BCE  : Christine Lagarde doit en finir avec une politique monétaire insensée

OPINION. La politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE) est contraire au bon sens car les taux d'intérêts négatifs sont la négation de la croissance économique. Leurs effets délétères vont faire de nombreux dégâts. Par François de Saint-Pierre, président  du Cercle Jean-Baptiste Say, Associé-gérant chez  Lazard.
Christine Lagarde.
Christine Lagarde. (Crédits : Reuters)

« Insensé (e) » : qui n'est pas conforme au bon sens, écrit le Littré. C'est assurément le qualificatif parfait pour la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) qui a installé son taux de référence en territoire négatif depuis le 10 septembre 2014... Cinq ans déjà !

Ces taux d'intérêts négatifs sont contraires au bon sens car ils sont la négation de la croissance : le principe du taux d'intérêt est que demain vaudra plus qu'aujourd'hui parce que celui qui emprunte fera mieux avec cet argent que celui qui le garderait sans rien en faire. De la Parabole des talents à l'esprit des Lumières, c'est bien la philosophie du progrès qui soutient l'existence des taux d'intérêt.

Nier la croissance, le risque et l'inflation

En prêtant son argent, le créancier prend le risque de ne pas être remboursé. Ce risque est rémunéré par le taux d'intérêt qui protègera aussi normalement le prêteur de l'inflation. Installer et maintenir des taux négatifs, c'est nier la croissance, le risque et l'inflation. C'est contrevenir à ce qui permet et accompagne la prospérité telle que nous la partageons depuis plus de deux siècles. Cette quête de prospérité repose sur l'ambition de progresser de son vivant et d'offrir l'opportunité aux générations suivantes de poursuivre le mouvement.

Certes, la croissance de la zone euro est faible, mais est-ce en raison de difficultés de financements ? La croissance annuelle des crédits s'établit à plus de 3,5% et la masse monétaire progresse beaucoup plus vite (autour de 5% sur un an) que le PIB (+1.2%) en 2019. Cette faible croissance économique doit plutôt être analysée comme le résultat de nos faibles gains de productivité. Eux-mêmes renvoient au manque d'investissements et à la contraction durable du secteur manufacturier, à une innovation insuffisante qui renvoie à son tour au recul éducatif. En outre, les réglementations toujours plus nombreuses et les besoins d'une sécurité toujours plus élevée dévorent les gains réalisés, anéantis par une coûteuse complexité.

La déflation n'est pas une menace

L'inflation est faible, elle aussi (autour de 1.2%), mais reste proche de sa moyenne depuis la création de l'euro dans les grands pays « core ». La déflation, qui se traduit par la baisse du niveau général des prix et des revenus, n'est pas une menace. L'objectif d'une inflation cible à 2% semble être devenu un dogme qui dissimule l'inflation d'actifs - immobilier, obligations, private equity, actions cotées, or, art contemporain etc.- qui, eux, connaissent des hausses de prix que les fondamentaux n'expliquent pas toujours. Car tout est achetable à crédit, puisqu'il est possible de financer gratuitement ce qui ne rapporte rien...

Les taux négatifs permettent en outre de maintenir ou de développer des projets et des entreprises sans rentabilité en leur accordant la possibilité de se (re)financer à un coût n'ayant rien à voir avec une exigence normale de profitabilité. Ni donc avec le risque qui l'accompagne !  Ce sont ces fameux business models « disruptifs » qui ne créent pas de valeur mais qui détruisent celle produite par les acteurs ayant des contraintes financières normales. En pesant artificiellement sur les prix et en mettant sous pression les marges de concurrents aux modèles de croissance plus lents mais plus solides.

L'épargne de précaution augmente

Les taux négatifs viennent ainsi bouleverser la hiérarchie efficiente des valeurs. Demain valant moins qu'aujourd'hui, l'épargne de précaution augmente en Allemagne comme en France -alors que le chômage baisse et a rejoint son plus bas niveau dans la zone euro depuis 2007- sans pour autant venir financer aucun projet de prospérité ! Le livret A atteint des niveaux record à plus de 300 milliards malgré une rémunération ne couvrant pas la moitié de l'inflation.

