Brexit : Boris Johnson défie l'UE et s'affranchit de l'impossible protocole en mer d'Irlande du Nord

OPINION. Le gouvernement britannique de Boris Johnson a révélé un projet de loi et une position juridique qui lui permettraient d’annuler certaines parties du fameux protocole de l’Irlande du Nord liant une partie du Royaume-Uni à l’Union européenne, qui fragiliserait l’accord de paix irlandais de 1998. Par Thierry Martin, Directeur de la société adevex
(Crédits : HANNAH MCKAY)

Le nouveau projet de Protocole d'Irlande du Nord a été publié lundi soir, avec une déclaration du ministère des Affaires étrangères disant du document : « La doctrine de la nécessité fournit un fondement clair en droit international pour justifier l'inexécution d'obligations internationales dans certaines conditions exceptionnelles et limitées », rapporte le Daily Telegraph (1).

Le gouvernement est d'avis que le protocole de l'Irlande du Nord, qui est sorti durant la période de négociation du Brexit, a très mal fonctionné et dans les faits n'est pas adapté. L'Union européenne argue que le protocole fonctionne bien, et affirme que tout changement unilatéral de la Grande-Bretagne serait une violation des promesses et du droit international, mais a également résisté à toute suggestion de renégociation bilatérale.

La révocation du protocole est légale, car son application par l'UE est disproportionnée

Dans une déclaration prononcée peu de temps après la publication du nouveau document, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a déclaré à propos de la décision d'avancer sans l'UE :

« Nous présentons ce projet de loi aujourd'hui pour protéger la paix et la stabilité en Irlande du Nord et pour maintenir l'Agreement de Belfast [de 1998] dit du Good Friday.

Le projet de loi règle les problèmes liés au protocole de l'Irlande du Nord, qui traite actuellement les personnes et les entreprises d'Irlande du Nord différemment de celles du reste du Royaume-Uni. Il nous permettra d'offrir des solutions raisonnables et pratiques, comme la mise en place d'un canal écologique pour permettre aux marchandises qui circulent [notamment entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord] et qui séjournent au Royaume-Uni d'être libérées des coûts et de la paperasserie inutiles.

La solution évite une frontière dure sur l'île d'Irlande [entre l'Irlande du Nord appartenant au Royaume-Uni et la République d'Irlande du Sud intégré à l'UE, à la zone euro, sans être dans l'espace Schengen, NDA], protège l'intégrité du Royaume-Uni et protège le marché unique de l'UE. »

Truss a poursuivi en disant que le Royaume-Uni voulait toujours atteindre ces objectifs de coopération avec l'Union européenne, mais si elle ne coopérait pas, le gouvernement agirait sans elle (2).

À la suite d'un entretien téléphonique avec Maros Sefcovic, le vice-président de la Commission chargée du Brexit, en mai dernier, Liz Truss, la ministre des affaires étrangères britannique, avait déjà assuré que le Royaume-Uni se verrait « contraint d'agir » si l'Union européenne (UE) continue à se montrer « inflexible » sur le protocole nord-irlandais.

Selon le Times, Suella Braverman, procureur général britannique, a même fait passer un avis juridique à Downing Street, selon lequel la révocation par Londres d'une partie du protocole serait légale, car son application par l'UE serait « disproportionnée »« Les propositions de Bruxelles [pour aménager le protocole] ne vont pas assez loin et même parfois constituent un retour en arrière. Nous n'avons pas encore pris de décision finale, mais la situation est très sérieuse », alertait alors un porte-parole de Downing Street.

Maros Sefcovic a prévenu que Bruxelles « ne renégociera pas le protocole » et qu'une décision unilatérale de Londres de s'en extraire ne serait « pas acceptable ». Il a aussi déploré que Londres n'ait jusqu'ici pas fait preuve de « la volonté politique » nécessaire pour faire fonctionner cet arrangement douanier, mettant en cause « l'honnêteté » du gouvernement Johnson. Tout doit être fait pour faire regretter aux Anglais d'avoir choisi la liberté.

Il s'agit d'un test pour l'autorité de Boris Johnson, qui paradoxalement est pour l'instant sorti renforcé après avoir senti passer le vent du boulet la semaine dernière, suite au vote de défiance d'une minorité de députés du parti conservateur dont il est le chef.

