Comment Monaco est en train d'opérer sa transition énergétique

OPINION. La transition énergétique exige des Etats de prendre des mesures pour accélérer la décarbonation de la planète. Monaco, centre urbain à forte densité de population, est dans cette perpective un véritable laboratoire. Par Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques (*)
Vue générale de Monaco.
Vue générale de Monaco. (Crédits : Reuters)

"Il faut créer d'urgence un environnement citoyen propice à la transition énergétique avant qu'il ne soit trop tard." C'est par ces propos que la conférence « Monaco laboratoire de la transition énergétique » a été lancée dans la principauté le 6 décembre dernier, afin d'alerter au plus vite sur la nécessité d'accélérer le processus global de décarbonation sur la planète d'ici l'horizon 2030. Au-delà de cet évènement, c'est tout l'enjeu de la transition dans nos grands centres urbains, hyperpeuplés, qui était posé, et auquel Monaco tentait d'apporter sa pierre. Un des objectifs majeurs pour cette dernière est de réduire de 55% ses émissions de CO2 d'ici l'horizon 2030. Le but est aussi de réduire fortement la consommation d'énergie tout en augmentant la production d'énergie renouvelable, dont le photovoltaïque. Depuis 2012, la consommation d'énergie utile consommée a baissé, passant d'environ 1.100.000 mégawatts par heure contre désormais 950.000 en 2020[1]. Il est à noter qu'en 2019, l'émission des gaz à effets de serre provenait désormais à Monaco du traitement des déchets à 27% (contre 16% en 1990), et passait de 46% à 35% sur la même période pour le chauffage des bâtiments.

En effet, alors que vient d'avoir lieu en novembre dernier la Cop 26 à Glasgow en Ecosse, nous savons tous, encore plus encore aujourd'hui qu'hier, que les grands enjeux de transition énergétique sont probablement parmi les plus grands défis auxquels l'humanité sera confrontée pour les décennies à venir. La vie de nos enfants et petits-enfants en dépend. Grandes puissances comme petits Etats y sont déjà confrontés au quotidien, chacun à leur échelle, et ils doivent agir en âme et conscience avec détermination, sans plus attendre un consensus international suffisamment contraignant pour faire reculer le réchauffement climatique. Si chaque pays ne se saisit pas activement de la question avec la participation de ses citoyens, il sera bientôt trop tard.

"Créer d'urgence un environnement citoyen"

En introduction du colloque de présentation tenu au Yacht Club monégasque, Pâris Mouratoglou, polytechnicien et vétéran français des énergies renouvelables, appelait à un sursaut d'urgence avant le seuil de 2030. Et s'il y'en a un qui sait de quoi il parle, c'est bien lui : alors qu'en 1979, il décide de se lancer en plein choc pétrolier dans la recherche sur ces fameuses sources d'énergie verte dont personne ne parle, le secteur est alors encore totalement méconnu. Très rapidement, le groupe qu'il fonde, Sithe, devient un leader dans son domaine. Quelques années plus tard, il fournit suffisamment d'électricité solaire et éolienne pour intéresser EDF qui finit par lui racheter sa société. Mouratoglou, comme nombre d'acteurs du secteur présents ce jour-là à Monaco, sait que pour faire avancer la transition énergétique dans le monde, il faut absolument qu'il y ait une adhésion globale de chaque citoyen dans ce sens et, comme le rappelait Gil Mihaely, organisateur de l'évènement, « créer d'urgence un environnement citoyen propice à la transition énergétique avant qu'il ne soit trop tard».

Monaco est connue avant tout pour son cadre de vie idyllique, son rocher mythique sur lequel la ville s'est construite, son attrait mondial par les stars, sur la riviera, ses villas et son luxe, son circuit automobile historique, son casino, mais pas vraiment sa politique environnementale lancée il y a quelques années sous l'impulsion du Prince Albert II de Monaco. Loin des clichés habituels, Monaco sait qu'elle est sous les projecteurs en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C'est qu'il y a là un modèle de transition énergétique en douceur qui émerge depuis quelques années, afin de faire du micro-Etat un laboratoire citoyen de développement et de transition verte unique en Europe.  Avec sa situation géographique unique, sa population de 40.000 habitants sur seulement 2km2, une urbanisation concentrée qui a longtemps été galopante, le Rocher pâtit à la fois de sa situation mais également de sa densité de population, de ses pics de chaleurs, et de la montée du niveau des mers. Poumon économique de la région, il s'est pourtant déjà engagé dans une forme de décroissance au nom de sa survie. Or, nombre d'Etats dans le monde sont confrontés au fond aux même problématiques : superficie délimitée, surpopulation, pollution exponentielle, problèmes d'approvisionnement en énergie, de pollution des terres et de l'eau, difficultés d'accès aux énergies renouvelables.

