Uber et l'argent d'Uber

La rapidité de notre changement de civilisation se mesure dans le cas emblématique de l'affaire UberPop.
Philippe Mabille

Menacés d'être « embastillés », les dirigeants d'Uber France, qui passeront en correctionnelle en septembre pour « exercice illégal de la profession de transport de personnes à titre onéreux », sont en train de rencontrer la limite de leur modèle. Le choc entre le progrès technologique et les règles de droit (social, fiscal et concurrentiel) est frontal .

UberPop, c'est avant tout une disruption dans le monde du travail. On ne sait d'ailleurs pas bien qualifier juridiquement l'action consistant à transporter des inconnus dans sa voiture : est-ce une forme de troc, un travail indépendant, un pseudo-salariat déguisé en auto-entrepreneuriat ? S'agit-il de covoiturage de courte distance ? Quelle est alors la différence avec Blablacar, le champion français ? Ce que l'on sait, c'est que la loi Thévenoud a interdit UberPop, dont les chauffeurs sont considérés par les taxis comme des clandestins opérant en concurrence déloyale, au vu des charges dont les taxis doivent s'acquitter. Même François Hollande est descendu dans l'arène, demandant qu'UberPop soit « dissous », expression en général destinée aux sectes. Pourtant, plaide Uber, aucune décision de justice n'est encore venue interdire cette activité. Le Conseil d'État tranchera à la rentrée. Le jugement sera lourd de conséquences pour l'écosystème du numérique. Car la question posée par UberPop peut s'étendre à d'autres plateformes, comme AirBnB par exemple. Louer son appartement, est-ce un travail ? Là aussi, le droit et la fiscalité vont devoir s'adapter...

La principale innovation de la plateforme Uber, c'est surtout d'avoir osé s'attaquer à un marché qui n'a pas su ni voulu innover à temps et est trop longtemps resté encadré par des règles absurdes et obsolètes. Si Uber s'est développé aussi vite, c'est parce que le service proposé est plébiscité par les clients : soit parce qu'il est moins cher, c'est le principe d'UberPop ; soit parce qu'il est de meilleure qualité : possibilité de commander et de régler avec son smartphone, accueil par un chauffeur propre et poli, services à bord (bouteille d'eau, journaux...) - c'est le cas d'Uber X, service de VTC classique.

Les chiffres ne trompent pas. Si on regarde le chiffre d'affaires global taxis + VTC, on constate qu'il est stable depuis 2010, date de la naissance d'Uber : il y a donc bien substitution, pas croissance du marché. En tout cas pour l'instant, car la volonté des fondateurs d'Uber - qui ne s'en cachent pas, Travis Kalanick en tête - est bien de transformer la façon dont nous nous déplacerons à l'avenir. Les taxis l'ont d'ailleurs bien compris : à long terme, leur combat est perdu, tout simplement parce qu'Uber a fait comprendre qu'il n'était pas optimal, dans le monde où nous sommes en train d'entrer, qu'une automobile soit à l'arrêt, donc inutilisée, pendant 95 % de son temps de vie. C'est d'ailleurs pour cette seule raison qu'Uber est valorisée entre 40 et 50 milliards d'euros, bien que le service rencontre dans le monde entier les mêmes résistances qu'en France. Car pour le reste, le modèle économique est encore friable : selon un document présenté aux investisseurs, la société californienne ne dégagerait que 415 millions de dollars de chiffre d'affaires (20 % du montant de chaque course), et accuse encore 470 millions de pertes. Moralité : on ne peut pas avoir Uber et l'argent d'Uber...

@phmabille

Philippe Mabille

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Commentaire 1
à écrit le 07/07/2015 à 12:34
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Effectivement c'est au droit de s'adapter à l'évolution technologique... Pas l'inverse ! Mais dans un monde fait de rentes et de corporatismes, il faut savoir être patient ;)

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