Réforme des retraites : par quels moyens législatifs le gouvernement peut-il la faire adopter ?

ANALYSE. La stratégie gouvernementale pour faire adopter la réforme des retraites serait de contourner la procédure législative ordinaire tout en accélérant son adoption. Par Aurore Granero, Université de Bourgogne – UBFC
(Crédits : Reuters)

Annoncée, repoussée et finalement présentée mardi 10 janvier par la Première ministre Elisabeth Borne, la réforme du régime des retraites suscite déjà de vives réactions dans un contexte de fortes tensions inflationnistes.

C'est également la stratégie gouvernementale qui prête à débat en souhaitant intégrer cette réforme au sein du PLFRSS, acronyme barbare signifiant projet loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (LFSSR) ou plus simplement, budget rectificatif de la sécurité sociale. Cette démarche permettrait au gouvernement de contourner la procédure législative ordinaire sans risque d'un vote négatif tout en accélérant son adoption.

Au préalable, il faut rappeler qu'une loi de financement de la sécurité sociale a pour objet de permettre aux parlementaires de se prononcer sur les comptes de la sécurité sociale. Quant à la LFSSR, elle autorise à modifier le budget de la sécurité sociale au cours de l'année.

Un usage inédit pour une réforme de cette ampleur

Après le vote de la loi de finance de la sécurité sociale en décembre, l'exécutif souhaite incorporer à une loi de finance rectificative de la sécurité sociale la réforme du régime des retraites. L'utilisation d'un tel véhicule législatif pour l'adoption d'une réforme sociale d'ampleur est inédite et se justifierait, pour l'exécutif, par les incidences financières engendrées par le vote de cette refonte du système des retraites.

Si l'on compare l'aînée de la LFRSS, autrement dit la loi de finance rectificative, il est vrai que des évènements extérieurs aux répercussions immédiates et importantes sur le budget de l'Etat (comme la crise sanitaire ou encore une nouvelle réforme politique) ont pu justifier l'adoption de lois de finance rectificatives.

Du reste, les LFRSS sont très rares. Les crédits de la LFSS ne sont, en effet, pas limitatifs (contrairement au budget de l'Etat), il est donc possible d'attendre le budget de l'année suivante pour adopter des éléments de rectification sans risque de blocage de crédits.

On soulignera toutefois que le PLFRSS de 2014 a révisé le régime de la contribution sociale de solidarité des sociétés en insérant une mesure qui prévoyait le gel des prestations sociales qui n'étaient plus indexées sur l'inflation, sauf pour les retraites inférieures à 1200 euros. Or, il ne s'agissait ici que d'une disposition particulière qui ne peut être assimilée aux modifications d'ampleur annoncées par le gouvernement à l'instar du recul de l'âge de la retraite de 62 à 64 ans.

Qu'est-ce que l'article 47.1 de la Constitution ?

L'article 47-1 de la Constitution dispose qu'il revient au Parlement de voter les lois de financement de la sécurité sociale et encadre dans son alinéa 2 leur procédure d'adoption. Ce n'est qu'en 1996 que la loi constitutionnelle du 22 février consacre ce nouvel article. Les textes budgétaires sont votés dans des délais contraints et dans le cas présent, le Parlement doit se prononcer dans un délai global de 50 jours.

Mais, si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Enfin, dans l'hypothèse où le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance.

Ces différentes règles et délais semblent s'appliquer également au budget rectificatif de la sécurité sociale dans la mesure où si l'on établit un parallèle avec la loi de finance rectificative, le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision du 3 juillet 1986, que les règles d'adoption de la loi de finance s'appliquent aux lois de finance rectificatives.

