2024, l'année de la première révolte contre l'intelligence artificielle

CHRONIQUE L'ŒIL DE L'ÉCO- Retrouvez chaque semaine la chronique de Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune.
Philippe Mabille
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Philippe Mabille (Crédits : DR)

L'intelligence artificielle va vite, très vite. Trop vite ? La question commence à alimenter le débat public depuis que des manifestants ont détruit à San Francisco un robotaxi autonome Waymo développé par Google. La scène se passe samedi 10 février, en pleine célébration du Nouvel An lunaire dans le Chinatown de la ville : une voiture équipée d'un Lidar, un radar permettant à ce taxi de fonctionner sans pilote, est attaquée puis brûlée vive (heureusement sans passager à l'intérieur). Serait-ce le début de la révolte des humains contre l'intelligence artificielle ? s'interrogent les médias locaux.

Accusés de provoquer des embouteillages, des collisions et des accidents en série, ces taxis autonomes, qui commencent à remplacer les chauffeurs de taxi traditionnels, n'ont pas la cote. Début février, un cycliste s'est fait percuter par un robotaxi Waymo. D'autres compagnies, comme Cruise, ont perdu leur licence après avoir tenté de dissimuler un accident. Certes, en théorie, l'arrivée de la conduite autonome pourrait, à terme, quand elle sera au point, réduire le nombre de morts et de blessés sur les routes. Mais d'ici-là, la cohabitation avec les conducteurs humains ne sera pas un long fleuve tranquille. Se pose aussi la question, non réglée à ce jour, de l'assurance en cas d'accident : a priori, ce devraient être la responsabilité des constructeurs de ces voitures autonomes. Mais sont-ils prêts à l'assumer ? Rien n'est moins sûr.

Autre signe de révolte, plus pacifique, la multiplication des vidéos qui moquent le nouveau casque 3D immersif d'Apple, le Vision Pro. Sur les réseaux sociaux pullulent les parodies montrant des humains équipés de ce casque -qui ressemble à un masque de plongée assez moche- traversant la rue avec un chien robot équipé du même Vision Pro... On se croirait dans un épisode de l'excellente série de science-fiction Black Mirror qui depuis quelques années tente d'éveiller les esprits aux dangers d'un asservissement par les machines, vieille terreur de l'humanité.

ChatGPT5 d'ici à l'été

2024, année de la révolte contre les nouvelles technologies ? Pour l'instant, il n'est pas encore démontré que l'IA va détruire des centaines de millions d'emplois. Mais elle va à coup sûr les métamorphoser, ce qui ne manquera pas de susciter des craintes, des peurs, voire faire naître des mouvements néo-luddites, du nom de ces ouvriers anglais qui avaient cassé des métiers à tisser à la fin du 18ème siècle.

Ce qui est certain, c'est que l'intelligence artificielle fait des pas de géants. En attendant la sortie imminente, d'ici l'été dit-on, de ChatGPT5, Open AI vient de lancer une nouvelle innovation, Sora, qui permet de générer des vidéos automatiquement à partir d'une description textuelle. Impressionnant ! Cette innovation a de quoi inquiéter les créateurs de vidéos et les médias et pose une nouvelle fois la question du respect de la propriété intellectuelle. Qui est loin d'être résolue... Accusé par le New York Times d'avoir « pillé » ses contenus, Open AI revendique un « droit de citation » ! La justice tranchera, dans des années, quand il sera trop tard...

La bataille de l'IA s'accélère

Autre source de défiance à venir contre l'IA, les élections démocratiques qui concernent la moitié ou presque de la planète cette année, notamment l'Union européenne, le Royaume-Uni, l'Inde et les Etats-Unis. Les risques de désinformation et de multiplication de fausses nouvelles via de fausses vidéos générées par des IA est déjà si avéré que les géants de la tech vont proposer des outils pour tenter de détecter les deep fakes

Une chose est sûre, la bataille de l'IA va s'accélérer : début février, Sam Altman, le fondateur d'Open AI, a fait le buzz en revendiquant la nécessité d'investir 7000 milliards de dollars dans la production des semi-conducteurs indispensables à l'industrie de l'IA. Moqué sur les réseaux sociaux pour cette course au gigantisme, au risque d'avoir un effet d'éviction sur les investissements nécessaire pour la transition écologique, évaluée à 4500 milliards de dollars au niveau mondial d'ici 2030 pour limiter le réchauffement climatique, Sam Altman dit tout haut la nouvelle réalité dans laquelle le monde est entré. On est passé des millions aux milliards au cours de la dernière décennie. On entre désormais dans l'ère des trillions (mille milliards), nouvelle échelle des investissements à réaliser à l'horizon du milieu du siècle.

