La tête du dictateur, ça compte (aussi) pour les investisseurs

OPINION. Statistiquement, il apparaît que davantage d'investissement est réalisé dans les pays non démocratiques dont le leader a un visage qui semble plus compétent. Par Laurent Weill, Université de Strasbourg ; Abel François, Université de Lille et Sophie Panel, Sciences Po Grenoble
Le dirigeant autoritaire dont on se dit spontanément qu'il est le plus compétent ?...
Le dirigeant autoritaire dont on se dit spontanément qu'il est le plus compétent ?... (Crédits : SPUTNIK)

Qu'est-ce qui motive une entreprise à investir dans un pays étranger ? De nombreuses études économiques ont identifié un grand nombre de déterminants à ce que l'on appelle les investissements directs à l'étranger ou IDE. Ces mouvements internationaux de capitaux pour créer ou contrôler une entreprise à l'étranger sont souvent liés aux caractéristiques du pays récipiendaire : le niveau de la demande dans le secteur d'activité, le taux d'inflation, le cadre juridique, ou bien encore le régime qui organise l'État.

Un élément fondamental pour investir dans un pays est en effet le risque politique qui correspond à toute possible interférence des autorités comme des oppositions affectant les rendements de l'investissement. Investir dans un pays étranger n'est pas une décision rapidement réversible (en partir présente un coût), et l'investisseur doit dès lors prendre en compte dans sa décision la probabilité de faire les frais d'une décision politique remettant en cause ses projets.

Expropriation pure et simple, vente forcée, mise en place d'impôts confiscatoires, ce risque peut prendre de nombreuses formes. Il comprend également les changements soudains dans la politique macroéconomique comme la dévaluation, les restrictions sur les mouvements de capitaux, ou encore les politiques économiques erratiques qui affectent négativement les rendements de l'investissement. Tout cela explique pourquoi les démocraties attirent beaucoup plus d'IDE que les dictatures : elles disposent de mécanismes institutionnels qui limitent les interférences politiques des dirigeants dans l'économie et qui garantissent une certaine stabilité des politiques.

Mais au sein des dictatures, que peuvent faire les investisseurs pour évaluer ce risque politique ? Ils utilisent en fait l'ensemble des rares informations publiques qui sont à leur disposition pour mener à bien cette évaluation. Dans une étude récente, nous étudions si les caractéristiques faciales des dirigeants non-démocratiques en font partie.

Dictateurs compétents ?

L'hypothèse repose sur un double constat. D'une part, dans les dictatures, les caractéristiques personnelles des dirigeants prennent une importance particulière dans les décisions prises du fait de leur plus grand pouvoir discrétionnaire. Ces caractéristiques sont de surcroît une information publique disponible à tous et à moindre coût.

D'autre part, de nombreuses études ont prouvé que les stéréotypes sur les visages jouaient un rôle dans les décisions économiques et politiques, que ces impressions sont tenaces bien qu'elles soient en général erronées. Dans des expériences menées en laboratoire, on s'aperçoit que les individus transfèrent plus facilement de l'argent aux individus dont les visages « inspirent confiance ». Il a également été montré qu'un visage associé à de « la compétence » a de plus grandes chances d'obtenir un prêt sur les plates-formes en ligne. En politique, cette caractéristique présumée augmente les chances d'être élu.

Confiance et compétence, les entreprises investissent-elles plus dans les pays aux dictateurs associés à ces caractéristiques ? L'hypothèse est que les investisseurs s'attendraient à ce qu'un leader qui inspire confiance revienne moins facilement sur ses engagements passés (comme l'acceptation sur son sol d'entreprises étrangères) et qu'ils associeraient compétence avec meilleures politiques économiques.

Pas dignes de confiance

Notre étude porte sur 276 dictateurs en place à travers le monde de 1975 à 2010. Nous avons collecté et neutralisé leur photo et fait un sondage en ligne sur un échantillon international de répondants afin d'évaluer comment leurs visages étaient perçus en termes de compétence et de confiance. Il ressort que le dictateur dont le visage inspire le plus la compétence est Erich Honecker, l'ancien leader est-allemand, et celui qui inspire le plus la confiance est Ernesto Geisel, dictateur brésilien des années 1970.

Statistiquement, il apparaît que la compétence qu'inspire un dirigeant joue en moyenne un rôle positif sur les IDE que reçoit son pays durant son règne. Ce résultat semble en accord avec l'idée que les investisseurs sont sensibles aux signaux publiquement disponibles sur les leaders comme leur niveau d'éducation. Dans une étude précédente, nous avions ainsi montré qu'un dictateur plus éduqué attire plus d'IDE dans son pays.

En revanche, nous montrons que la confiance qu'inspire un dirigeant ne contribue pas à attirer les IDE. Ce second résultat est plus difficile à interpréter. Une explication possible est que la confiance inspirée par le visage est à double tranchant. Elle peut signaler la difficulté des dirigeants à mettre en place des politiques impopulaires auprès de leurs soutiens politiques. Le dirigeant peut en effet autant être perçu comme moins capable de revenir sur ses engagements auprès des investisseurs étrangers que sur ceux pris auprès des soutiens locaux. Ce dernier point peut ainsi être perçu négativement par les investisseurs étrangers qui sont en concurrence avec les entreprises du pays.

Que conclure donc de notre étude ? D'une part, que les investisseurs internationaux sont des êtres humains comme les autres : le visage des dirigeants influence leur choix de localisation des investissements, même si l'on sait que cette impression n'est pas corrélée avec les véritables traits des leaders. D'autre part, que si un pays souhaite attirer des IDE, quitte à avoir un dictateur, mieux vaut en avoir un dont le visage inspire la compétence.

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Par Laurent Weill, Professeur d'Economie et de Finance, Université de Strasbourg ; Abel François, Professeur de sciences économiques, Université de Lille et Sophie Panel, Docteur en science politique, Sciences Po Grenoble.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaire 1
à écrit le 10/01/2023 à 8:15
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Tissu d'aneries. Depuis le vol des actifs Russes par l'europe, France en tete, la confiance est rompue. Voir la conjonction des BRICS et ses nouveaux partenaires qui affluent. La cote du Rouble est a son max, L'occident va payer cher son outrecuidanc...

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