
Depuis le Brexit, il semblerait qu'un courant eurosceptique s'est développé à travers le Vieux continent. « Semblerait », car, selon l'eurobaromètre réalisé trois mois avant les élections européennes qui se tiendront ce dimanche, 68% des personnes interrogées dans les 27 pays membres jugent que « leur pays a bénéficié de son appartenance à l'Union européenne ». Il faut remonter à la période comprise entre la chute du Mur de Berlin en 1989 et le référendum sur le traité de Maastricht en 1992 pour trouver un niveau aussi élevé. Et, si 27% des Européens considèrent l'UE comme « une chose ni bonne ni mauvaise », avec un taux en augmentation dans 19 pays, on reste loin de la fin de l'UE qu'annoncent certains.
Paradoxalement, si le projet de construction européenne a toujours fait l'objet de vives critiques, il ne soulève pas un grand intérêt, comme l'atteste le taux d'abstention élevé lors des consultations électorales, du moins en France. Ce contraste illustre un certain rapport irrationnel à la politique menée à Bruxelles, bouc émissaire commode. Nombre de responsables politiques en France ont facilement cédé ces dernières décennies à la tentation de mettre sur le dos de l'Union européenne beaucoup de problèmes relevant d'abord de la France elle-même, en particulier la nécessité de respecter les critères de Maastricht.
Pourtant, ces mêmes responsables ont discuté et entériné la politique menée par Bruxelles lors de conseils européens qui réunissent les chefs d'État. C'est cette schizophrénie qui est apparue au grand jour avec les difficultés rencontrées depuis la crise de 2008, posant la question existentielle de la construction européenne.
Chaque pays raisonne en terme de coûts-bénéfices
Ceux qui sont favorables à une sortie (ou à une remise en cause) constatent que, sur le plan économique, la convergence tant vantée de modèles très différents s'est transformée en divisions, comme l'a illustré la crise de la dette de la Grèce. Ils ajoutent que la création de l'euro - zone monétaire imparfaite pour de nombreux économistes - devient une sorte de carcan empêchant les nations de pouvoir dévaluer la monnaie le temps de relancer la machine. Ajoutons qu'avec la crise, chaque pays a mesuré son appartenance à l'UE en termes de coûts-bénéfices, redonnant la priorité au cadre national - mais avait-il été relégué au second plan ? -, ce qui a donné un argument à certains courants populistes.
Ceux qui sont favorables à la poursuite du projet européen soulignent que, malgré les difficultés, il s'agit d'une création permanente. Ainsi, Emmanuel Macron, qui s'est fait élire sur une ligne clairement européenne, a formulé tant dans son discours de la Sorbonne que dans sa lettre aux Européens un certain nombre de mesures pour réformer l'UE en tenant compte des défauts apparus, notamment lors de la crise.
Le philosophe néerlandais Luuk van Middelaar, qui fut la plume de Herman van Rompuy, premier président du Conseil européen (2009-2014), lui rappelle dans "Quand l'Europe improvise" (éd. Gallimard, 2018) que les crises financières de 2008, de la dette de la zone euro, du Brexit ou encore des migrants ont profondément modifié l'essence même du projet européen, qui passe d'une machine bureaucratique bien huilée de fabrication de règles et de normes à la nécessité pour les dirigeants des 27 pays d'élaborer des réponses inédites dans l'urgence, et donc de faire de la politique.
Comme le dit Middelaar : « L'enjeu n'est plus le prix du blé ou les quotas de poisson, mais la solidarité, la guerre, la paix, l'identité et la souveraineté. » Car ne nous y trompons pas, face à des puissances économiques et militaires comme les États-Unis et la Chine, ou notre voisine la Russie, seule une Europe présentant un front uni pourra se faire entendre, et cela pour les intérêts bien compris de chacun des État-nations européens, dépositaires d'une longue tradition démocratique, libérale et culturelle.
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