Surtout, l'utilisation de cet article 47-1 offrirait au gouvernement trois avantages. Tout d'abord, le gouvernement n'aura pas d'étude d'impact (document qui sert à évaluer les effets juridiques, financiers et sociaux d'un projet de loi) à fournir, ce qui peut paraître très contestable au vu d'une réforme d'une telle importance. Ensuite, un temps de débat très limité au Parlement, ce qui a pour effet non seulement d'accélérer le vote de la réforme mais également de juguler les débats au sein des chambres. Enfin, l'utilisation d'un texte budgétaire comme le PFLRSS autorise le gouvernement à utiliser à nouveau l'article 49.3.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l'exécutif ne peut utiliser cet article qu'une seule fois par session mais ce « quota » ne s'applique pas aux textes budgétaires (comme le budget rectificatif de la sécurité sociale) ce qui explique qu'Elisabeth Borne ait déjà utilisé cet article, qui permet un passage en force d'un texte à l'Assemblée nationale, à 10 reprises pour l'adoption de la loi de finance ainsi que la loi de financement de la sécurité sociale.

Autrement dit, le gouvernement pourra utiliser l'article 49.3 pour l'adoption du PLFRSS et les mesures financières du régime des retraites qui impactent le budget de la sécurité sociale tout en conservant un « joker » qui lui permettra d'utiliser une fois le 49.3 pour un autre texte qui aura une incidence sur le code du travail et notamment le recul de l'âge de la retraite.

L'opposition et les milliers d'amendements

Les avantages énoncés plus hauts sont autant d'inconvénients pour l'opposition qui voit dans l'utilisation de l'article 47-1 une manœuvre gouvernementale habile pour l'adoption de cette réforme des retraites au pas de course et sans débat démocratique. L'opposition pourra riposter (mais là encore dans un délai de 20 jours) en utilisant son droit d'amendement. Il s'agit, en effet, d'une pratique courante sous la V° République qui dérive souvent vers «l'obstruction parlementaire» malgré la réforme de 2008 qui est venue encadrer la procédure de dépôt des amendements.

On se rappelle par exemple qu'en 2006, le Président de l'Assemblée nationale, J.-L. Debré était monté au perchoir, lors de l'examen de la loi sur la fusion de GDF-Suez, entouré de piles d'amendements (137 665).

Dans la période plus récente, il est possible de citer un autre chiffre record et qui concerne le premier projet de la réforme des retraites de 2020 : 40 000 amendements ont été déposés dont plus de 23 000 par les députés de la France insoumise. Or, comme l'a souligné en octobre dernier la présidente de LFI à l'Assemblée nationale Mathilde Panot, les députés seraient prêts à déposer «75 000 amendements» sur la réforme des retraites. Cela étant dit, le gouvernement garde la maîtrise puisque s'il ne peut être certain de l'appui des députés LR, il peut redéployer le texte au Sénat conformément à la procédure de l'article 47-1.

Quel rôle pour le Sénat ?

Au regard de la composition politique du Sénat mais surtout de la tendance de la chambre haute à déposer tous les ans, et ce depuis le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, un amendement à chaque budget de la sécurité sociale pour garantir l'équilibre du régime des retraites, on ne peut que penser que le Sénat votera pour le projet de réforme présenté par le gouvernement.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, les sénateurs ont encore adopté de telles dispositions par 195 voix contre 130 et intégré des mesures d'âge automatiques en cas d'absence de compromis des partenaires sociaux, dont le report de l'âge légal de départ à 64 ans.

Le gouvernement semble avoir envisagé toutes les pistes pour l'adoption de cette réforme du régime des retraites... Néanmoins, il est certain que cette stratégie ne correspond pas aux vœux du Président Emmanuel Macron, à savoir réaliser cette réforme « de la manière la plus apaisée possible » avec un inconnu qui demeure : la mobilisation de la rue.

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Par Aurore Granero, Maître de conférence HDR en droit public, Université de Bourgogne - UBFC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaire 1
à écrit le 18/01/2023 à 18:56
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Comment supprime t'on la notion de retraite ? C'est la question que se pose une caste et... qui n'a comme réponse, que rétablir la notion de "la famille" et ...de Dieu !

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