La science-fiction, une source d'inspiration majeure pour innover

OPINION. Pour se préparer aux guerres du futur, le ministère des Armées a initié un projet baptisé Red Team Défense, qui vient de s'achever et auquel ont participé une dizaine d’auteurs de science-fiction, en lien avec des experts militaires et des scientifiques. Cette démarche de « design fiction », peu connue du grand public, séduit aujourd'hui de nombreuses armées dans le monde, mais elle rencontre aussi un succès croissant dans les entreprises. Par Sonia Adam-Ledunois, Dauphine Recherches en Management.
(Crédits : Reuters)

Pour se préparer aux guerres du futur, imaginer de nouvelles menaces technologiques, environnementales, biologiques..., le ministère des Armées françaises a initié en 2020, en lien avec l'université PSL (Paris Sciences&Lettres), un projet baptisé Red Team Défense qui vient de s'achever et auquel ont participé une dizaine d'auteurs de science-fiction (SF), incités à bâtir des récits d'anticipation en collaboration avec des experts militaires et scientifiques.

Cette démarche de « design fiction », peu connue du grand public, n'en rencontre pas moins un succès croissant. Une quinzaine de programmes similaires ont été lancés dans différents pays ces dernières années pour nourrir leurs réflexions stratégiques et faire évoluer leurs systèmes de défense, avec l'aide d'écrivains et d'illustrateurs de science-fiction. Les entreprises et les collectivités sont aussi de plus en plus nombreuses à se convertir à ces méthodes originales, précieuses en temps d'instabilité pour parvenir à se projeter sur le long terme.

Ne se fermer a priori aucun possible

L'enjeu est de ne pas rester focalisé sur des modèles établis, de ne se fermer a priori aucun possible, de s'inscrire dans une démarche d'exploration, ce que les services de recherche et développement des organisations peinent à faire, immergés dans des approches métiers et centrés le plus souvent sur l'amélioration des solutions existantes.

L'approche est cependant exigeante. Les auteurs de SF sont des « experts de l'inconnu », capables de se projeter dans des futurs en rupture forte avec les sociétés contemporaines. Il s'agit de tirer parti de leur imagination, mais avec un souci accru de vraisemblance.

Il peut donc être utile de soumettre à des experts scientifiques leurs scenarii à horizon de 10 à 40 ans pour en confirmer la plausibilité, même si les technologies ou contextes géopolitiques imaginés n'existent pas encore.

Il s'agit aussi de présenter ces différentes projections futuristes de manière très concrète et imagée, sous forme d'histoires illustrées, de films, ou au travers de divers artefacts, afin de pouvoir engager une réflexion avec les différents acteurs concernés. Qu'implique chacun des scenarii ? Qu'appellent-ils comme évolutions ?

Pour aider le groupe Visa à réfléchir à l'avenir des paiements, par exemple, le cabinet SciFutures a ainsi mis en scène un « salon du futur », dans lequel chacun pouvait tranquillement régler ses achats par commande vocale, sans nécessité de carte de crédit telle que nous la connaissons. Pour une commune des Pays de Loire, c'est un journal local qui a été rédigé, racontant le quotidien des habitants dans vingt ans. Ces supports engagent la discussion et invitent à se projeter, à réfléchir en commun.

Méthodes de design fiction

Les créateurs de science-fiction, dans ce type de configuration, bâtissent les scenarii, contribuent à la conception des dispositifs, participent le cas échéant à des séminaires de réflexion. De nombreuses entreprises, américaines et européennes, adoptent ces méthodes de design fiction et font appel à des cabinets de conseil pour les accompagner dans ces démarches.

Cependant, si la création ad hoc de scenarii SF constitue le nec plus ultra de ces démarches, les imaginaires de science-fiction proposés dans les films, BD, jeux vidéo ou livres grand public peuvent aussi constituer une base de travail intéressante, ce qui simplifie grandement l'exercice et le rend plus accessible.

Le caractère prémonitoire de nombre d'ouvrages de SF n'est plus à démontrer. Le concept de métavers, par exemple, est décrit précisément en 1992 dans le roman « Le samouraï virtuel » (« Snow crash » de Neal Stephenson). Dans une nouvelle, Isaac Asimov ébauche les prémices de la voiture autonome au début des années 1950. Dès les années 1920, déjà, Hugo Gernsback mettait en scène des technologies comme la visioconférence ou la télémédecine dans des récits publiés dans des « pulp » magazines, journaux de science-fiction grand public publiés sur du mauvais papier avec des couvertures criardes. Au début des années 1960, une illustration représente déjà un genre de casque de réalité virtuelle !

Nombre d'inventeurs d'aujourd'hui avouent d'ailleurs sans difficulté s'être inspirés de technologies présentes dans des œuvres de SF et qui les ont marqués. Les membres de l'équipage de la série Star Trek, The next generation, font ainsi des recherches sur des tablettes numériques avec écran tactile dans les années 1990. L'idée de l'IPad d'Apple était née ! Les dirigeants de Google ont visiblement aussi adoré Star Trek. Amit Singhal, en charge du projet Google Search, a même avoué à un journaliste : « Le destin de Google Search est de devenir l'ordinateur de Star Trek ».

Questionner les modèles établis

La science-fiction n'est peut-être pas le nouveau laboratoire de recherche et développement du futur, ces cas restant isolés, mais ces imaginaires constituent bel et bien des espaces dans lesquels se projeter pour questionner les modèles établis. Comment ne pas conseiller aux dirigeants d'aujourd'hui de s'intéresser à la science-fiction. Regarder des films, des séries ou lire des romans d'anticipation, se nourrir de l'imagination des « experts de l'inconnu », pour tracer ensuite de nouvelles voies.

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Commentaires 3
à écrit le 10/07/2023 à 18:38
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Il suffit de regarder "the expanse" pour comprendre que dans le futur le probleme c est nous comme toujours ..

à écrit le 09/07/2023 à 7:58
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La dystopie, voilà ce que notre classe dirigeante aura engendré en terme d'avenir d'abord et avant tout tellement elle est rincée, au bout du rouleau, à l'agonie.

à écrit le 06/07/2023 à 13:25
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Justement pas ! Les "erreurs" perçues dans la S.F. n'enthousiasment pas la recherche dans l'innovation ! Cela devient un monde non désiré ! ;-)

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