Loi Pacte : l'entreprise doit se transformer en changeant de modèle économique

L'ancien modèle d'entreprise, prédateur immédiat, va disparaître au fur et à mesure de la prise de conscience des consommateurs au profit d'un nouveau modèle, celui de l'entreprise contributive. De nombreux exemples l'attestent déjà. Par Fabrice Bonnifet, président du C3D et directeur DD et QSE du Groupe Bouygues
Michelin investit dans les technologies et les acteurs du rechapage des pneus ; dans les plantations d'hévéas éco-durables et dans la recherche pour des pneus increvables, tout en annonçant ses plans ambitieux pour atteindre un recyclage de 100% de ses pneus et qu'ils soient fabriqués à 80% avec des matériaux durables.
Michelin investit dans les technologies et les acteurs du rechapage des pneus ; dans les plantations d'hévéas éco-durables et dans la recherche pour des pneus increvables, tout en annonçant ses plans ambitieux pour atteindre un recyclage de 100% de ses pneus et qu'ils soient fabriqués à 80% avec des matériaux durables. (Crédits : Reuters)

Le projet de loi Pacte a été adopté sans surprise mardi 9 octobre, ouvrant la porte sur la transformation responsable des entreprises. En clair, l'article 1833 du Code civil est modifié pour "consacrer la notion jurisprudentielle d'intérêt social" et "affirmer la nécessité pour les entreprises de prendre en considération des enjeux sociaux et environnementaux de leur activité" ; et l'article 1835 va permettre aux entreprises qui le souhaitent de se doter d'une raison d'être dans leurs statuts, dont celui d'entreprise à mission. Cela constitue une première étape encourageante mais pas décisive.

Sur quelques 140 articles, cette grande loi ouvre un nouveau chapitre pour les entreprises, ne serait-ce qu'en leur reconnaissant une raison d'être au-delà de la rémunération de l'actionnariat. Mais espérons que l'on puisse surtout y lire le signe d'une transformation plus globale ! Aujourd'hui, les enjeux environnementaux et sociétaux auxquels nous faisons face nécessitent des approches plus ambitieuses de la part des entreprises. Reconnaissons qu'elles ne savent pas encore répondre pleinement aux besoins de leurs clients tout en restaurant ou préservant en parallèle l'environnement qui les nourrit. Seul un changement de modèle en profondeur pourra permettre d'adresser ces deux aspects clés de la vie d'une entreprise. Certains acteurs s'orientent vers ce chemin, ou ont initié des programmes de transformation structurelle.

Les managers responsables savent que le vent a tourné

Sans attendre de savoir si l'entreprise doit dédier une quote-part de ses bénéfices à des projets environnementaux ou sociétaux, les managers responsables savent que le vent a tourné et que la transformation de leur modèle d'affaires constitue la seule voie pour répondre au mieux aux nouvelles attentes environnementales et sociales de leurs clients, et plus généralement de toutes leurs parties prenantes et d'assurer leur propre pérennité économique. Certaines ont fait cette transformation par conviction, d'autres par opportunisme, d'autres encore sous la contrainte, mais force est de constater que la transformation est là, incontournable. Ces entreprises ouvrent la voie.

Le groupe SEB s'est engagé fortement avec ses marques sur la réparabilité des produits. Cet engagement est fort, il engage toute la société, et il ré-interroge en profondeur les notions d'usage et de design. Et faisant le pari que le consommateur, achèterait des produits plus durables, ferait réparer son objet facilement pour prolonger sa durée de vie, et serait plus fidèle à une marque qui privilégie la qualité, cet engagement est celui du bon sens - on achètera peut-être moins mais on achètera SEB.

Une autre démarche remet en question la notion de propriété par rapport à l'usage :  Michelin, depuis longtemps, s'interroge sur le lien entre son matériau et la durabilité de ses pneus. Ces dernières années, la société a à la fois investi dans les technologies et les acteurs du rechapage des pneus ; dans les plantations d'hévéas éco-durables et dans la recherche pour des pneus increvables, tout en annonçant ses plans ambitieux pour atteindre un recyclage de 100% de ses pneus et qu'ils soient fabriqués à 80% avec des matériaux durables. Cette approche holistique visant l'amont et l'aval de sa filière ainsi que les usages a du sens pour cet acteur qui se doit de préserver à la fois son marché et sa ressource principale.