L'Ulster a été dessiné pour assurer qu'une majorité d'unionistes la dirigerait

Lors de sa création en 1921, la frontière de la province se superposant à peu près à l'Ulster a été dessinée pour assurer qu'une majorité d'unionistes (communauté britannique et majoritairement protestante) la dirigerait. Marianne écrit que 101 ans plus tard, le cours de l'histoire vient de s'inverser. Faux, le Sinn Féin fait peu ou prou le même score qu'il y a cinq ans. La démographie qui serait favorable aux « catholiques » à longue échéance, dit-on, n'est pas encore arrivée à un point de bascule, même si depuis 1998, elle a convaincu la plupart d'entre eux à renoncer à se comporter en minorité violente. Mais s'ils se reconnaissent désormais dans le Sinn Féin, une formation politique présente des deux côtés de l'île qui affiche un programme de gauche de gouvernement, tout en prônant l'annexion par le sud, une question se pose : en quoi les catholiques nord-irlandais seraient-ils par essence déloyaux vis-à-vis de l'Ulster britannique ? en quoi seraient-ils encore obligés de subir l'enrôlement obligatoire du Sinn Féin qui se pratiquait manu militari pendant la période des « troubles » ? Les fantômes du passé rôdent encore sur Belfast, comme le décrit très bien le romancier Stuart Neville.

Dans les faits le Sinn Féin est resté stable avec 29% et 27 sièges, c'est le DUP qui avec 21,33% et 25 sièges a perdu 6,7% et 3 sièges. Le parti unioniste loyal au Royaume-Uni est en conflit avec Londres en raison de la frontière commerciale entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne imposée par l'UE dans le cadre de l'accord du Brexit. La véritable poussée est celle des libéraux de l'Alliance qui progressent de 4,5% à 13,53%, et passe de 9 à 17 sièges, qui refusent le piège communautariste des références confessionnelles et renvoient sur ce plan dos-à-dos unioniste et nationaliste pour privilégier l'aspect économique ; et de la droite radicale unioniste de la Voix unioniste traditionnelle (TUV), qui avec 7,63% progresse de 5,1% sans parvenir à augmenter son nombre de sièges et restent au nombre de 1, en partie en raison du système électoral complexe de vote à choix multiples.

Partis unionistes 40,1% (pro-britannique) contre 39,6% pour les nationalistes

Le Sinn Féin qui avait fait low profile, avec une campagne centrée sur la santé et l'éducation, relance désormais l'idée d'un référendum en vue d'une annexion du nord de l'île par le sud. Mais en additionnant les trois partis unionistes 40,1% (pro-britannique) contre 39,6% pour les trois nationalistes, le compte n'y est pas. Sans oublier que selon un sondage du 5 avril dernier, seul un tiers des Nord-Irlandais voteraient « pour » si la question était posée tout de suite.

Organisation « sulfureuse » devenue un parti de gauche qui voit le Brexit comme un accélérateur de sa revendication centrale : l'annexion du pays par le sud de l'île ; paradoxalement le Sinn Féin, vitrine politique légale de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), impliquée dans les violences sanglantes et meurtrières de la guerre civile qui a fait plus de 3 500 morts est désormais un exemple pour les loyalistes. La violence paie, pense la jeunesse unioniste qui préparent la marche orangiste annuelle du 12 juillet — « The Glorious Twelve ». «No surrender ! » (Pas de reddition !)

L'éthos de certains politiciens du Sinn Féin plonge encore ses racines dans les méthodes mafieuses et meurtrières des gauchistes terroristes à la mode des années 70 que loin des catholiques qu'ils prétendent être. Le film The Foreigner (3), réalisé par Martin Campbell, sorti en 2017, le montre très bien - il est adapté du roman The Chinaman (4) paru en 1992. Ngoc Minh Quan - l'excellent Jackie Chan - est un Britannique d'origine asiatique qui vit à Londres où il s'occupe de sa fille unique, Fan, et d'un restaurant. Le père et la fille se rendent à une boutique chic où elle pourra acheter une jolie robe pour son bal de promo. Alors qu'il se trouve près de son automobile et du magasin, une bombe dévaste l'immeuble, tuant sa fille sur le coup. L'attentat est revendiqué par un groupe qui se nomme « IRA authentique ».

Quan, malgré son chagrin, cherche à savoir qui a tué sa fille. Il interroge d'abord le policier de Scotland Yard chargé de l'affaire, Richard Bromley, allant jusqu'à lui proposer une grosse somme d'argent pour obtenir le nom des terroristes, ce qui est très chinois, ce que Bromley refuse, ce qui est très british. Quan découvre Liam Hennessy - Pierce Brosnan -, vice-premier ministre de l'Irlande du Nord en poste à Belfast, anciennement engagé dans les opérations de l'IRA, qui milite dorénavant pour la sauvegarde des accords de paix de 1998. Le politicien nord-irlandais affirme ignorer qui a orchestré l'attentat, mais Quan en doute. Hennessy négocie avec une importante femme politique britannique, Katherine Davies, et lui promet des résultats concrets en échange de la grâce d'anciens membres de l'IRA.