De 100.000 véhicules en 2012 à 80.000 aujourd'hui

Ce pacte, voulu par les autorités en accord et concertation avec ses résidents, devrait permettre à Monaco de substituer progressivement d'autres sources d'énergie aux carburants fossiles. Il répond à une stratégie précise autour de trois domaines essentiels qui peuvent s'appliquer à nombre de pays pour entamer leur mue environnementale : se concentrer sur les bâtiments, les déchets et les transports. Et l'urgence était de réduire les entrées et sorties de véhicules sur le rocher : en 2012, il y avait plus de 100.000 véhicules qui entraient et sortaient chaque jour de Monaco. En 2020, ils ne sont plus que 80.000 et la décrue se poursuit[2].

Au-delà de la principauté, et au-delà des grands accords internationaux malheureusement peu contraignants, peu d'États au monde parviennent à construire une stratégie volontariste et crédible de transition. Lutter contre le changement climatique est une question non seulement rationnelle mais bien possible avec un peu de courage : il faut réduire les émissions des infrastructures existantes, renforcer et soutenir les filières des technologies innovantes, développer et améliorer les infrastructures favorisant les technologies innovantes, augmenter le soutien à la recherche, et renforcer la coopération technologique internationale. Comme le rappelait Mouratoglou, Il faut aussi imposer la taxe carbone car il n'y aura pas le choix que de faire désormais payer les producteurs les plus polluants afin de leur faire réduire leur émission de CO2.

Certes, un des atouts numéro un de Monaco pour mettre en place ce pacte est qu'il n'y a pas, contrairement à nombre d'autres Etats, d'aléas électoraux qui pourraient venir crisper la mise en musique de cette transition. Grâce à la mise en place d'un fonds vert énergétique, Monaco peut inscrire dans la durée son action, déjà fortement préoccupée par la nature qui l'entoure depuis des décennies : plus d'espaces verts, un trafic donc limité, des constructions respectueuses des nouvelles normes environnementales, l'amélioration de la propreté. Il faut parvenir à savoir faire des contraintes des atouts. Cela vaut pour New-York, Singapour, ou Dubaï.

Rôle proactif des administrés

Tous les pays ou villes sensibles au sujet devront compter sur le rôle proactif de leurs administrés pour que chaque transition énergétique soit un succès durable. Ici, les résidents monégasques ont pris conscience de leur nécessaire implication. Vitali Malkin, investisseur et philanthrope d'origine russe, vit à Monaco depuis bientôt une décennie. Il fait partie de ces résidents qui tiennent à contribuer activement à la stratégie verte du Rocher. Lui comme beaucoup d'autres ont chanté leur mode de vie radicalement : « Au-delà de la densité de population, la densité d'activités à Monaco est phénoménale. Et les questions éthiques se posent vite si l'on veut préserver notre cadre de vie idéal: tout est concentré donc nous sommes vite confrontés à une saturation de l'espace. Depuis cinq ans, il y a une vraie prise de conscience de l'urgence d'agir afin de rendre la vie ici durable. »

Dans bon nombre de pays, la transition est imposée de force et conduit au rejet des populations et aux chaos et à la souffrance des administrés. Ici, toutes les politiques en termes de transition sont directement négociées en douceur et démocratiquement avec la société civile car il est important de créer non seulement une adhésion mais également un consensus pour que la transition soit efficiente et surtout durable.

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[1] Tous les chiffres cités proviennent du rapport national d'inventaire 2021 du CCNUCC, Direction de l'environnement.

[2] Direction de l'Aménagement Urbain-Centre intégré de la Gestion de la Mobilité.

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(*) L'auteur est chercheur Moyen-Orient et relations euro-arabes/terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism).

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Commentaire 1
à écrit le 15/12/2021 à 12:21
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