Marchés financiers : « Nous nous approchons d’une zone d’excès » (Vincent Chailley, H2O AM)

ENTRETIEN- Vincent Chailley, cofondateur et directeur des investissements de H2O AM, société de gestion spécialisée dans la gestion « global macro » à fort effet de levier, livre son analyse sur l'évolution récente des marchés, notamment cette succession de records sur les Bourses mondiales, et dévoile ses principaux choix en matière d'investissement pour 2024.
Dans cette période, notre approche est encore plus value, indique Vincent Chailley, directeur des investissements chez H2O AM.
"Dans cette période, notre approche est encore plus value", indique Vincent Chailley, directeur des investissements chez H2O AM. (Crédits : Ivan Weiss)

H20 AM n'est pas tout à fait une société de gestion comme les autres. Elle a un style de gestion « global macro » à fort effet levier avec une solide réputation d'investir là « où les autres ne vont pas », selon l'expression de son responsable des investissements, Vincent Chailley, mais (presque) toujours sur des actifs liquides. Basée à Londres, elle a connu un vif succès sur le marché français, en particulier auprès des conseillers en gestion de patrimoine et des assureurs-vie. La performance de ses fonds a longtemps été inégalée dans l'univers de la gestion pour les particuliers.  La maison a cependant vacillé en 2019 là où on l'attendait le moins, sur des actifs non cotés, achetés auprès d'un homme d'affaires allemand sulfureux, Lars Windhorst. La moins-value est estimée à ce jour à  1,3 milliard d'euros, ce sera probablement plus quand tous ces actifs seront soldés. Crise de confiance, départ de l'actionnaire de référence, lourde sanction du superviseur français, des encours en chute de 60% en cinq ans,  H2O AM a cependant réussi à maintenir le navire à flot. Et ses principaux fonds, comme Multibonds ou Multistratégies, engrangent à nouveau, depuis deux ans, des performances élevées. Pour La Tribune, Vincent Chailley, cofondateur de H20 AM et directeur des investissements, livre son analyse sur l'évolution récente des marchés.

LA TRIBUNE-  Les Bourses volent de record en record. Comment expliquez-vous cette bonne tenue des marchés ?

VINCENT CHAILLEY- Les actions sont chères, à l'exception peut-être des actions européennes qui attirent toujours aussi peu les investisseurs internationaux. Les obligations sont également chères. Tout est finalement un peu cher. C'est une forme d'héritage des injections de liquidités massives de ces quinze dernières années. Nous sommes toujours dans ce monde où tout est globalement cher. Un début de purge a eu lieu en 2022 mais il reste un excès de liquidités qui disparaîtra que progressivement. Ceci dit, il n'est pas anormal que les actions se comportent bien dans un monde inflationniste, surtout dans un contexte d'inflation par la demande. Les entreprises peuvent augmenter leurs prix, tenir leurs marges. Les actions sont donc mieux placées que les obligations. Les grands allocataires, comme les fonds de pension, ou les fonds souverains, qui avaient une forte exposition aux obligations, se sont tournés vers les actions quand l'inflation a commencé à grimper. Et ce sont les marchés américains qui ont le plus profité de cette réallocation en 2023.

Quel est votre scénario pour 2024 ?

Le scénario macroéconomique qui nous semble le plus probable, c'est celui d'un ralentissement de la croissance, modéré et progressif. Le risque de récession est faible, voire très faible. Je ne vois pas de force qui pourrait provoquer aujourd'hui une accélération du ralentissement en cours. L'économie ralentit car les taux sont élevés, notamment les taux réels au-dessus de 2%, mais l'emploi reste globalement très solide et surtout nous constatons aucun déséquilibre dans le secteur privé, aucun excès de dette à la fois chez les ménages et dans les entreprises. C'est très important. Nous ne sommes pas du tout dans une situation similaire à 2008. Il n'y a pas de problème bancaire, il n'y a pas de bulle de marché, même si quelques valorisations de la tech peuvent paraître excessives. En un mot, le secteur privé est sain. S'il devait y avoir un excès, il est dans le secteur public. Ce sont finalement les États qui payent les additions de tous chocs passés, et qui garantissent ainsi la bonne tenue de l'économie.

Cette résistance de l'économie américaine n'est-elle pas quelque peu artificielle ?

