que Whinstone développe à Rockdale (Texas), aura à terme une capacité de 750 MW. Ce site, avec ses milliers d'unités informatiques et ses puissants systèmes de refroidissement, est considéré comme le plus grand d'Amérique du Nord. Selon un rapport gouvernemental, le minage de cryptomonnaies aux États-Unis émet autant de carbone que tous les trains diesel du pays... (Crédits : Whinstone)

Il y a quelques semaines, Le Monde publiait un reportage spectaculaire sur la plus grande ferme de minage à bitcoins située à Rockdale, petite cité rurale au cœur du Texas[1]. Dans un bâtiment de 300 mètres de long, 38.300 ordinateurs et des centaines de serveurs tournent à plein régime jours et nuits pour « miner », c'est-à-dire effectuer un grand nombre de calculs informatiques très complexes indispensables à la validation de transactions utiles à la technologie de la blockchain et à son sous-jacent, la cryptomonnaie, le bitcoin. Pour faire fonctionner et refroidir ces milliers d'appareils installés en batterie, une puissance électrique égale à 700 mégawatts est nécessaire, soit à peu près l'énergie produite par un demi-réacteur nucléaire...

L'abus de cryptomonnaies est dangereux pour la planète

Certes, et à l'échelle mondiale, on objectera qu'il ne faut « que » 114 TW/h annuels (soit 114 milliards de KW/heure) pour miner du Bitcoin dans ces gigantesques fermes à bitcoins, c'est-à-dire une part infime de la consommation totale d'électricité, à en croire le « Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index[2] ». Pour autant, et même si la production électrique requise est moins élevée que dans d'autres secteurs (à titre d'exemple, le système bancaire mondial consommerait à lui seul 264 TW/h annuels), il interpelle tout de même en ces temps où la sobriété énergétique s'impose à tous, surtout pour des technologies finalement encore assez peu utilisées par le plus grand nombre. Dit autrement, qu'en sera-t-il de la consommation électrique (d'autant que la principale source de production dans le monde est à base d'énergies fossiles et singulièrement de charbon...) lorsque blockchain, cryptomonnaies et autres métavers auront trouvé leurs marchés en touchant des milliards de personnes ?

Faut-il aller jusqu'à interdire le minage ?

Faudrait-il aller jusqu'à réglementer, voire interdire le minage ? Cette question n'est sans doute pas étrangère au fait que la Maison-Blanche, dans un rapport publié il y a quelques jours[3], va jusqu'à proposer cette solution radicale : interdire le minage de bitcoins au motif qu'il représente un risque et une menace pour la production électrique du pays. Pour s'en convaincre, ce document mentionne que la part des États-Unis dans le minage mondial de bitcoins a été multipliée par 1.000, passant de 3,5% à 38%, en moins de deux années, de 2020 à 2022 (la Chine suit, avec 21% du minage mondial). Comme pour enfoncer le clou et donner des ordres de grandeur qui soient compréhensibles par tous, ce rapport officiel rappelle que, aux États-Unis, les cryptomonnaies émettent autant de carbone que tous les trains diesel du pays...

Innover pour réduire l'impact environnemental des nouvelles technologies

Pour tous les acteurs de ces nouvelles technologies qui requièrent des puissances de calcul importantes, et donc d'énormes quantité d'électricité, l'enjeu est clair. S'ils ne font pas leur mue en misant sur une évolution de leurs technologies pour qu'elles deviennent moins énergivores, ils risquent de se heurter à des murs érigés par les États et par les citoyens. L'un et l'autre jugeant que le rapport « coûts/avantages » de ces technologies s'avère disproportionné, et cela, nettement en la défaveur de l'environnement. Avant d'en arriver à cet extrême, il faudra innover en concevant différemment ces nouvelles technologies pour qu'elles prouvent qu'elles aussi peuvent évoluer vers la sobriété énergétique. D'ores et déjà des cas concrets existent.