Enfin, cette politique rend gratuite la drogue aux déficits issus de dépenses publiques excessives qui pèsent sur la création de valeur collective. L'État impécunieux est rémunéré en lieu et place de l'épargnant précautionneux ! Par ailleurs, les jeunes et primo-accédants voient la propriété immobilière inaccessible et les loyers monter, ce qui ajoute au ressentiment social que provoque l'obésité de l'Etat providence.

Enfin, autre conséquence maintes fois commentée, et qui s'aggrave avec le temps, est la fragilisation périlleuse des assureurs et l'affaiblissement des banques européennes (650.000 suppressions d'emplois en 10 ans) face à leurs concurrentes américaines, notamment. Pas de quoi renforcer la confiance...

Mettre un terme à la manipulation monétaire

Il est donc temps de mettre un terme à cette manipulation monétaire qui s'ajoute aux manipulations budgétaires encore amples et nombreuses dans la zone euro. Car la politique de taux négatifs, qui outrepasse une politique de taux bas, porte en elle la déflation et la stagnation qu'elle prétend combattre. Madame Lagarde doit remettre le bon sens à la direction de la BCE pour que l'Europe retrouve confiance dans l'avenir et la croissance, sans craindre la mauvaise humeur des « marchés ». Plus sera retardé le retour du bon sens, plus les effets délétères des taux négatifs feront de dégâts.

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Commentaires 24
à écrit le 05/11/2019 à 16:36
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Ah le danger de la déflation Il faudrait être plus disruptif d'un coup puis redevenir "classique". A savoir rembourser en un WE toutes les dettes des Etats zone euro par de la monnaie BCE (12 000 Mds d'euros) puis faire vraiment respecter les critè...

le 06/11/2019 à 17:19
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Si la BCE effaçait les dettes des états de la zone € ce n'est pas les critères de Maastricht (beaucoup trop laxistes puisque si on laisse la barre à 3% du PIB on peut reconstituer une dette de 100% de PIB en un peu plus de 30 ans )qu'il faudrait fair...

à écrit le 05/11/2019 à 16:17
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"En prêtant son argent, le créancier prend le risque de ne pas être remboursé" Et bien effectivement, les taux négatifs permettent à ces créanciers de ne pas faire banqueroute. Si on n'avait laissé faire le divin marché, aucune banque n'auraient sur...

à écrit le 05/11/2019 à 13:47
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Bien sûr que les taux négatifs sont une aberration ! Mais si on veut arrêter ... les problèmes vont vite commencer : 1) est-ce que les fondement de l'économie sont assez solides changer l'orientation de la politique monétaire ? 2) quid de tout ce...

à écrit le 05/11/2019 à 11:35
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Lagarde qui a été condamné par la justice ne devrait pas avoir le droit de présider une quelconque institution.

le 06/11/2019 à 17:21
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Vu ce qu'il est advenu du procès Tapie (relaxe générale) Lagarde n'aurait jamais dû être condamnée. Et la CJR était bien gênée aux entournures puisque sa condamnation est parfaitement symbolique.

à écrit le 05/11/2019 à 9:00
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les taux négatifs sont malhonnêtes vis a vis de ceux qui peine à économiser pour leur retraite ils bloquent aussi la croissance les investisseurs sérieux en sont arrives a acheter de l'or .LA BCE doit faire sont boulot de banquier pas le larbin des...

à écrit le 05/11/2019 à 7:53
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.. et n'oublions pas les aspects négatifs, tels que la création de bulles sur les marchés immobiliers (avec pour conséquence la difficulté de se loger pour beaucoup), sur les marchés actions (dont évidemment profitent les plus nantis d'entre nous), e...

le 05/11/2019 à 12:09
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C'est exactement cela !!! du coup cela explique aussi les privatisations et du coup cela ressemble au tonneau des danaïdes.....

le 05/11/2019 à 13:35
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Meilleur politique monétaire depuis la nuit des temps. Pour les économistes qui comprennent rien, retourner au CP apprendre a compter. Accumuler de la richesse durement produite par d'autres et la stocker comme un vulgaire vin. Le manque de projet...