Les salaires réels continuent de progresser et la productivité semble repartir à la hausse. On pourrait même être au milieu d'un choc de productivité, à la sauce des années 90, ce qui ne serait pas surprenant compte tenu des investissements massifs dans l'innovation réalisés pendant ce long cycle d'argent gratuit. Et, puis, nous pouvons avancer une troisième source potentielle de soutien à l'économie, ce sont les marchés eux-mêmes. Dans un scénario où la Réserve fédérale redevient accommodante, nous pouvons toujours imaginer que les actions continuent de monter, que les primes de crédit se compriment, et dans une économie très sensible aux marchés, cela alimenterait la croissance. Tous ces éléments mis bout à bout, salaires réels, productivité, marchés favorables, pourraient finalement constituer le seul vrai risque pour les marchés, celui d'une économie américaine qui serait toujours très résistante en 2024, trop résistante aux yeux des banquiers centraux, avec un risque de retour de l'inflation. Le risque d'emballement, voire d'euphorie sur les marchés ne doit pas être ignoré, surtout s'il se concentre sur quelques actifs. A ce stade, cela reste un risque.

Par conséquent, quelle est votre stratégie d'investissement pour 2024 alors que tout le monde semble s'accorder sur le même scénario macroéconomique?

La première réponse, c'est d'aller où les autres ne vont pas. C'est un peu notre philosophie, surtout lorsqu'une espèce d'euphorie se concentre sur quelques actifs, au risque de former une bulle. La première chose à faire est d'éviter cela. L'an dernier, nous étions positionnés sur les valeurs tech américaines, les « 7 magnifiques » mais elles deviennent très chères et nous en sortons progressivement. Mieux vaut le faire trop tôt que trop tard. Notre approche est donc encore plus « value », à la recherche d'actifs décotés. Il existe toujours des classes d'actifs qui présentent aujourd'hui des décotes importantes. C'est notamment le cas des pays émergents, les plus cycliques, en particulier l'Amérique latine ou l'Europe de l'Est. Ces actifs offrent de belles primes et une bonne indexation à l'idée de prolongement du cycle économique que nous avons évoquée. Ce sont notamment les mieux placés pour profiter de ce vaste mouvement de rapatriement de la production pour s'écarter de la Chine. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si nous voyons aujourd'hui les flux de capitaux se diriger vers ces deux régions cycliques, au détriment de l'Asie et de la Chine. Nous pouvons décliner ce raisonnement sur les actions où certains secteurs sont manifestement décotés. C'est le cas de l'énergie, de l'automobile mais aussi des banques européennes. Le crédit bancaire européen présente  également de belles primes.Ces secteurs offrent de  suffisamment bons rendements pour être intéressants, dans une position que l'on pourrait qualifier de position d'attente. En résumé, nous sortons de l'euphorie pour aller nous réfugier sur la « value », là où peu d'investisseurs se positionnent aujourd'hui.

Comment appréhendez-vous le risque géopolitique ?

Le risque géopolitique est l'une des principales raisons qui nous amène à privilégier l'Amérique latine. Le risque géopolitique y paraît beaucoup plus faible qu'ailleurs, notamment en raison de sa proximité avec les États-Unis. L'Asie subit la guerre stratégique que se livrent les Etats-Unis et la Chine et les investisseurs américains, mais aussi européens, sortent leurs capitaux de la région. Il y a également un mouvement de démondialisation des flux de capitaux qui se concentrent sur de nouvelles sphères d'influence, l'Amérique latine pour les Etats-Unis et l'Europe de l'Est pour les européens.

Existe-t-il encore des opportunités sur les marchés obligataires ?

Les marchés anticipent déjà assez largement les baisses de taux donc il n'y a plus vraiment de valeur à capturer sur les obligations au sens large. Dans le détail, nous avons une préférence assez nette pour les obligations courtes, de 3 à 5 ans, qui vont bénéficier de la baisse des taux directeurs, par rapport aux obligations longues, notamment aux Etats-Unis. Le besoin de financement des Etats est tel que les taux longs auront du mal à baisser. Le marché demandera une prime de risque plus élevée. A l'inverse de ces dernières années, nous pouvons donc nous attendre à une « repentification » des courbes de taux.

Les mouvements de marché sont souvent brutaux, avec une forte volatilité à la fois sur la dette souveraine ou des grandes capitalisations. Vous évoquez, dans une note, le « piège de la mécanisation des marchés ». De quoi s'agit-il exactement ?

