Publicité politique en ligne : vers un texte européen contre-productif ?

OPINION. Alors que le projet européen de régulation de la publicité politique en ligne entre dans sa dernière phase législative, on est en droit de se demander si ce dernier n'est pas en train de dévier vers une restriction drastique de toutes formes de communication « à message » sur les plateformes et réseaux sociaux. (*) Par Loïc Rivière, fondateur de Hindsight Public affairs.
Loïc Rivière, fondateur de Hindsight Public affairs.
Loïc Rivière, fondateur de Hindsight Public affairs. (Crédits : DR)

L'objectif initial était louable : protéger les scrutins européens d'influences extérieures grâce à mesures de transparence pour réguler la publicité politique en ligne. Mais alors que le projet européen entre dans sa dernière phase législative, n'est-il pas en train de dévier vers une restriction drastique de facto de toutes formes de communication « à message » sur les plateformes et réseaux sociaux ?

Un champ d'application beaucoup trop large

La notion de publicité politique recouvre, en l'état actuel des définitions, un champ très large qui ne se limite pas aux messages des institutions ou des partis politiques, mais englobe notamment les messages dits d'intérêt public ou des ONG, qu'il s'agisse d'humanitaire ou d'écologie par exemple.

Ainsi le rapport de l'Arcom (ex-CSA) sur la publicité politique relevait comme annonceurs les plus actifs : « les ONG et les secteurs de l'énergie et du recyclage qui traitent de thèmes environnementaux ». Ou encore que « parmi les 20 pages ayant le plus dépensé en montant, figurent au moins 5 pages institutionnelles (Parlement européen, gouvernement français, etc.), 4 pages d'ONG et 9 pages relatives à des offres commerciales » probablement issues de déclarations erronées. On y relève également beaucoup d'impressions de contenus luttant contre... la désinformation !

Un champ de définition très large donc, dont il n'est pas certain encore, à ce stade des discussions, qu'il exclura les contenus non sponsorisés financièrement. Au risque d'englober alors tout le contenu de positionnement des internautes, militants d'un jour ou défenseurs d'une cause quelconque...

On pourrait rétorquer que les obligations associées ne sont que des obligations de transparence mais, en réalité, c'est un travail minutieux d'identification et de vérification de l'annonceur qui est confié par le texte aux plateformes. Or, au vu de la masse des messages considérés par le champ visé, les plateformes ne pourront éviter d'adopter une stratégie proactive et toute difficulté de vérification se soldera probablement par une suppression du message par la plateforme ne souhaitant pas se trouver en porte à faux vis-à-vis de la régulation imposée.

L'interdiction de fait du ciblage : un effet délétère y compris sur les messages d'intérêt public

Pour autant, ce qui fait peser la plus grande menace sur ces différents types de messages « à caractère politique », c'est l'interdiction du ciblage qui est en creux de l'article 12, lequel envisage une restriction du ciblage bien au-delà de ce que prévoit déjà le DSA (Digital services Act) qui exclut les données sensibles et interdit le ciblage des mineurs.

Dans l'état actuel du texte, un message d'intérêt public, comme dans le domaine de la santé au sujet d'une pathologie particulière, n'atteindra pas son audience car l'attribut exprimant l'intérêt de certains pour les innovations en santé pour cette pathologie sera exclu du ciblage autorisé. Il en irait de même pour une ONG exerçant une action humanitaire au profit d'une crise particulière dans le monde qui ne pourra, pour les mêmes raisons, s'adresser aux personnes les plus sensibilisées pour soutenir son action.

Trente-quatre ONG européennes ont récemment écrit aux ministres européens des affaires européennes pour attirer leur attention sur les dangers de la rédaction actuelle du texte. Interdire le ciblage des messages, c'est interdire la pertinence et l'efficience de ces messages. Il serait donc beaucoup plus pertinent que ce texte soit mis en cohérence avec le DSA, qui a déjà mis en place ces protections pour la publicité commerciale. Texte auquel les plateformes ont emboîté le pas en interdisant le ciblage des mineurs quand elles n'ont pas anticipé la demande d'une publicité « plus responsable » en excluant toute publicité liée aux énergies fossiles.

Ne pas faire du numérique le coupable idéal des atteintes au jeu démocratique en Europe

On connaît les motivations légitimes du projet européen et de l'attention portée au micro-ciblage (un euphémisme pour parler du ciblage), projet né des préoccupations issues de l'affaire Cambridge Analytica et de la campagne numérique des brexiters. On oublie souvent que l'autorité de protection des données britanniques (ICO) a, après 3 ans d'enquête, fortement relativisé l'efficacité concrète des modèles théoriques des procédés de Cambridge Analytica. Procédés par ailleurs criminels, contrevenant tant aux lois existantes qu'aux conditions d'utilisation des plateformes visées.

On comprend également que, à une époque où la guerre a sans aucun doute investi le champ informationnel, les pouvoirs publics européens cherchent à protéger le jeu démocratique des influences extérieures par ailleurs avérées. A ce titre, on relèvera que la guerre en Ukraine démontre que certains médias traditionnels, qui fonctionnent sans algorithmes, ne sont pas exempts des mécanismes d'amplification des discours qualifiés de toxiques. En témoigne selon de nombreux observateurs la façon dont les chaînes d'information continue se font régulièrement le relais des narratifs pro-russes en invitant ses représentants pour « nourrir » le débat... ou bien le clash.

Alors que les enquêtes d'opinion attestent que 80% des Français plébiscitent sans équivoque la politique française de soutien à l'Ukraine. Il serait regrettable qu'une nouvelle fois, le numérique soit rendu responsable des failles plus profondes de notre démocratie et de la responsabilité de certains acteurs politiques qui laissent accroire à une confiscation de la démocratie par des élites qu'il conviendrait de « dégager. »..

Encourager l'innovation et la collaboration entre les plateformes et la société civile

Bien au contraire, les collaborations fructueuses qui ont été mises en place par certaines plateformes numériques et des communautés de chercheurs, de journalistes ou des autorités de régulation, ont permis de faire progresser l'identification et l'analyse des phénomènes de manipulation visés.

C'est aussi pour cette raison que l'ERGA, qui rassemble les autorités indépendantes nationales responsables de la régulation des médias, a toute compétence pour prendre en charge cette régulation qui s'élabore. Les bibliothèques de messages publicitaires qui constituent la base de travail de ces dernières doivent être approfondies et développées.

Leur développement ira de pair avec les innovations en sémantique et en intelligence artificielle (machine learning) à l'instar de Jigsaw. Des outils qui permettent une détection de plus en plus précise des contenus toxiques. Plutôt que d'empêcher les « annonceurs » d'atteindre leurs audiences pertinentes, il faudrait s'atteler probablement à mettre en œuvre une meilleure collaboration entre les plateformes, la société civile et les autorités compétentes. Celle-ci permettra ainsi de mieux circonscrire les phénomènes visés et, aux autorités qui en ont la responsabilité, de les réprimer.

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