à écrit le 05/11/2019 à 1:56
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Souvenez-vous: "Cher nicolas. Je me tiens a ton entiere disposition, fais ce que tu voudras de moi".. Et bien christine fera ce qu'on lui dira de faire et sans moufter.... Elle aime etre a genoux et executer les ordres, moyennant finances, bien su...

à écrit le 04/11/2019 à 21:46
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Des taux d'intérêts négatifs ne sont que le moyen de repousser les problèmes.. Il ne faut pas oublier que si l'Etat et les autres emprunteurs y gagnent, les épargnants y perdent. Dans quelques années ceux-ci seront lessivés, et le prochain gouverneme...

à écrit le 04/11/2019 à 21:29
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L'exposé de cet article est un non sens bancaire d'aujourd'hui car il repose sur le fait que les états sont vertueux et que leurs obligations sont sans risque. Les états ont toujours monétisé leur dette, autrement dit créé de la monnaie pour financer...

à écrit le 04/11/2019 à 21:19
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Lagarde est condamnée à agir au trébuchet dans la remontée des taux. Car les remonter ne serait-ce que de 1 pont c'est faire peser une charge de la dette supplémentaire de 25 milliards d'€ annuels sur des pays surendettés comme la France. Et accessoi...

le 05/11/2019 à 8:37
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je crois que ca ne marche pas en France. La banque saisira le logement mais continuera a exiger la creance (moins ce qu elle a tiré du logement en le vendant). Autrement dit on a une Generation de surendettés. Bon on va quand meme pas les plaindre, i...

le 05/11/2019 à 12:04
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Dans la mesure ou Paris est dans une bulle, je pense aussi que la virtualité du coup de l'immobilier est finalement presque a la hauteur de l'évolution du prix de l'action X fois la valeur ..... Et je crois aussi que ce scénario se produira, car l...

le 06/11/2019 à 17:24
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@cd : "La banque saisira le logement mais continuera a exiger la creance (moins ce qu elle a tiré du logement en le vendant). " Certes mais comme on ne peut tirer de l'eau d'une pierre, la banque pourra toujours exiger... ou encore appeler en compl...

à écrit le 04/11/2019 à 20:02
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Un coup d'hélicoptère monétaire !! Y a quelqu'un qui va chercher Madame Lagarde ? Ceux de l'armée, disons qu'ils ont un problème de pièce. (ce soir dans l'humour)

à écrit le 04/11/2019 à 19:07
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Des taux négatifs sont-ils un moyen de "pomper" un excès de la masse monétaire? Comment le concilier avec la nécessité de rémunérer correctement l'épargne investie dans les outils de production?

le 04/11/2019 à 20:12
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Parce que la masse monétaire virtuelle, c'est ensuite la capacité de faire un tour d'illusionniste de l'épargne qui actuelle si l'on regarde les placements en assurance vie, permet de comprendre que l'argent est dans le flow du mainstream dit "grand ...

à écrit le 04/11/2019 à 18:25
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Toutes ces marionnettes au pouvoir ne nous amusent plus, il faut que les manipulateurs en prennent conscience et changent leur scenario!

à écrit le 04/11/2019 à 18:20
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Du temps où les taux étaient élevés, le risque était créé de lui-même en imposant des taux difficiles à rembourser par nombre d'emprunteurs. Heureusement, ce temps est révolu. En revanche, ne pas rémunérer le risque et ne pas protéger de l'inflation,...

le 04/11/2019 à 18:53
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Voilà un article à la fois argumenté , et simplement .. de ..bon sens ;

le 06/11/2019 à 12:22
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En attendant la crypto devise institutionnelle et contrôlée par les États (européenne américaine chinoise etc) qui comme les billets de banque portera un numéro qui la rendra traçable, les taux négatifs sont finalement aujourd'hui les meilleurs rempa...

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