Inspiration de l’élu local pour le dirigeant d’entreprise

OPINION. Partis à la rencontre d'élus locaux dans le cadre d'une enquête, nous avons tenté de comprendre comment ils appréhendaient la ville de demain dans un double contexte d'urgence environnementale et de bombe sociale. Ce faisant, c'est principalement par la posture de ces décideurs du terrain que nous avons été marqués. Par Emmanuelle Duez, Fondatrice du cabinet de conseil The Boson Project.
(Crédits : DR)

Si dans l'entreprise, on peut se permettre d'aller chercher un peu plus loin, un peu plus cher, des ressources amaigries et des talents pénuriques pour différer une transition jugée à court terme trop onéreuse, en ville, l'élu local n'a pas le choix que de répondre aux effets très palpables du réchauffement climatique sur les espaces urbains. La possibilité de la vie en ville dépend au contraire de la célérité de son action et de la systémie de sa réponse.

Pleinement impactés par un climat d'incertitude et de complexité, il nous paraissait pertinent de partager aux dirigeants économiques, à l'aune de la COP 28, les retours d'expérience de ceux qui ont résolument un temps d'avance sur l'art de jongler avec les injonctions a priori paradoxales : le court et le long terme, l'urgence sociale et l'impératif climatique, l'intérêt général et les attentes particulières.

De la visibilité, pas forcément, des convictions, oui

Alors que les dirigeants nous parlent de "brouillard" pour qualifier l'environnement dans lequel ils doivent prendre des décisions, les élus locaux sont chasseurs de clairvoyance. Ils épluchent les publications, mobilisent des chercheurs, partent à la rencontre de pairs... Loin de déléguer cette responsabilité, ils n'ont pas peur de mettre les mains dans le cambouis. « On a les armes qu'on va chercher : toute la matière est là. Ça ne tient qu'à la façon dont l'élu a envie de s'engager. » (Damien Carême, ancien maire de Grande-Synthe).

Mais se renseigner n'est pas se rassurer et les élus ne se fourvoient pas : l'avenir, ils le savent bancale et impossible à prédire. Ils font ainsi preuve d'une grande prudence face aux prévisions. « Il est impératif de se poser la question de la fiabilité des projections démographiques et des infléchissements de courbe. » (Agnès Thouvenot, adjointe à Villeurbanne).

Prudence donc, humilité aussi, mais surtout convictions. Le futur se façonne plus qu'il ne se prévoit. De la visibilité, les élus locaux acceptent ainsi de ne pas en avoir toujours, mais une vision, c'est impérieux. Metin Yavuz, maire de Valenton, disait justement : « Est-ce que j'ai une vision de mon territoire en 2040 ? Bien sûr : ça s'appelle un programme, et j'ai été élu là-dessus. »

Main de fer, gant de velours pour l'acceptabilité

Mais le plus difficile, quand le futur est anxiogène, est probablement moins d'atterrir sur des convictions personnelles que de susciter l'adhésion, de surcroît lorsque le contexte oblige à certains renoncements. Entre alors en scène ce que l'on nomme dans le jargon managérial le leadership : la capacité à jouir d'une autorité.

Alors que les élus évoluent dans un climat de crise de la démocratie représentative, fragilisant leur autorité légitime, nous notons qu'ils sont loin de tomber dans une course aux satisfactions particulières pour gagner en crédit. D'abord et avant tout gardiens de l'intérêt général, ils font preuve de fermeté. Christian Estrosi, maire de Nice, parle ainsi de "courage de l'impopularité". La confiance ne réside pas dans la capacité à adresser la diversité des attentes, mais bien dans celle à faire valoir une vision de la ville pour tous.

Un leadership fort et assumé, donc, mais en aucun cas une vision "passée au forceps". Les maires sont avancés dans l'art de la co-construction (l'histoire de la démocratie participative est étroitement liée à celle des grands projets urbains et l'entreprise aurait à gagner de s'en inspirer) et surtout, les élus font de la pédagogie un souci du quotidien. Pas d'acceptabilité sans compréhension, et l'environnement complexe exige d'eux d'investir de l'énergie dans la transmission.

Répondre aux urgences d'aujourd'hui sans obérer l'avenir

Vient la troisième et dernière leçon. Alors que les dirigeants économiques nous témoignent régulièrement une difficulté immense à planifier le long terme face aux urgences du présent, nous avons trouvé chez les élus locaux un grand volontarisme pour concilier ce qui est a priori contradictoire. "Ce serait de la langue de bois de dire que logement et environnement n'entrent pas en tension. Mais c'est stimulant intellectuellement et politiquement. De deux enjeux qui entraient en contradiction, on a en fait une manière de concevoir la ville qui annihile les deux," témoigne Renaud Payre, vice-président de la Métropole de Lyon.

Car ils en sont convaincus : si social et environnemental semblent s'opposer à court terme, ils convergent sur le temps long. C'est là qu'entre en compte leur ingéniosité. Tels des entrepreneurs de leur ville, ils vont dénicher les bonnes idées ailleurs, ils mobilisent leurs pairs pour unir les efforts, développent de nouveaux outils de partenariat pour aligner les privés avec leur vision et déclenchent sans attendre les projets structurants.

In fine, ces architectes du réel ont de l'impact : déployant une vision holistique, ils trouvent un chemin accepté, entre les paradoxes et les pièges de l'époque.

Dire qu'en tant qu'acteurs du monde économique nous avons été inspirés, c'est un euphémisme. Dire qu'en tant que citoyens, nous avons été fiers : et bien c'est fait. Merci à nos élus.

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Commentaire 1
à écrit le 14/12/2023 à 16:50
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"Mais c'est stimulant intellectuellement et politiquement." Si déjà ils commencent à y voir un challenge et que ça leur donne envie de se lancer ben on va pas s'en plaindre. Mais les élus sont aussi coincés avec un conservatisme économique et financi...

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