Faire autrement

Récemment, la blockchain Ethereum (et son prolongement en cryptomonnaie : l'ether) a fait basculer son système de validation de transactions en abandonnant la méthode dite de « preuve de travail » vers une autre, nettement moins gourmande en énergie, appelée « preuve d'enjeu »[4]. Concrètement, si la première consiste à mettre en compétition des milliers de valideurs (mineurs) qui utilisent simultanément la puissance de calculs de leurs ordinateurs pour, chacun, tenter de résoudre le premier des équations cryptographiques, la seconde méthode s'avère bien moins énergivore puisqu'elle repose sur un tirage au sort de mineurs volontaires qui s'engagent à effectuer un travail demandé.

L'avantage, c'est que ce protocole évite ainsi que des milliers de mineurs de cryptomonnaies travaillent en même temps sur la même transaction et donc gâchent de la ressource électrique. Fini le temps du « premier arrivé, premier servi (en bitcoins)», place à « je suis la personne élue et la seule habilitée à réaliser une tâche donnée». Selon une estimation de la fondation Ethereum[5], ce changement de protocole pourrait réduire la consommation énergétique de la blockchain de... 99,95 %! Un chiffre résolument optimiste qui, s'il s'avérait exact, permettrait d'atténuer la défiance envers cette technologie accusée de contribuer au réchauffement climatique.

Crise énergétique : les petits gestes, c'est bien, mais ça ne suffira pas

Dans son passionnant essai « L'enfer numérique, Voyage au bout d'un like[6] », Guillaume Pitron passe en revue les solutions existantes pour que nous-mêmes et les concepteurs de ces nouvelles technologies intégrions cette notion de sobriété que l'on entend désormais partout. Au plan individuel, certes nous sommes loin d'être des « mineurs de bitcoins » en puissance mais, et à notre échelle, il nous revient sans doute aussi de changer de logiciel : stocker moins de données, préférer le wifi (ce qui amène à consommer 23 fois moins d'énergie qu'en passant par la 4G), se connecter sur un site Web sans passer par Google car une requête vers ce dernier capture autant de courant qu'une ampoule allumée pendant 1 à 2 minutes, visionner un film en basse plutôt qu'en haute définition... bref, adopter tout ou partie de ces « petits gestes » dont de futures campagnes gouvernementales s'empareront sans doute.

Pour autant, tout ça est-il à la hauteur des enjeux ? Vue l'urgence climatique et énergétique, la réponse est oui, ne serait-ce qu'à court terme pour faire face à l'actuelle crise énergétique. Mais cette politique des petits gestes ne pourra sans doute pas répondre à d'autres interrogations, celles-là plus profondes, telles que le maintien et l'extension de la gratuité de l'internet ou encore la neutralité du Web selon laquelle tous les usages numériques ne se valent pas et, partant, certains accès et services pourraient/devraient être considérés comme prioritaires sur d'autres.

Une chose est sûre, dès que la question de la sobriété énergétique se pose, on voit que, pour le digital, on commence alors à tirer sur le fil d'une très longue pelote qui nous entraîne sur le chemin d'une probable diète numérique ou pour le moins d'un usage plus raisonné des technologies, pour celles et ceux qui ne savent pas réfréner leurs appétits énergétiques. Et cela pas seulement pour les blockchains et autres cryptomonnaies.

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NOTES

1 https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/22/au-texas-la-plus-grande-usine-a-bitcoins-des-etats-unis-consommera-l-equivalent-d-un-demi-reacteur-nucleaire_6118587_3234.html

2 https://ccaf.io/cbeci/mining_map

3 09-2022-Crypto-Assets-and-Climate-Report.pdf (whitehouse.gov)

4 https://ethereum.org/fr/upgrades/merge/

5 https://www.reuters.com/technology/ethereums-energy-saving-merge-upgrade-2022-09-15/

6 http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-L_enfer_num%C3%A9rique-662-1-1-0-1.html

Philippe Boyer

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Commentaire 1
à écrit le 29/09/2022 à 20:38
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