Venu à Belfast, Quan - ancien membre des forces spéciales américaines - parvient à questionner Hennessy, qui refuse de l'aider de quelque façon que ce soit. Quan fait alors exploser une bombe artisanale dans les toilettes de l'immeuble où travaille Hennessy, puis rappelle celui-ci pour exiger à nouveau les noms des terroristes. Il dispose aussi un mécanisme explosif dans l'un des véhicules de Hennessy, volontairement désactivé à titre d'avertissement.

Hennessy, craignant Quan, se réfugie dans sa ferme près de Belfast. Et là Jacquie Chan nous offre un véritable festival de pyrotechnie et de Kung Fu. Film à voir pour mieux comprendre la problématique nord-irlandaise.

Au vu des résultats des élections locales d'Irlande du Nord, Michelle O'Neill, la vice-présidente du Sinn Féin, pourrait devenir cette fois-ci la nouvelle Première ministre, mais le DUP, le parti unioniste proche de la Grande-Bretagne, refuse de former un gouvernement en proposant un nécessaire vice-premier ministre, le pouvoir étant partagé selon les accords de 1998, tant qu'un point clé de l'accord du Brexit n'est pas supprimé. Ce que tente aujourd'hui de faire le gouvernement de Boris Johnson.

L'intelligence n'avait jamais arrêté une balle

Mary Lou McDonald, présidente du Sinn Féin à l'échelle de toute l'île, a annoncé qu'un référendum serait « possible dans les 5 prochaines années ». Pour elle, « la préparation commence maintenant », selon un processus qui devra être « démocratique, et entièrement pacifique ». Le parti vise également les élections de 2025 en République d'Irlande. En 2020, le Sinn Féin avait recueilli le plus de voix (24,5% des votes) et garde encore cette avance dans les sondages, grâce à son programme de gauche qui ratisse large et parle aux jeunes et aux familles. Les deux partis historiques le Fianna Fáil et le Fine Gael, plutôt conservateurs avaient cependant préféré faire une alliance avec les Verts pour gouverner, reléguant Mary Lou McDonald au rang de cheffe de l'opposition. « C'est tentant de voter pour eux, car le gouvernement actuel a tendance à oublier les jeunes » admet Jenna, la trentaine, qui se promène sur une des grandes artères de la capitale. « Mais le problème du Sinn Féin, ça reste son passé trouble et ses liens avec l'IRA », tempère-t-elle. Un passé qui s'efface peu à peu et laisse peut-être la place à de nouvelles perspectives.

Dans Les Fantômes de Belfast(5), roman noir paru en 2009, qui rappelle que bien que les accords de 1998 ont mis un terme à des années de guerre sanglante en Irlande du Nord ; depuis que Gerry Fegan - ex-tueur de l'IRA dépressif et alcoolique - est sorti de prison, il est hanté par les fantômes des douze personnes qu'il a assassinées. Stuart Neville écrit cette terrible phrase : « Les fantômes d'une époque révolue pourraient bien revenir hanter le processus politique, et même si les élus se montraient plus malins, l'intelligence n'avait jamais arrêté une balle. » Gerry Fegan, le personnage du roman, ne connaitra le repos qu'après avoir exécuté les commanditaires des meurtres, qui sont parfois devenus des politiciens « respectables ».

________

(1) We tried for 18 months - but must now change Northern Ireland Protocol, insists Liz Truss (telegraph.co.uk)
(2) Liz Truss sur Twitter : "The serious situation in Northern Ireland means we cannot afford to delay. This Bill sets out comprehensive solutions to fix problems with the Northern Ireland Protocol, while protecting the Belfast (Good Friday) Agreement. https://t.co/4pFlz7IQhm https://t.co/HEse2Hq4B1" / Twitter
(3) The Foreigner, film sino-britannico-américain, réalisé par Martin Campbell, sorti en 2017
(4) The Chinaman, Stephen Leather, paru en 1992
(5) Les Fantômes de Belfast, The Ghosts of Belfast, Stuart Neville, Rivages/Noir, éditions Payot, 2013

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 22/06/2022 à 20:50
Signaler
Depuis des siècles il est acquit que les anglais sont nos meilleurs ... adversaires. Et réciproquement pourraient-ils affirmer ! Outre qu'ils n'ont, eux, jamais perdu une guerre, aiment-ils rappeler, ce qui me choque, ce n'est pas leur goût, légitime...

à écrit le 22/06/2022 à 8:35
Signaler
Les dirigeants anglais ( au moins cepuis Thatcher) ont toujours été de sacrés faux jetons, Et encore plus depuis le Brexit , BJ en est l'archétype. Je te signe un t"fantastic oven ready deal" et quand l'UE l'applique alors il crie à l'abus de droit...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.