La régulation des crypto-actifs, un enjeu devenu européen

OPINION. Les autorités européennes de surveillance financière ont publié leur avis sur la régulation des crypto-actifs. Jennifer d’Hoir et Stéphane Puel, du cabinet d'avocats Gide Loyrette Nouel, nous expliquent ce qu’il faut retenir.
Jennifer D'hoir et Stéphane Puel.
Jennifer D'hoir et Stéphane Puel. (Crédits : DR)

La publication, en mars 2018, du plan d'action pour les technologies financières (Fintech) par la Commission européenne avait fait office de coup d'envoi des travaux sur les crypto-actifs sur la scène européenne. Ce plan d'action contenait un appel adressé aux autorités européennes de surveillance financière (AES) afin qu'elles établissent un état des lieux des pratiques nationales observées vis-à-vis de l'innovation financière et qu'elles adressent à la Commission européenne des avis techniques sur les adaptations législatives nécessaires.

C'est donc chose faite, en janvier 2019, avec la publication de trois rapports successifs.

Le premier, en date du 7 janvier 2019, est une publication conjointe de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA, European Securities and Markets Authority), l'Autorité bancaire européenne (EBA, European Banking Authority) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA, European Insurance and Occupational Pensions Authority) : « FinTech : Regulatory sandboxes and innovation hubs ».

Le rapport dresse un tableau des approches nationales retenues par les différentes autorités compétentes vis-à-vis de l'innovation financière. Deux grandes tendances se dégagent : les bacs à sable réglementaires (ou « sandboxes ») et les « innovation hubs ». D'un côté, une approche d'inspiration anglo-saxonne qui consiste à « tester » et observer les projets innovants pendant une période limitée et selon des critères prédéfinis en accordant possiblement, et sur une base exceptionnelle, des exemptions réglementaires. Et de l'autre, une approche consistant à établir un point de contact chez le régulateur pour les porteurs de projets afin de faciliter le développement de l'innovation en évitant un régime réglementaire à deux vitesses. Le rapport ne privilégie pas une approche plutôt qu'une autre. En revanche, il souligne le besoin de coordination et de coopération entre les différents dispositifs établis au sein des États membres.

Des conclusions équilibrées

Deux autres rapports ont été publiés le 9 janvier 2019 : « Advice, Initial Coin Offerings and Crypto-Assets » par l'ESMA et « Report with advice for the European Commission » par l'EBA. Ces deux documents revêtent une importance particulière dans la mesure où il s'agit des premières analyses détaillées et prises de positions publiques de la part des autorités européennes sur le sujet de la régulation des crypto-actifs. Ils permettent notamment de définir plusieurs concepts structurants et notions relatives à l'environnement crypto, essentiels pour la suite des travaux (DLT sans condition d'accès ou avec condition d'accès ; conservation ; etc.).

Les conclusions de ces deux avis sont équilibrées. Pour l'ESMA, il s'agit de travailler à de possibles adaptations du droit européen applicable [Directive MiF2 et règlement MiFIR, directive et règlement prospectus, directive transparence, règlement sur les abus de marché et règlement vente à découvert, règlement sur les dépositaires centraux de titres et règlement concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement de titres] pour les crypto-actifs assimilables à des valeurs mobilières (au sens la Section C, annexe 1 de la directive MiF2), tout en réfléchissant à la pertinence de définir un régime ad hoc pour les autres types de crypto-actifs (à l'instar de l'approche retenue en France dans le projet de loi PACTE). Pour l'EBA, l'analyse porte sur l'applicabilité de certaines dispositions des directives relatives à la monnaie électronique et aux prestataires de services de paiements, aux crypto-actifs qui seraient qualifiables de « monnaie électronique » au sens du droit européen.

Priorité à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LAB-FT)

Dans la lignée des récentes adaptations apportées à la 5e directive européenne anti-blanchiment [qui élargit les obligations en matière de LAB-FT aux prestataires d'échanges entre monnaies virtuelles et monnaies légales et les prestataires de services de conservation] s'agissant des crypto-actifs, l'ESMA et l'EBA insistent sur la nécessité d'élargir de nouveau les exigences applicables en matière de LAB-FT aux prestataires d'échanges entre crypto-actifs et d'autres crypto-actifs (crypto contre crypto) et aux prestataires de services financiers dans le cadre d'ICO (Initial Coin Offering). Cette recommandation découle des changements récents en date d'octobre 2018 apportés aux recommandations et au glossaire du GAFI (Groupe d'action financière).

Des aménagements réglementaires nécessaires

Pour les crypto-actifs qui seraient qualifiés de valeurs mobilières au sens du droit européen, l'ESMA identifie une série de points d'attention et de possibles aménagements dans la réglementation européenne applicable. Au titre de ces points d'attention figurent notamment :

  • le besoin de clarifier en quoi consistent les services/activités crypto qui pourraient être qualifiés de conservation/garde (« custody/safekeeping ») au sens du droit européen ;
  • les questions de gouvernance et de responsabilité dans le cas de dispositifs d'enregistrement électroniques partagés sans condition d'accès (« permissionless DLTs ») ;
  • la nécessité d'assurer la sécurité et la fiabilité des smart contrats ; et
  • le caractère non adapté aux crypto-actifs des exigences découlant de MiF2 en matière de transparence pré et post négociation et de reporting.

Vers un régime ad hoc pour les crypto-actifs non assimilables à des valeurs mobilières

Pour les crypto-actifs qui ne seraient pas qualifiables de valeurs mobilières au sens de MiF2, l'ESMA envisage la possibilité de mettre en place un régime ad hoc, à la manière de ce qu'ont déjà entrepris certains États membres et notamment la France. Une initiative de ce type viserait en particulier à limiter les possibilités d'arbitrage réglementaire au sein de l'Union et pourrait être un outil d'attractivité et de compétitivité du Marché unique vis-à-vis du reste du monde.

Il s'agit indiscutablement d'un moment charnière pour les acteurs de l'écosystème qui doivent continuer à faire œuvre de pédagogie et à être force de propositions vis-à-vis des institutions européennes et des décideurs publics. Il est également important de fédérer les acteurs dans le cadre d'association de place, aux niveaux national et européen afin de garantir la clarté et la lisibilité des messages.

Dans la lignée des réflexions menées par l'ESMA et de l'EBA, il apparaît en effet indispensable de structurer des propositions de place afin d'apporter rapidement les ajustements nécessaires et adaptés aux règles européennes. Ces adaptations réglementaires devront servir le développement d'acteurs de taille européenne en leur permettant d'accroître leur modèle d'affaires tout en assurant une sécurité juridique et technologique, indispensable à la pérennisation de leurs activités.

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Commentaire 1
à écrit le 11/02/2019 à 11:51
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J'en pense qu'il y a innover et innover. Or qu'on le veuille ou non, les cryptos, c'est de l'argent, se contenter d'échanger des cryptos déja existante, ce n'est pas innover. De nombreux acteurs financiers veulent certainement se servir du prétexte d...

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