Le dîner Macron-Bolloré chez Sarkozy
Leur dernière rencontre date de juin dernier. Emmanuel Macron et Vincent Bolloré étaient alors les invités d'un diner organisé par Nicolas Sarkozy. L'ancien chef de l'Etat, par ailleurs conseil d'Arnaud Lagardère, souhaitait que les deux hommes s'expliquent, et dissipent tout malentendu... « Ça ne l'a pas fait », nous confie aujourd'hui un proche du président. « Décidément entre les deux, le courant ne passe pas ». Emmanuel Macron voit en effet d'un très mauvais oeil les prétentions du grand patron sur Europe 1, alors que la présidentielle de 2022 se profile à l'horizon.
Depuis le début de la bataille pour le groupe Lagardère, l'Elysée s'inquiète en effet des appétits de Vincent Bolloré pour la radio mythique, mais également de ses vues sur Paris Match ou Le Journal du Dimanche. Trois médias stratégiques pour la maîtrise de l'agenda politico-médiatique. « Le jeu de Sarkozy avec Lagardère est bien de mettre la presse aux ordres pour la présidentielle 2022. À mon avis, la bataille est lancée », estimait en mai dernier un macronien de la première heure (lire ici : Lagardère-Bolloré-Arnault : les grandes manoeuvres avant 2022).
Macron craint que Bolloré impose un 'Fox News' à la française
Peu de temps avant les fêtes de fin d'année, une dépêche de l'agence Reuters jette de nouveau de l'huile sur le feu : dans celle-ci, on y apprend que l'entourage d'Emmanuel Macron redoute l'émergence d'un Fox News à la française issu d'un éventuel rapprochement entre les activités médias de Vivendi et celles de Lagardère.
Car Vincent Bolloré est bien décidé à ne pas abandonner la proie Europe 1. L'industriel breton a pourtant essuyé un premier revers en juin dernier. Alors qu'il avait offert de racheter la radio pour 250 millions d'euros, sa proposition a été rejetée par la direction de Lagardère, peu de temps après que Bernard Arnault, toujours considéré comme proche du couple Macron, ait investi dans le groupe. Autre objet d'inquiétude à l'Elysée : le positionnement particulièrement conservateur de la chaine « tout info » CNews du groupe Canal + que Vincent Bolloré contrôle depuis 2015. C'est bien le grand patron qui a souhaité une telle inflexion éditoriale, s'occupant personnellement, par exemple, de l'embauche d'Eric Zemmour. Bref, la chose est entendue dans le petit Paris des médias : rien ne va plus entre Bolloré et Macron.
Rupture totale de l'Elysée avec les Bolloré-boys
Au cours de la campagne présidentielle, Vincent Bolloré avait pourtant cherché à s'attirer l'attention du candidat « disruptif ». À l'époque, l'attention est d'ailleurs réciproque : « Bolloré est un grand industriel », flattait ainsi Macron à l'été 2015 quand il était à Bercy. C'est au début de l'année 2016 que les deux hommes se rencontrent pour la première fois sur les terres bretonnes du grand patron. C'est le socialiste Bernard Poignant, ancien maire de Quimper, ami de Vincent Bolloré et conseiller personnel de François Hollande, qui joue les intermédiaires. Le ministre de l'Economie se rend alors dans le Finistère pour visiter une usine Bolloré et assister à la traditionnelle réception annuelle organisée en la mémoire du grand père, fondateur du groupe, chaque 16 janvier au manoir familial d'Odet.
À l'époque, l'opération séduction avait été menée par l'ensemble de la famille. En juillet 2016, l'un des fils Bolloré, Yannick, patron d'Havas, avait ainsi assisté au premier meeting d'Emmanuel Macron à la Mutualité à Paris. Et en pleine campagne présidentielle, ce dernier avait également dîné à deux reprises avec le candidat, par l'entremise du publicitaire Jacques Séguéla, vice président d'Havas, et proche de Brigitte Macron. Les équipes Macron étaient d'ailleurs constituées par de nombreux transfuges d'Havas.
Aujourd'hui, à un an de la présidentielle, la rupture semble totale. Au point que le groupe Canal + a du mal à faire valoir ses arguments auprès de l'Etat sur tout un tas de dossiers : TVA sur les abonnements, politique de diffusion face aux plateformes de type Netflix, le groupe audiovisuel a l'impression que le gouvernement ne le soutient pas suffisamment. Tout cela serait-il de la simple faute de CNews et d'Eric Zemmour ? L'explication est un peu courte. D'autant que les tensions entre le groupe Bolloré et le pouvoir macroniste sont bien antérieures à l'arrivée de l'éditorialiste conservateur sur la chaîne « tout info »...
Les positions de Bolloré en Afrique en première ligne
L'origine de la brouille trouve en réalité son origine en Afrique. En 2018, Vincent Bolloré s'était retrouvé mis en examen par la justice française sur les conditions d'obtention en 2010 des concessions des ports de Lomé (Togo) et de Conakry (Guinée), qui font partie de la vingtaine de terminaux de conteneurs que gère le groupe Bolloré sur le continent africain. À l'époque, Vincent Bolloré ne s'était pas senti soutenu par l'Elysée, et s'était aussi inquiété devant ses salariés « des intérêts beaucoup plus puissants qui ont pu donner une résonnance beaucoup plus forte à ses accusations, entraîner la justice à nouveau contre nous ». Au delà du terrain judiciaire, les positions du groupe Bolloré étaient effectivement menacées en Afrique par différents concurrents internationaux. C'est cette bataille vitale pour le groupe Bolloré qui explique aujourd'hui la mésentente avec le président de la République.
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