IA washing

Une folie ? Sans doute, mais aussi une foi dans l'avenir prometteur de l'intelligence artificielle. Rien que si l'IA apportait 10% de productivité supplémentaire, elle ferait progresser de 7 trillions de dollars le PIB des pays les plus avancés. Cette foi dans l'IA est déjà visible dans la communication des grandes entreprises. La banque d'affaires américaine Goldman Sachs a mesuré le nombre de mentions de l'IA lors des conférences de présentation de résultats trimestriels des entreprises cotées dans l'indice S&P500 : on est passé de moins de 5% en 2017 à 10% entre 2020 et 2022 et le nombre des mentions de l'IA était de 36% dans les résultats du quatrième trimestre... Spectaculaire, à moins que ce ne soit de l'IA Washing comme il existe du Green Washing auquel cas plus dure sera la chute quand les investisseurs reviendront à la raison. La bulle de la tech gonfle aussi dangereusement que les cerveaux des génies de l'IA...

« Quand c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit »...

En attendant, les investissements se multiplient déjà et alors que les Etats-Unis ont plusieurs longueurs d'avance grâce aux « Sept Magnifiques » (Microsoft, Apple, Google, Meta, Amazon, Nvidia et Tesla), l'Europe court le risque d'une nouvelle colonisation numérique qui accentuerait son décrochage économique. Microsoft, entreprise trillionnaire en dollars, vient ainsi d'annoncer un investissement record en Allemagne dédié à l'IA. Google a de son côté inauguré un centre de recherche dédié à l'IA à Paris en présence de Bruno Le Maire et de son CEO, Sundar Pichai. Google a aussi annoncé une nouvelle version encore plus puissante de son IA, appelée Gemini. La bataille pour le leadership mondial entre les géants de la tech américaine est lancée et ce n'est pas un hasard si Google comme Facebook (Meta) lancent dans le monde entier, dont la France, des programmes gratuits de formation à l'IA. Comme le rappelle la célèbre formule, « quand c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit »...

Amoureuse d'un robot...

Faites attention en tout cas quand vous donnez des instructions à des IA génératives : désormais, ChatGPT va être doté d'une vraie mémoire et pourrait bien se souvenir de la façon dont vous lui avez bien ou mal parlé... Et, à l'exemple du film Her, l'IA générative commence déjà à entrer dans nos vies amoureuses : une jeune étudiante de l'Université de Pékin, Wang Xiuting, est tombée amoureuse d'un compagnon virtuel développé par Wantalk, un robot conversationnel fourni par Baidu, le Google chinois. « Je le considère comme mon petit ami », a-t-elle confié à l'AFP, ajoutant : « je n'ai pas envie de faire d'efforts pour entretenir une relation sentimentale. Si je peux créer un personnage virtuel qui ne nécessite qu'un petit réglage et répond exactement à mes besoins, je ne vais probablement pas choisir une personne réelle ». D'autres robocompanions sont apparus en Chine : Tiktok a lancé Doubao, Tencet Weiban et une startup de Shanghaï a créé Glow. « Il sait comment parler aux femmes, mieux qu'un vrai homme », en dit Tufei, 25 ans qui assume : « j'espère avoir comme copain un robot humanoïde qui fonctionnerait à l'intelligence artificielle »... La révolte contre l'IA ne concerne visiblement pas tout le monde ! Mais pour le réarmement démographique, c'est mal parti ! Bientôt, des enfants robots...


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Philippe Mabille, directeur de la rédaction
@phmabille

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Commentaires 3
à écrit le 19/02/2024 à 15:14
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L'intelligence artificielle ne pourra jamais rien contre la bêtise humaine.

le 21/02/2024 à 9:18
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La "bêtise humaine" ça n'existe pas.

à écrit le 18/02/2024 à 9:12
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C'est également l'année de leur lancement du deep learning copieusement subventionné par l'argent public ! Et l'argent public c'est tellement important pour nos investisseurs hein ! ^^ Il faut attendre l'émergence d'une véritable IA même si vous et m...

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