Faut-il avoir peur de l’État ?

CHRONIQUE. L'État a toujours fait peur et ceux que l'on nomme désormais « libertariens » ont toujours vu avec appréhension les pouvoirs publics prendre de l'ampleur car l'accroissement des attributs d'un État était interprété par nombre de citoyens à travers le monde occidental comme un rétrécissement de leurs propres libertés. Par Michel Santi, économiste. (*)
(Crédits : DR)

Pour les adeptes de cette école de pensée - disons-le - assez complotiste, les marges de manœuvres privées sont inversement proportionnelles à la taille de l'État. Milton Friedman, Nobel d'économie en 1976 et qui fut quand même le père du monétarisme ayant un temps rayonné à travers le monde, n'aurait pas renié le Bitcoin car la pensée libertarienne fut au cœur de sa thèse économique.

Voilà en effet un économiste majeur qui s'appliqua, tout au long de sa carrière, à confectionner des théories dont le but essentiel fut de limiter les pouvoirs étatiques et de promouvoir les initiatives privées dont il était persuadé qu'elles étaient bridées par les pouvoirs publics. Les États-Unis d'Amérique ont certes un lourd passé jalonné d'une guerre civile, notamment provoquée par le refus de certains États de reconnaître un pouvoir fédéral.

Cette histoire et même cette scission sont toujours plus que jamais d'actualité de nos jours et restent largement représentées au sein des deux grands partis politiques. Friedman, pour sa part, transcendait dans ses pensées économiques l'aspect politique et allait encore plus loin en prêtant des intentions machiavéliques à un État qui - selon lui - profite des crises pour soutenir son économie afin d'accroître subrepticement et progressivement son emprise. Une récession et même un taux de chômage très élevé ne justifiant en rien, selon Friedman, que l'État intervienne, il préférait de loin soulager une économie déprimée grâce à la politique monétaire des banques centrales.

Cette approche - ayant il est vrai consacré dès les années 1980 la toute-puissance de la politique monétaire - est à mettre en perspective avec notre conjoncture actuelle où les banques centrales semblent à bout de souffle en dépit d'un activisme et d'un interventionnisme sans précédents depuis 2007.

Aucun effet stimulant

Milton Friedman ne pourrait plus, aujourd'hui, se cacher derrière elles dans le but de tenir l'État en laisse, car les taux d'intérêt ne peuvent passer sous la barre du zéro. Désormais parvenus au niveau plancher, nul ne prêtera à autrui à des taux négatifs, tout comme nulle expansion de liquidités n'est plus réalisable par leur seul fait d'une banque centrale qui rafle obligations et Bons du Trésor. John Maynard Keynes avait - avant Friedman - bien identifié ce hiatus et l'avait formulé comme d'habitude simplement en expliquant que l'injection d'argent dans une économie n'aurait aucun effet stimulant en l'absence d'investissement et de consommation. C'était, disait-il, « comme tenter de grossir par le simple fait d'acheter une ceinture large »...

Nous nous retrouvons donc en 2021 à la croisée des chemins, car des politiques publiques largement expansionnistes - et une intervention massive de l'État qui ferait frémir Friedman - sont vitales afin de contrer la dépression qui nous guette. Voilà des années que nos banquiers centraux - Mario Draghi en tête - exhortent les responsables au pouvoir en ce sens, car ils sont pertinemment conscients qu'une politique monétaire n'est pas capable, à elle seule, de juguler une crise, encore moins de relancer une croissance au long cours. On le constate, cette confrontation entre ces deux théories économiques - celle de Friedman et celle de Keynes - est plus que jamais d'actualité aujourd'hui. Du reste, Friedman lui-même - qui avait pleinement conscience de la nécessité impérieuse de l'État en certaines circonstances - avait signé le 31 décembre 1965 un article dans le Times où il reconnaissait que « nous sommes tous keynésiens maintenant ». Puissent nos responsables politiques contemporains l'écouter.


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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 8
à écrit le 30/03/2021 à 13:22
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Le problème est que les états ont menti aux populations mondiales pour les faire avancer ces 80 dernières années ( en réalité pour s’enrichir eux même avec les gens puissants de ce monde ) Aujourd’hui le bitcoin est un produit de leur mensonge , ...

à écrit le 30/03/2021 à 12:50
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je doute fort que friedman ait grand chose a faire dans ce qui se passe en 2020 le premier probleme etant le controle de la masse monetaire ( pour eviter au passage les cadeaux gratuits de politiciens verreux qui amenent a un sympathique petit moust...

à écrit le 30/03/2021 à 10:15
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La recherche d'un équilibre entre sécurité et liberté sont toujours a l'ordre du jour, l’État et la "politique" jouent leur rôle sous surveillance démocratique! Le "hic" c'est la caste des rentiers qui ne désire aucune perturbation dans le travail d...

le 31/03/2021 à 0:52
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Il y belle lurette que le rentier "image d"Epinal" français a été éradiqué par les mesures fiscales de "justice sociale" Si la définition du rentier c'est une personne qui a un revenu fixe et garanti, alors la plus grosse caste de rentiers ce sont t...

à écrit le 30/03/2021 à 10:04
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Nous pouvons effectivement avoir peur de l'absence de politiques longues et de régulations qui sont pourtant nécessaires. A un moment de notre histoire nous avons décidé que le marché régulerait et il le fait à son avantage à charge pour l’état de pa...

à écrit le 30/03/2021 à 9:19
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Merci pour cet article riche en connaissances économiques. Maintenant je ne comprends pas la différence entre libertarien et libéral mais peut-être que d'avoir tellement fait parler chacun en son nom, tout comme le communisme, ce dernier il est plus ...

le 30/03/2021 à 10:29
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@ citoyen blasé Tabarly s'est quand même pris un coup de bome, désormais il nage avec les poissons. Quant à cette manie de critiquer l'État démocratique, accessoirement obèse, et dénigrant implicitement les fonctionnaires, j'ai personnellement la...

le 30/03/2021 à 12:08
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@ valbel: Soit tu ne m'as pas bien lu soit pas compris, le mieux étant dans ce cas de poser des questions, c'est un signe d'intelligence tu sais d'oser exposer que l'on ne comprend pas, exprimant ainsi que l'on cherche à comprendre et non à prêch...

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