C'est un phénomène que nous avons identifié il y a dix ans, en 2013 lors de la très forte réaction des marchés, au-delà de toute rationalité, à une annonce du président de la Fed de l'époque, Ben Bernanke. La mécanisation des marchés désigne en fait le poids croissant d'un certain nombre d'acteurs sur les marchés, poids qui devient même écrasant.Il s'agit bien sûr de la gestion passive, qui a beaucoup augmenté ces quinze dernières années, mais aussi de la montée en puissance des fonds spéculatifs CTA (Commodity trading advisors, NDLR), qui se contentent de répliquer des tendances. Même chez les gérants dits « actifs », une importante communauté gère probablement ses portefeuilles de façon quasi-mécanique. Et, en face de cela, il n'y a plus vraiment de force de rappel, comme pouvaient en offrir les banques avant la crise financière. Le rapport de force a considérablement changé, au dépends d'acteurs qui essayent d'aller au-delà du bruit quotidien. Et donc, cela donne des marchés qui sont soumis à une amplification des tendances, ce qui se traduit par plus de chocs violents.

C'est un risque supplémentaire ?

Il n'est pas question de porter un jugement de valeur mais de décrire une nouvelle réalité. Il ne faut pas oublier que les marchés sont également mieux régulés, plus encadrés depuis 2008, et que le risque systémique a considérablement diminué. C'est tout simplement une autre façon pour les marchés de fonctionner et une gestion doit absolument en tenir compte. L'une des réponses est la diversification des portefeuilles, avec des positions vraiment différentes. Mais si elle permet d'amortir les chocs, elle ne peut suffire lorsque les marchés partent dans l'excès. Ce que dit la mécanisation des marchés, c'est que le risque ne diminue pas lorsque tous les indicateurs sont au vert, même si les mesures traditionnelles l'affirment. Nous nous approchons d'une zone d'excès et toute poursuite supplémentaire de la hausse des actions induirait un risque supplémentaire auquel nous devons nous préparer.

Faut-il lever le pied sur les actifs risqués ?

L'important est de bien équilibrer les positions et de réduire le risque, d'y aller un peu moins fort que d'habitude, et selon moi, de mettre plutôt l'accent sur la value. Cela peut parfois être frustrant de rater la phase d'euphorie. Mais cela nous semble nécessaire pour absorber la volatilité qui s'annonce, et profiter des opportunités qui en découleront. Dans l'intervalle, notre allocation est suffisamment rémunératrice pour nous permettre d'attendre sereinement.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 01/03/2024 à 10:32
Signaler
Superbe article, les analyses économiques sont toujours captivantes et pertinentes.

à écrit le 29/02/2024 à 12:27
Signaler
Excellent article, les analyses macro d'H2O AM sont toujours passionnantes et perspicaces

à écrit le 26/02/2024 à 15:14
Signaler
Il y a un crack tous les quatre ans, le dernier était en mars 2020.

à écrit le 26/02/2024 à 14:23
Signaler
Zone d'excès? ben en fait la financiarisation arrive a la fin de sa prédation ! les marchés financiers vont a présent tenter de de faire du roi sur l'alimentaire, et ce que nous voyons par les prix et l'inflation, c'est ce que nous payons de l'argen...

à écrit le 26/02/2024 à 12:32
Signaler
⚠️☠️🔴 Le Revenu, 13/01/2023 : "L'AMF a sévèrement sanctionné la société de gestion H2O AM et ses dirigeants. Nos conseils pratiques face cette situation délicate pour récupérer votre argent bloqué. "[...] La société H2O AM, son directeur général Brun...

à écrit le 26/02/2024 à 9:19
Signaler
Je suis sidéré de voir que l'on donne encore la parole à H2O Asset Management. Condamnés par l'AMF, lourde procédure judiciaire en cours contre eux, ils ont menti sur la nature des fonds qu'ils proposaient, des milliards évaporés, des milliers d'épar...

le 26/02/2024 à 14:29
Signaler
Avec macron, ils aurons sans doute la légion d'honneur ! du coup il ne faut pas être étonné, car je pense vraiment que le laissez faire, idéologie de macron le permet. tant qu'ils jouent, ils gagnent !!! !c'est un peu le principe d'avoir au pouvoi...

à écrit le 26/02/2024 à 7:53
Signaler
Mais les marchés financiers sont excessifs par définition même. Comment croyez vous que la moitié de la biodiversité mondiale a été détruite ? Nietzsche avait prévenu seuls ceux qui avaient de l'esprit auraient du posséder.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.