On citera aussi Guerlain, dans l'industrie du luxe, où la matière première - ici, les plantes et les fleurs - peut avoir une valeur inestimable. De leur qualité dépend directement celle des produits qui en seront issus. L'effondrement de la biodiversité menace directement ces acteurs de la cosmétique, et sa protection prend tout son sens pour eux. C'est dans cet esprit que certains comme Guerlain travaille à sécuriser ses filières d'approvisionnement. L'un des investissements concrets pour ce dernier se concrétise dans une startup incubée par l'entreprise, pour redonner vie à une forêt de théiers dans le poumon vert de la Chine.

Les plus petites structures ne sont pas en reste

La transformation n'est pas l'apanage des grands groupes, les plus petites structures ne sont pas en reste. Certaines sont nées directement avec un modèle mettant l'impact social et environnemental au cœur de leurs activités, sans pour autant faire une croix sur la croissance économique. On pense à Squiz Gourdes, qui fabrique des gourdes à compote réutilisables, réunissant dans une seule équation le bon sens environnemental et économique avec son concept. Remplissables et réutilisables environ 50 fois, ces gourdes permettent de réduire ses déchets et même la nature du déchet : en fin de vie, la gourde peut être plus facilement recyclée puisqu'elle n'est pas doublée d'une feuille aluminium, à la différence des jetables qui doivent garantir une longue conservation de leur contenu. La gourde évite aussi des dépenses inutiles pour les familles - ce qui n'est l'objectif d'aucune marque de compotes jusqu'à présent. Cette société est née avec une volonté de création de valeur locale, avec un partenaire prestataire ESAT en France et la fabrication et l'assemblage en Europe. Cet exemple, B Corp, illustre la volonté de certains acteurs émergents de se distinguer directement en mettant l'impact environnemental et social au même niveau que l'impact économique.

On citera aussi la PME lyonnaise Cepovett, fabricante de vêtements professionnels éco-socio responsables en tissus alternatifs et recyclés. S'appuyant sur sa maitrise de la filière, Cepovett propose des matières alternatives telles que le polyester recyclé, le coton recyclé post consommation et le lin, ne nécessitant aucun pesticide et peu d'eau, le tout dans une logique d'économie circulaire. Ces entreprises permettent de se réapproprier des objets du quotidien et de réinterroger les modèles économiques que l'on croyait définitivement acquis. Tous les nouveaux acteurs ne sont pas « à la marge » de leur marché. Certains bousculent les codes pré-établis de marchés historiques, comme Phénix, qui se lance le défi d'inventer un nouveau standard de gestion des déchets avec l'économie circulaire.  Et son succès illustre la pertinence de sa démarche business.

Des entreprises "contributives"

Ce qui distingue ces entreprises va au-delà de la réduction des impacts négatifs liés à leurs activités économiques. Certaines, comme Interface, fabriquant de revêtements de sols, ambitionne, dans sa continuité de démarche de neutralité carbone, de réduire le carbone présent dans l'atmosphère au fur et à mesure de son process de fabrication. Une initiative à suivre de près. En recherchant activement à générer des impacts positifs, ces entreprises remettent complètement leurs procédés en question, re-questionnent leur gouvernance, écoutent réellement leurs marchés. Sans limite, de manière itérative ou par bon sens, elles trouvent des solutions qui sont bonnes pour leur business. En cela, elles deviennent « contributives », contribuant donc, à leur échelle, en « positif » par rapport à leur activité commerciale, allant au-delà de l'atténuation des effets négatifs qu'elles génèrent, et en tirant des bénéfices business.

C'est de ces entreprises dont le monde a besoin. En tout cas, c'est avec ce type d'entreprise que la nouvelle économie se construira. Celles de l'ancien modèle, prédateur immédiat, seront contraintes de disparaître au fur et à mesure de la prise de conscience des consommateurs de leurs effets destructeurs pour notre planète. Transformation ou extinction ? L'entreprise contributive constituera une nouvelle espèce d'entreprise.

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Commentaires 3
à écrit le 22/10/2018 à 9:03
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Michelin d'ailleurs, multinationale intelligente et performante, a demandé de vrais tests officiels pour mesurer la durabilité et qualité des pneumatiques étant donné qu'avec les chinois, enfin je suppose c'est ce que moi je constate, on est en train...

à écrit le 17/10/2018 à 18:53
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Faut arreter de faire croire que le vent à tourné !Les français n'ont que faire des convictions écolos ,la preuve absolue ,les score minuscules des écolos aux élections qui comptent le plus la presidentielle et les legislatives .Faire du marketing en...

le 18/10/2018 à 3:12
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votre analyse est à l'emporte pièce : si je trouve des pneus réchapés de bonne qualités et donc poins chers que les neufs et que je roule peu : j'achète !! si je trouve des entreprises qui reprennent mes déchets gratuitement je leur donne cela m'évi...

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