Clients, salariés : faites-les s'exprimer librement !

Quand les entreprises interrogent leurs clients sur leur degré de satisfaction, les résultats obtenus font illusion. Il en va de même des enquêtes auprès des collaborateurs. Quantifier le ressenti est délicat et les benchmarks ne disent pas tout. Par Bruno Mathis, Engagement Manager, SterWen

En 2005, le cabinet Bain & Company mettait en avant le « delivery gap », c'est-à-dire l'écart de perception, entre les entreprises et leurs clients, de la qualité du service : 80% des entreprises interrogées estimaient proposer une « expérience supérieure », tandis que 8% seulement des clients étaient de cet avis.

Cet écart ne s'est pas résorbé. En 2013, année de sa création, l'Institut National de la Relation Client constate que seulement 7% des Français se déclarent très satisfaits de la qualité de la relation client. Parallèlement, les centres d'appels continuent à remonter à leur direction générale de bons taux de satisfaction des clients à la clôture de leur appel.

 La symétrie des attentions

Une autre idée s'est popularisée. La « symétrie des attentions » postule que la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est égale à la qualité de la relation de cette entreprise avec ses propres collaborateurs. En marquant son attention aux collaborateurs, le management les conduirait implicitement à reproduire ce comportement sur leurs clients.

Dès lors, il est intéressant de regarder également les outils de mesure de la satisfaction des collaborateurs. La plupart des grandes entreprises conduisent désormais de vastes enquêtes périodiques, les « global people survey ». Quelques grands instituts d'étude proposent leur méthodologie pour quantifier le niveau global de satisfaction, ou d'engagement, des salariés, et leur permettre de se « benchmarker » à leurs concurrents. De grandes entreprises affichent ainsi communément des taux de satisfaction de 60 à 80%. Pourtant, selon la dernière enquête en date de Gallup (2013), seuls 13% des salariés dans le monde (et 9% en France) sont satisfaits de leur sort. A l'illusion de la satisfaction du client répond ainsi l'illusion de l'engagement du salarié. Notons au passage que cette symétrie des illusions est encore plus grande en France, où les clients sont encore moins satisfaits, et les collaborateurs encore moins engagés qu'ailleurs.

Des mesures délicates

C'est qu'en matière d'analyse du ressenti, tout compte. A commencer par le choix du moment et du mode de contact. On ne répond pas de la même manière à un email qui vous demande votre niveau de satisfaction quelques minutes après avoir parlé à un opérateur d'un centre d'appels, ou au téléphone, quand un prestataire indépendant vous demande, à froid, un avis général sur l'entreprise. Le choix d'un seul mot, dans une question, n'est pas moins décisif. Des études ont par exemple démontré que la satisfaction du client est mal corrélée à son comportement, notamment à sa fidélité à la marque, ce qui explique le développement des enquêtes fondées sur la recommandation.

La satisfaction est un concept relativement indicible, et cela vaut en RH comme en relation clientèle. Nombre d'entreprises préfèrent dorénavant mesurer « l'engagement collaborateur » ; encore s'agit-il d'un anglicisme qui se traduit soit en « implication » soit en « attachement ».

Et puis, toutes les questions ne sont pas utiles à poser. Par exemple, dans une enquête auprès des salariés allemands, le même Gallup les interrogeait notamment sur un éventuel « burnout ». L'institut estime ainsi que 2,7 millions de salariés souffrent de burnout à l'échelle du pays, tout en reconnaissant que (seulement) 1500 à 3300 salariés de chacune des entreprises du DAX 30 sont traités médicalement, chaque année, des effets de la pathologie.

Tout ceci n'ôte rien à l'intérêt des benchmarks, qui gardent leur pouvoir de comparaison, dans le temps et dans l'espace, et permettent d'apprécier l'effet des cycles macro-économiques sur le moral des salariés.

D'autres outils nécessaires

Mais pour capter la parole du collaborateur comme du client, d'autres outils s'imposent. Il faut en particulier faire plus de place aux questions ouvertes, favoriser le commentaire spontané et laisser les thématiques se révéler. Si un collaborateur fait un burnout, il faut lui donner l'occasion de l'écrire avec ses mots, et non lui poser une question fermée aussi intrusive qu'auto-suggestive.

On peut aussi, sans doute, définir des moments-clefs dans les relations humaines, comme on le fait déjà en marketing. Si un octroi de crédit, dans la banque, est une occasion intéressante de prendre le pouls du client, pourquoi ne pas considérer, au titre de la symétrie des attentions, qu'un changement de poste est également une occasion de saisir l'état d'esprit du collaborateur ?

Cette symétrie des illusions illustre en fin de compte les limites d'une approche quantitative de problématiques éminemment humaines. Il est possible de gagner en compréhension du collaborateur, et en connaissance du client, sans monter une batterie d'indicateurs ni chercher à dégager des tendances !

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Commentaires 2
à écrit le 04/11/2015 à 18:11
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J'ai reçu un mail demandant de donner un avis sur un truc que je vais recevoir dans un certain avenir. Je le garde sous le coude. Quand il y a dix pages web de coches sur plusieurs lignes pour donner une note à divers critères (site, choix, qualité,...

à écrit le 04/11/2015 à 14:48
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A force de ne plus oser dire les choses tout le monde se cache derrière des indicateurs (KPI pour faire bien) Plus on monte dans les strates et plus les nuages se dissipent et les problèmes (pardon dysfonctionnement) disparaissent Le plus fou ce n...

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